Publié le 15 Apr 2024 - 18:28
SECTEUR DE LA PÊCHE EN CRISE

La plaie des sociétés mixtes

 

L’une des mamelles nourricières de la Petite Côte est la pêche. Le secteur, depuis plusieurs années, bat de l’aile avec des problèmes qui plombent son essor, malgré les nombreux projets et programmes destinés à remettre sur les rampes du développement la pêcherie au Sénégal. Avec l’arrivée du nouveau régime qui promet des réformes dans ce secteur, les acteurs lui demandent de ne pas rester dans le superficiel.

 

Les acteurs de la pêche artisanale de Mbour sont en phase avec le programme inscrit dans le Projet de Bassirou Diomaye Faye.

Toutefois, ils exhortent le président de la République et son gouvernement à ne pas se limiter à des réformes de surface, mais d’y aller en profondeur. Car, selon Gaoussou Guèye, président de l’APRAPAM (Association pour la promotion et la responsabilisation des acteurs de la pêche artisanale maritime au Sénégal), le plus grand mal dans le secteur de la pêche est l’existence des sociétés mixtes.

Pour lui, les réformes qui doivent s’opérer à ce niveau doivent être très profondes. ‘’Le principal problème du Sénégal, ce sont les sociétés mixtes. Une société, par exemple, qui a un capital de 100 mille francs qui demande des possibilités de pêche sur les petits pélagiques sur six navires, alors qu'un navire coûte un milliard. Ça me pose des problèmes. Et dire que le Sénégal doit détenir 51 %’’, s’interroge Gaoussou Guèye.

Le président de la CAOPPA (Confédération africaine des organisations professionnelles de la pêche artisanale) d’ajouter : ‘’Il me semble que le président la République, dans son discours à la Nation le 3 avril, a un peu brossé cela. Donc, il faut y aller en profondeur. Essayer de savoir et de comprendre comment ces sociétés ont été créées. À qui ça appartient ? Parce qu'elles utilisent le pavillon sénégalais avec des avantages au détriment des populations sénégalaises’’.

 ‘’Ces sociétés viennent concurrencer la pêche artisanale qui joue un rôle important dans le cadre de la sécurité alimentaire, de la stabilité sociale et de la création d'emplois. D'ailleurs, ce sont elles-mêmes qui parlent de la création d'emplois pour les jeunes Sénégalais. Il faut intéresser les jeunes à la pêche, il faut assainir le milieu et surtout avoir, tant au niveau de la pêche professionnelle qu'artisanale, des organisations professionnelles fortes, crédibles, démocrates, transparentes et surtout qui respectent les principes de la redevabilité’’, suggère-t-il.

Gaoussou Guèye estime, en outre, que ces sociétés mixtes n’ont aucune rentabilité pour notre pays. ‘’Si on a des navires chinois ou turcs, russes ou autres en sociétés mixtes, pourquoi ne pas aller directement signer avec ces pays des accords où l'argent va rentrer directement dans les caisses de l'État pour servir aux populations, si c'est nécessaire ? Mais aujourd'hui, en sociétés mixtes, ils utilisent le pavillon sénégalais, alors que personne ne sait ce qu'ils font, comment ils le font’’, fulmine M. Guèye.

 Le renforcement des corps de contrôle

Sur cette lancée, le président de la CAOPA pense que l’État serait plus efficace dans ce projet en donnant plus de force aux corps de contrôle du secteur de la pêche. ‘’Justement, c'est là où il faut les renforcer, les crédibiliser et surtout prendre des hommes, des techniciens qui aiment travailler pour le pays, qui aiment le pays et ne pas choisir des hommes à base de clientélisme parce qu'ils m'ont accompagné politiquement, ils sont dans mon parti, ou bien pour des raisons de copinage’’, indique Gaoussou Guèye, qui reste convaincu que dans le secteur, il y a des hommes qui sont crédibles, qui savent travailler qui sont imbus de probité morale extraordinaire.

Prenant au mot le nouveau régime qui prône la rupture, il ajoute : ‘’C'est par là qu'il faut commencer. Et les organisations professionnelles, également, il faut les renforcer, en termes de dynamique organisationnelle, fixer des critères pour pouvoir collaborer avec eux. Et surtout, que les informations puissent arriver à la base et prendre en compte les besoins des pêcheurs artisanaux, des femmes transformatrices, des mareyeurs, qui sont à la base. Et non pas se fier tout simplement sur une personne qui vient pour dire qu'il représente toutes les organisations. Il faut revoir tout cela.’’

Ainsi, Gaoussou Guèye appelle de ses vœux ‘’de très grandes concertations’’ dans leur secteur.  

L’aquaculture, une problématique à élucider

D’ailleurs, renseigne le président, les organisations de la pêche artisanale sont en phase avec le programme décliné par le président Bassirou Diomaye Faye, à une exception près. ‘’Nous nous focalisons sur leur programme, parce que ce sont eux-mêmes qui ont décliné un programme qu'ils ont proposé aux communautés côtières et aux Sénégalais en matière de pêche. Ils ont décliné des axes, à savoir attribuer une zone de 12 miles à la pêche artisanale ; aller vers des plans d'aménagement ; revoir les accords de pêche ; développer une aquaculture en mettant en place des industries d'aliments. Nous sommes en cohérence avec leurs propositions, sauf sur l'aquaculture’’, renseigne Gaoussou Guèye.

À l’en croire, les autorités devraient préciser aux acteurs le type d’aquaculture qu’ils veulent mettre en œuvre au Sénégal. Selon lui, ‘’si c'est une aquaculture qui est basée sur la farine de poisson, ce n'est pas en cohérence avec ce qu'ils veulent faire pour que le poisson soit accessible aux populations sénégalaises, surtout le ‘yaboye’ qui est la sardinelle‘’.

La pêche, un secteur en mal de statistiques fiables

Ainsi, Gaoussou Guèye est d’avis qu’il faut d’abord faire un état des lieux, pour arriver à une gouvernance et une gestion optimales du secteur de la pêche. ‘’Pour aller vers des plans d'aménagement, il faut d'abord faire l'état des lieux. C'est-à-dire faire une évaluation du potentiel halieutique, le stock. On a tendance à dire qu'au Sénégal, on débarque 400 mille tonnes, mais on n'a pas dit qu'on a capturé 50 mille tonnes ou 400 mille tonnes. Ce qui veut dire que le poisson qu'on a débarqué nous vient des pays limitrophes. Voilà également des choses qu'il faut revoir et donner la possibilité à la recherche de travailler d'une manière convenable, professionnelle et accessible pour qu'on ait des données et des statistiques fiables pour aller vers ces plans d'aménagement et une meilleure gouvernance des politiques de la pêche’’.

Dans la même veine, Gaoussou Guèye fait savoir que le secteur de la pêche est en mal de chiffres. ‘’Tout le monde le sait’’, martèle-t-il. ‘’Je prends un exemple : depuis 1980, on nous dit que nous sommes 600 mille dans le secteur de la pêche ; la population sénégalaise a évolué, nous ne savons pas le nombre de navires qui opèrent dans nos eaux, nous ne savons pas quel est le parc piroguier de la pêche artisanale, quel est le nombre de pêcheurs, quel est le nombre de mareyeurs, de femmes transformatrices et les activités connexes. Sur cette base, pour aller vers une bonne planification, ce serait indispensable de faire un état des lieux’’.

Sur les questions de la transparence, ‘’ce qu'on a toujours demandé, c'est la publication de la liste des navires qui opèrent au Sénégal. Sur le problème des accords de pêche, c'est bien de suspendre, de faire l'état des lieux de l'accord, mais le seul accord qu'on a c'est avec l'Union européenne et c'est un accord thonier et le thon n'appartient pas au Sénégal. L'Union européenne utilise les eaux sénégalaises pour capturer du thon et ce thon n'appartient pas au Sénégal. Elle paye des redevances pour utiliser nos eaux, elle donne de l'argent pour un appui sectoriel pour développer le secteur de la pêche surtout artisanale. Qu'est-ce qui a été fait de cet appui ? Il faut qu'il y ait de la transparence. Est-ce que ces activités ont été faites en parfaite collaboration avec les communautés côtières et les organisations professionnelles ?’’, s’interroge le président de l’APRAPAM.

Pour lui, tous ces problèmes font que maintenant, le secteur de la pêche ne se porte pas bien. ‘’Ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que la pêche est en crise ; ça, c'est clair. Cela, c'est parce qu'il y a la rareté des ressources. Même les consommateurs le sentent au niveau du panier de la ménagère. Et malheureusement, le Sénégal importe maintenant du poisson et quand vous allez dans les quais de débarquement, il y a beaucoup plus de poissons qui nous viennent de l'extérieur que du poisson débarqué’’, constate avec amertume Gaoussou Guèye.

IDRISSA AMINATA NIANG (Mbour)

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