Publié le 24 May 2016 - 16:46
SALY BY NIGHT

Les péripatéticiennes font la loi

 

Saly, la nuit, offre un autre décor. Ici, le tabou n’existe pas et personne ne se plie aux normes. Entre prostitution, insultes, ports vestimentaires outrageux, cigarettes, alcool, rien n’arrête ce monde qui, pendant le jour, reste en hibernation.

 

Une fois le soleil couché, les rues de la station balnéaire la plus connue du Sénégal s’animent subitement. 22 heures, au parking des taxis de Saly : Hommes et femmes de tous âges discutent avec entrain. Les éclats de rire sont intermittents. Tout à coup, une dispute éclate entre deux filles, elles échangent d’innommables insanités. L’une porte un petit top et une minijupe noire, qui contient sa forte corpulence tant bien que mal. L’autre en jogging, tente de se confiner dans son coin, malgré ses répliques. Les invectives fusent. ‘‘Sa yaram bu saleté bi’’, lance la fille à la peau noire. L’autre ne se laisse pas faire. ‘‘Moi je m’occupe très bien de ma peau. Viens là où je vis et tu sauras qui je suis’’, réplique-t-elle. L’autre de lui balancer : ‘‘Il fait nuit, personne ne peut voir cette sale peau que tu as’’. La réponse jaillit : ‘’On t’a engrossée à plusieurs reprises’’. Malgré l’intervention d’un individu, elles continuent de plus belle. D’ailleurs, les propos aigres-doux ciblent maintenant les géniteurs, pour faire plus mal… Une scène courante à Saly, entre deux travailleuses du sexe.

Elles sont reconnaissables à leur accoutrement vulgaire, regroupées sous le hangar qui sert de parking aux taxis. La plupart de ces jeunes femmes sont d’une forte corpulence que leurs habits moulants font ressortir davantage. Elles ne semblent pas gênées le moins du monde. D’autres filles, non concernées par la querelle, chahutent. D’ailleurs, l’impression qu’elles donnent est que chacune a une dent contre l’autre. Plus de 22 heures passées, les va-et-vient deviennent de plus en plus incessants et pressants. Les clients arrivent en groupe ou esseulés. Ces clients potentiels débarquent de leurs voitures, d’autres en scooter, d’autres encore viennent à pied pour se distraire. Le prix de la passe varie, selon la tête du client.

Une jeune fille vêtue d’un pantalon, une perruque afro blonde sur la tête, fait le pied de grue à côté d’une banque. Elle ne parvient pas encore à s’intégrer. Elle n’est pas originaire du pays. D’ailleurs, elle ne parle ni le wolof, ni le français. ‘‘Three thousands’’, (Ndlr : 3000 F Cfa) essaie-t-elle de marchander. C’est un vigile dans un restaurant, Ousmane, qui vend la mèche. ‘‘Cette fille vient d’arriver. Je l’ai remarquée hier (vendredi)’’. Comme au marché, ici aussi on marchande. Une fille, le corps moulé dans une robe en strass, suit un homme jusque dans son  véhicule. Le client s’assoit sur le siège conducteur et elle se faufile sur le siège arrière. Après quelques minutes, elle ressort. Ils ne sont visiblement pas d’accord sur le tarif.

A côté, une auberge, qui donne sur un coin de rue mal éclairée, offre ses services, en tant que maison de passe. La chambre est à 7 500 F Cfa, la nuit. ‘‘Les filles peuvent faire ce qu’on appelle ‘‘mbaxal’’, c’est-à-dire qu’elles se cotisent pour partager la chambre. Ici, il n’y a pas de barème de prix établi pour la passe. ‘‘Elles louent une chambre. Donc, elles sont obligées de prendre toutes les offres pour payer la chambre’’, souffle-t-on. ‘‘Des fois quand une des filles occupe la chambre de passe, l’autre se laisse prendre dans la voiture de son client. Cette semaine, une fille a déféqué devant notre restaurant sans gêne. Ce métier qu’elles exercent les pousse à ne plus avoir d’interdit. J’ai pitié vraiment’’, déclare la serveuse Eva, dans un restaurant non loin.

A 23 heures 40, un escadron de la gendarmerie descend sur le parking. Les gens détalent rapidement pour ne pas se faire prendre. Les lieux qui bruissaient de mille et une voix sont désertés, en un rien de temps. Les gendarmes interpellent les quelques passants. Ils en arrêtent un bon nombre qu’ils  acheminent à la brigade, avant de revenir. Une péripatéticienne d’un âge mûr arrive habillée d’une sous-fesse blanche et d’un body lacéré. Elle allume une cigarette et déclare, comme si elle se parlait à elle-même : ‘‘Ils ont failli me mettre dans le panier à salade, à cause de ma carte. Elle a expiré hier. De toute façon je ne peux rien faire, parce que c’est le week-end. J’irai faire ma visite lundi. Ceux qui sont là-bas (elle indique un coin de la rue) m’ont demandé mon numéro de téléphone. Ils disent qu’ils sont de Thiès et qu’ils vont m’appeler pour que je vienne leur rendre visite’’, lance-t-elle. ‘‘Ils m’ont dit de ne pas leur demander des sous quand je viendrai les voir. Mais moi je bosse. Je ne m’offre pas comme ça. J’ai donné un faux numéro et ils m’ont laissée partir ’’, dit-elle tout sourire et tirant sur sa cigarette. Quelques minutes, une voiture se gare sur le parking. Elle s’y engouffre pour une destination inconnue.  

Discothèque : Une autre manière de faire

Si les filles qui officient sur le parking sont des têtes brûlées, ne respectent rien et ne se gênent pas pour s’insulter, celles qui officient dans les discothèques semblent avoir plus de classe, plus de retenue. D’ailleurs, la plupart sont accompagnées par des toubabs. A minuit passé, les dancings ont déjà ouvert leurs portes. La localité ne dort pas. Les uns sont à la recherche d’une boîte de nuit. D’autres ont trouvé le lieu où ils vont passer du bon temps. Une musique trop forte et une ambiance suffocante, à cause des fumées de cigarettes, accueillent ces fêtards noctambules. Une foule se presse sur la piste de danse. Un pan du mur est couvert de miroir et fait face à la piste. Les filles se tiennent toutes en face pour admirer leur propre déhanchement. Comme si le reflet que leur renvoyait le miroir leur donnait plus d’entrain pour renforcer leur charme. Perchées sur de hauts talons, le corps pratiquement dénudé, elles se trémoussent de manière coquine. Elles fument et consomment de la boisson alcoolisée ouvertement. Qu’importe, si elles sont reconnues.

‘’Le jour, on ne les voit pas. Ces filles ne sortent que la nuit. Le jour, elles dorment’’, explique Eva. L’on se trémousse pour appâter les touristes ou résidents blancs, qui eux aussi ne restent pas indifférents au déhanchement. Une fille portant une casquette et tee-shirt bleu à l’effigie d’une boisson énergisante présentée à la soirée, semble dérangée par la scène qui s’offre à ses yeux. ‘’J’ai une fille de 5 ans et je suis apeurée par ce que je vois. Je suis venue avec mon mari qui travaille cette nuit pour la boisson. Mais quand je vois ce qui se passe ici, je me demande ce qui adviendra de nos enfants’’, déclare-t-elle.

 Des enfants dans le décor  

La nuit, les rues de Saly sont un axe où on retrouve aussi les enfants. A 5 heures du matin, des talibés essaiment çà et là. Bravant le froid, un pot à la main, ils sont en quête d’une pitance devant quelques adultes qui ne semblent pas remarquer leur présence. Ils suivent les touristes blancs, comme s’ils étaient ensemble. Pour ce chauffeur de taxi, ceci est normal ; lui-même est passé par là. ‘’C’est là qu’ils apprennent ; c’est là qu’ils se forment. La plupart d’entre eux maîtrisent le Coran’’, dit-il. Là aussi, des enfants découvrent un monde où des adultes font la loi.  

 KHADY NDOYE (Mbour)Description: https://ssl.gstatic.com/ui/v1/icons/mail/images/cleardot.gif

 

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