Publié le 2 Dec 2020 - 21:11
SAFIÉTOU THIAM (SECRÉTAIRE EXÉCUTIVE CNLS)

“Ce n’est pas la consommation de drogue qu’il faut réprimer’’

 

La discrimination, la marginalisation et les réprimandes constituent les grands freins de la prise en charge des femmes consommatrices de drogue injectable, dans la lutte contre le VIH/sida. Pour mettre fin à ces pratiques, l’Onusida a initié la stratégie ‘’Zéro discrimination’’. Une semaine dédiée à cette population clé, célébrée hier.

 

Créé pour la prise en charge des addictions, le CPIAD n’est pas très fréquenté par les femmes. Cette situation est due à la stigmatisation dont sont victimes les consommatrices de drogue injectable (CDI). Au lieu de venir se soigner, elles préfèrent se cacher, fuyant le regard accusateur de la société.

C’est pour cela qu’hier, le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar a célébré, hier, la semaine ‘’Zéro discrimination’’ dédiée à cette cible, coïncidant à la Journée mondiale de lutte contre le VIH/sida. Selon la secrétaire exécutive du Conseil national de lutte contre le sida (CNLS), Docteur Safietou Thiam, les CDI font partie de la population-clé.

‘’On ne peut pas régler le problème du VIH sans passer par eux’’, précise-t-elle. C’est pourquoi elle invite tout le monde à être solidaire des consommateurs de drogue. Cette solidarité, souligne le Dr Thiam, commence déjà par la non-discrimination et la non-stigmatisation. ‘’Il faut aussi travailler avec l’opinion publique pour pousser les décideurs à changer de voie. Ce n’est pas la consommation de drogue qu’il faut réprimer. C’est plutôt la vente de drogue. Le consommateur de drogue est une victime. Le mettre en prison, c’est ajouter une injustice à déjà quelque chose de difficile’’, soutient la secrétaire exécutive.

A l’en croire, la Covid-19 a accentué cette marginalisation des femmes. ‘’Quand on a un compagnon qui est malade, parce qu’addictif à la drogue et qui est violent et qu’on soit obligée de s’enfermer avec lui, aggrave les choses. C’est des situations très difficiles. Nous avons constaté que la Covid-19 a exacerbé la vulnérabilité de manière générale, la vulnérabilité des femmes CDI en particulier’’, dénonce-t-elle. 

Le coordonnateur du centre, le professeur Idrissa Bâ, d’ajouter que l’une des activités du CPIAD est de mener des actions de prévention et de sensibilisation auprès des communautés. Cette ambition ne sera possible qu’avec une large implication des communautés des partenaires, mais aussi des autorités. ‘’La discrimination est un phénomène qui est observée chez les populations, particulièrement envers les femmes. Au CPIAD, on est confronté à une difficulté majeure dans la prise en charge des femmes consommatrices de drogue injectable. Cette journée ne se limite pas aux problèmes du VIH et des problèmes de santé. L’objectif est de mettre en avant l’impact lié aux discriminations et de trouver les stratégies pour une prise en charge optimale des femmes consommatrices de drogue’’, précise le Pr. Bâ.

Selon le professeur Idrissa Bâ, ils ont enregistré plus de 1 200 patients dont plus de 250 sont inscrits à ce jour au Programme méthadone. Le CPIAD, dit-il, a fini de marquer son empreinte sur la pyramide sanitaire sénégalaise.

Cependant, souligne le Pr. Bâ, la faible fréquentation des femmes consommatrices de drogue au niveau du Sénégal, constitue leur plus grande préoccupation depuis sa création. ’’Les femmes CDI représentent moins de 10 % de notre fil actif. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas confrontées aux problèmes de drogue, bien au contraire. Mais cela signifie plutôt que l’offre de service au niveau du CPIAD n’est pas adaptée à la situation des femmes consommatrices de drogue. Nos statistiques montrent que les femmes CDI sont particulièrement exposées à l’infection au VIH et à une certaine discrimination. C’est pourquoi, pour pallier cela, de nouvelles stratégies doivent être mises en place afin de faciliter la fréquentation des femmes au CPIAD’’, sollicite le Pr. Bâ.

Le docteur Safietou Thiam souligne que beaucoup de recherches sont en train d’être menées en ce moment, pour essayer de répondre au manque d’affluence sur la fréquentation du centre par les femmes.  ‘’C’est une situation qui appelle une approche plus sexo-spécifique. Peut-être le service du CPIAD tel qu’il a été pensé ne répond pas forcément aux besoins des femmes. Nous sommes ouverts pour inclure des services qui répondent aux besoins des femmes’’, rassure le médecin.

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ANCIENNE CONSOMMATRICE DE DROGUE INJECTABLE

Mariama Bâ, la rédemption au bout de l’effort

Pendant 30 ans, Mariama Bâ a vécu dans la consommation de drogue dure. Avec son intégration, en 2015, dans le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (CPIAD), elle tourne le dos à cette addiction. Son combat d’aujourd’hui est d’aider les jeunes et les femmes à s’en sortir.

VIVIANE DIATTA

Elle fait partie maintenant des personnes qui croient au destin. Pour elle, tout ce qui arrive à l’humain relève de la volonté divine. Le plus important, à son avis, c’est la prière. Pourtant, il y a des années de cela, Mariama Bâ n’avait pas ce même discours. Devenue conseillère au Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar, cette ancienne consommatrice de drogue injectable (CDI) a désormais un combat à mener. C’est de sortir les jeunes et les femmes de la consommation de drogue. Elle a passé 30 ans de sa vie à flirter avec la drogue. Elle raconte son histoire pour montrer aux autres que tout n’est pas perdu. Qu’il est possible de s’en sortir, avec de la volonté. 

Mariama menait sa vie comme bon lui semblait. A la suite de l’obtention de son Baccalauréat, elle est partie en Europe pour poursuivre ses études. Une fois arrivée, elle se fait des amis. De mauvaises fréquentations, on va dire. ‘’A la place de l’université, je fréquentais les ghettos. C’est ainsi que je suis tombée dans la consommation de drogue injectable. C’est en 1986 que j’ai commencé à toucher à la drogue dure. Sans m’en rendre compte, je devenais de plus en plus accro. Parce que c’est une addiction, plus on consomme, plus on est dépendant. Je vivais comme je l’entendais. Je ne me souciais de rien, ni de personne’’, explique, cette ancienne CDI.

Quand sa famille est mise au courant de la vie qu’elle menait, elle est vite ramenée au Sénégal. ‘’Ma famille ne voulait pas me perdre, malgré ce que je faisais. Tout le monde était inquiet de ma situation’’, confie-t-elle. Une fois au Sénégal, l’objectif de sa famille, c’est de la sortir de ce trou. Mais elle avait aussi son plan. Pendant que sa famille se battait pour sa prise en charge, de son côté, Mariama cherchait où se procurer de la drogue dure, de l’héroïne. ‘’J’étais dépendante. J’en avais besoin. Je suis une des premières à consommer de l’héroïne et de la cocaïne. Quand j’ai découvert les lieux de consommation au Sénégal, j’ai fugué de chez moi. Je suis issue d’une famille respectable, qui ne méritait pas cela. Pour mettre tout le monde à l’aise, je suis partie habiter dans les lieux de scènes’’, partage-t-elle.

Même pour voir un enfant, ce fut un vrai parcours de combattant. ‘’Je l’attendais de loin sur le chemin de l’école. J’étais internée à deux reprises au service de psychiatrie de Fann. En ce moment, il n’y avait pas de médicament pour les CDI. Les médecins nous injectent les produits des malades mentaux. Cela n’a aucun effet. J’en ai vu des vertes et des pas mûres’’, raconte Mariama.  Aujourd’hui, elle regrette ce passage difficile de sa vie.

Après toutes ces années de libertinage et de tourments, Mariama Bâ a décidé de tout laisser derrière elle. Elle est revenue de loin et rend grâce à sa famille et à son médecin traitant. Depuis qu’elle a été intégrée en 2015 au CPIAD, la vie lui a donné une seconde chance. Avec la méthadone, elle ne s’est plus adonnée à la drogue. ‘’J’ai arrêté de me droguer depuis 2015. J’ai retrouvé ma famille et suis mariée et devenue Mme Thiam. Je suis devenue conseillère au CPIAD. Je rends grâce à Dieu, parce qu’à un moment, j’ai pensé que c’était fini pour moi. Mais Dieu en a décidé autrement’’.

Courtoise, Mariama Bâ, conseille aux jeunes et aux femmes qui s’adonnent à cette pratique d’arrêter. ‘’C’est mon combat d’aujourd’hui. La drogue, c’est du poison. La drogue vous détruit, vous pourrit la vie, vous éloigne de votre famille. Elle vous prend toute votre vie et se répercute de génération en génération. Il faut se ressaisir et arrêter. Ce n’est pas une bonne vie. Cherchez une porte de sortie. Il n’est jamais trop tard pour se ressaisir. Le CPIAD est là pour cela.  La drogue, il faut faire une croix dessus. Elle n’a ni parents ni amis. Elle est nuisible’’, plaide-t-elle.

VIVIANE DIATTA

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