Publié le 21 Aug 2020 - 20:09
SANCTIONS CONTRE LE MALI

Frictions dans le couple Dakar-Abidjan

 

En session extraordinaire de la CEDEAO hier, le président ivoirien a été sans concession sur les mesures contre le Mali, tandis que son homologue sénégalais a surtout plaidé pour un desserrement de l’étau au bénéfice du peuple malien.

 

Une fois n’est pas coutume. Sur les sanctions contre le Mali, Dakar et Abidjan ne semblent pas émettre sur la même longueur d’onde. Alors que le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, prône des sanctions radicales contre les putschistes et le Mali, son homologue sénégalais, Macky Sall, se veut on ne peut plus prudent. A leur sortie de la session extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) hier, chacun y est allé de ses commentaires sur twitter.

Pour Ado, le ton est ferme et sans équivoque. ‘’Nous devons, dit-il, agir avec détermination afin d’obtenir, par tous les moyens, le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Mali’’. Suite à cette déclaration faite en mi-journée, il est revenu en début de soirée avec deux tweets successifs. D’abord, il affirme, vers les coups de 20 h : ‘’Le Sommet extraordinaire de la CEDEAO sur la situation sociopolitique au Mali a pris, à l’unanimité, des décisions fortes, pour une sortie de crise au Mali, notamment le rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel et la libération immédiate du président Ibrahim Boubacar Keita.’’

Dans la foulée, il revient avec un autre tweet. Cette fois, c’est pour préciser : ‘’Le sommet extraordinaire décide de la libération de tous les officiels arrêtés, le rétablissement du président IBK dans ses fonctions de président de la République et la mise en œuvre immédiate des sanctions contre tous les dignitaires putschistes.’’

Quelques instants plus tôt, aux environs de 16 h, le président Macky Sall semblait mettre la pédale douce. Il disait : ‘’Ce matin, lors du sommet extraordinaire, j’ai appelé la CEDEAO à réapprécier les sanctions annoncées, pour tenir compte des impératifs humanitaires. Les denrées de première nécessité, les produits pharmaceutiques et pétroliers ne seront pas concernés par l’embargo.’’ Même si cette exception ne figure pas dans le communiqué final signé par le président en exercice de l’institution, Mahamadou Issoufou (président nigérien), le chef de l’Etat sénégalais n’en est pas moins affirmatif.

Or, selon plusieurs sources concordantes, le président Ouattara fait partie de l’aile dure en faveur de ‘’l’embargo’’.

D’ailleurs, comme le précisait ‘’EnQuête’’ dans son édition d’hier, Abidjan n’a pas mis du temps pour sévir contre Bamako. Dès le lendemain du coup de force suivi de la décision de fermeture des frontières prise par la Commission de la CEDEAO, le ministre ivoirien de l’Economie et des Finances est monté au créneau pour donner des instructions fermes à toutes les administrations financières publiques. Le département a invité toutes les banques et tous les établissements financiers, toutes les sociétés de gestion et d’intermédiation… ‘’à suspendre toute relation économique et financière ainsi que tout flux financier en direction du territoire malien, jusqu’à nouvel ordre’’.

Enjeux

Derrière ces approches différentes entre Abidjan et Dakar, deux voix influentes de la CEDEAO, se cachent des enjeux politiques et économiques un peu différents. En Côte d’Ivoire, le feu couve déjà avec la volonté de Ouattara de rempiler à la tête de l’Etat. Tandis qu’à Dakar, il est noté une situation relativement stable sur le plan politique. Pour beaucoup d’observateurs, la Côte d’ivoire craint surtout que la crise malienne et son dénouement fassent des émules chez lui. De plus, entre la Côte d’Ivoire de Ouattara et le Mali d’IBK, tout semblait marcher comme sur des roulettes.

Pour Dakar, en plus de se soucier du sort du peuple malien, il est aussi question de sauvegarder des intérêts économiques non négligeables. Surtout dans ce contexte de raréfaction des ressources du fait de la Covid-19. Mais également par ces moments où il a l’embarras des tonnes de nitrate d’ammonium entreposées au Port autonome de Dakar.  

Dans la matinée d’hier, le président Sall faisait un autre tweet pour déclarer : ‘’Il nous faut agir avec responsabilité et célérité, afin d’éviter que le Mali ne sombre dans un vide institutionnel et une impasse politique.’’

Malgré cette retenue, Macky Sall s’est voulu très clair, en ce qui concerne le renversement par les militaires d’IBK. Il convoque les textes de la CEDEAO : ‘’Le coup de force contre un président démocratiquement élu constitue une violation du protocole de la CEDEAO sur la bonne gouvernance. Nous l’avons fermement condamné’’, a-t-il reconnu.

COUP D’ETAT MILITAIRE AU MALI

La CEDEAO exige le retour au pouvoir d’IBK

Alors que le sort du président renversé, Ibrahima Boubacar Keïta dit ‘’IBK’’, se discute au sein de la junte militaire qui a pris le pouvoir au Mali depuis mardi, les chefs d’Etat ouest-africains font pression pour son rétablissement dans les plus brefs délais. 

Commentant les sanctions infligées au Mali par la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) lors d’un entretien accordé hier à ‘’EnQuête’’, le Dr Serigne Bamba Gaye, spécialiste en relations internationales, affirmait que l’organisation sous-régionale ‘’apparait, de plus en plus, aux yeux de certains, comme une institution dépassée, qui n’est là que pour préserver les pouvoirs de ses membres. C’est du moins la perception de beaucoup de populations ouest-africaines’’.

Difficile de ne pas lui donner raison, suite aux décisions prises hier par la CEDEAO qui a organisé, en vidéoconférence, un sommet extraordinaire des chefs d'Etat à l’issue duquel elle a réclamé le "rétablissement" du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, renversé par un coup d'Etat mardi dernier.

Le président nigérien Mahamadou Issoufou, qui assure la présidence de la CEDEAO, l’a fait savoir à la fin de ce sommet virtuel : ‘’Nous demandons le rétablissement du président Ibrahim Boubacar Keita en tant que président de la République. Le Mali est dans une situation critique, avec des risques graves qu'un affaissement de l'Etat et des institutions n'entraîne des revers dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, avec toutes les conséquences pour l'ensemble de notre communauté. C'est dire que ce pays a plus que jamais besoin de notre solidarité.’’

Elu en 2013 puis réélu en 2018 pour cinq ans, Le président Keïta dit "IBK" faisait face, depuis des mois, à une contestation sans précédent, depuis le coup d'Etat de 2012. Il a été arrêté par des militaires putschistes avec son Premier ministre Boubou Cissé et d'autres responsables civils et militaires, puis contraint d'annoncer sa démission et la dissolution de l'Assemblée nationale et du gouvernement, dans la nuit de mardi à mercredi. Les militaires, pour la plupart des hauts gradés, ont annoncé, dans la foulée, que le pays était dorénavant dirigé par un Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avec à sa tête un colonel, Assimi Goïta, et a promis d'organiser des élections dans un délai raisonnable. 

Une mission de la CEDEAO au Mali

Après avoir condamné le putsch, à l’image de la communauté internationale, les pays d’Afrique de l’Ouest ont ainsi rejeté la main tendue des militaires désormais au pouvoir. Mieux, ils ont ajouté, hier, que la CEDEAO allait mener des discussions pour faire comprendre aux responsables de la junte que les temps de prise de pouvoir par la force sont révolus dans la sous-région. Celles-ci pourraient être menées par des émissaires, avec l’annonce de Mamadou Issoufou : ‘’Nous décidons de dépêcher immédiatement une délégation de haut niveau pour assurer le retour immédiat de l'ordre constitutionnel.’’

Selon certaines indiscrétions, cette délégation devrait être composée des présidents sénégalais, ivoirien et ghanéen accompagnant celui qui occupe la présidence actuelle de la CEDEAO. Mais en attendant son arrivée au Mali, le président nigérien a mis les putschistes devant ‘’leurs responsabilités sur la sûreté et la sécurité du président Ibrahim Boubacar Keita et des officiels arrêtés’’.

Cela n’a pas empêché que l’organisation sous-régionale demande ‘’la mise en œuvre immédiate d'un ensemble de sanctions contre tous les militaires putschistes et leurs partenaires et collaborateurs’’.

Il faudra observer si l’issue de cette médiation sera plus heureuse que celle que la CEDEAO y a menée, il y a à peine un mois. Le dimanche 19 juillet, une délégation ouest-africaine, conduite par l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan, avait essayé de trouver une solution à la crise sociopolitique au Mali. Elle avait proposé la nomination d’un gouvernement d’union nationale, sur la base du consensus, et la mise en place d’une nouvelle Cour constitutionnelle chargée d’examiner en priorité le litige électoral sur les résultats des législatives de mars-avril.

Seulement, l’alliance du Mouvement du 5-Juin et du Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), qui regroupe des chefs religieux et des personnalités du monde politique et de la société civile à l’origine des manifestations contre le pouvoir, avait estimé que ces propositions ‘’ne correspondent absolument pas aux aspirations et attentes exprimées par le M5-RFP et portées par l’écrasante majorité du peuple malien’’. Le mouvement avait notamment déploré que la médiation insiste expressément sur le maintien au pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keïta, dont il exigeait obstinément la démission.

Le dilemme des putschistes

Si le peuple malien semble se réjouir du départ forcé d’IBK, cela n’est visiblement pas le cas des présidents réunis au sein de la CEDEAO. Alors, qui de leurs citoyens ou des leaders sous-régionaux les putschistes vont-ils suivre ? Un retour du président Keïta risque de plonger le pays dans une situation encore plus indécise, son départ étant une condition non négociable pour la plupart des populations. Mais la CEDEAO se refuse, par principe, de collaborer avec des putschistes.

En plus d’être suspendu des instances de l’organisation sous-régionale, le Mali subit un blocus de la CEDEAO qui lui a fermé ses frontières. Mais, il faut aussi remarquer que ce blocus ne concerne que la moitié de la frontière malienne. L’autre, couvrant un espace peut être plus grand, est partagée avec l’Algérie et la Mauritanie qui ne font pas partie de la CEDEAO.

Lamine Diouf

MOR AMAR

 

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