Publié le 24 Jan 2019 - 15:19
SENEGAL

Et si le président Abdou Diouf se taisait

 

C’est avec stupéfaction et énervement que beaucoup de Sénégalais ont appris que le président Abdou Diouf a écrit au président Macky Sall pour le féliciter d’avoir réalisé le pont de Farafégny là où les présidents Senghor, Wade et lui-même (Abdou Diouf) ont échoué. Plus qu’un aveu d’échec, cette sortie du deuxième président de la République du Sénégal renseigne davantage sur l’état d’esprit d’un homme qui veut se trouver des alter-ego dans l’échec (« dafay woutt moroom ») pour ne pas rester seul dans la médiocrité.

Qu’est ce qui l’a empêché, quand il était aux affaires, alors qu’il en avait bien la possibilité, de réaliser cette infrastructure ? En effet, ce projet longtemps rêvé par l’Etat du Sénégal, s’est toujours heurté au niet catégorique ou au dilatoire de Banjul, surtout sous le règne du président Yaya Jammeh.

Le départ du pouvoir de l’enfant de Kanilaï, sous la poussée de la CEDEAO, avec un président Macky Sall qui y a joué un rôle important, a contribué à accélérer les choses, en forçant presque la main au président Adama Barrow. Cette position de force, pour dicter sa loi au président Gambien, le président Abdou Diouf l’a eue auparavant, lorsque l’armée sénégalaise a intervenu le 31 juillet 1981 en Gambie dans le cadre de « l’Opération Fodé Kaba II » qui consistait à faire échec à la tentative de coup d’Etat militaire dirigée par Kukoï Samba Sagna et qui projetait de renverser le Président Daouda Kaïraba Diawara.

Une opération qui s’est soldée par un échec du fait de l’intervention de parachutistes sénégalais qui ont mis en déroute les putschistes et ont rétabli le président Diawara dans ses fonctions. Et c’est en ce moment-là que le président Abdou Diouf, qui avait toutes les cartes en mains, devait tordre la main à son homologue gambien, redevable en tout, pour lui imposer l’édification du pont de la trans-gambienne. A la place, le président Abdou Diouf s’est contenté de jeter son dévolu sur une Confédération de la Sénégambie non-viable et qui souffrait d’une tare congénitale car étant une Sénégambie des Etats et non une Sénégambie des peuples.

 Le 1er février, Journée de la Confédération sénégambienne, était même décrété jour férié dans les deux Etats.  Naturellement, la greffe n’a pas pris et les deux Etats, le Sénégal et la Gambie, ont enfin reconnu que « les institutions de la Confédération tournaient à vide ». C’est donc le sens de l’opportunité, dont le président Macky Sall a fait montre ici, qui a fait défaut au président Abdou Diouf. Et on verra, dans les lignes qui suivent, que les rendez-vous manqués ont traversé toute la gouvernance du président Abdou Diouf.

Encore une fois, le président Abdou Diouf a raté une bonne occasion de se taire, lui le taiseux, au moment où presque tout le monde l’avait oublié et rangé dans les armoires de l’histoire. Mais, ce n’est pas la première fois que le président Abdou Diouf essaie de faire son come-back dans l’actualité. L’on se rappelle qu’en publiant ses Mémoires en 2014, le président Abdou Diouf voulait pour lui-même une sortie par la grande porte, qui plus est, avec les honneurs. Mais, c’était raté. L’exercice a eu un effet boomerang au regard des réactions suscitées par la sortie du brûlot qui s’est borné à attaquer ses anciens camarades du Parti Socialiste.

«Ma conviction est que si ce que vous dites n’est pas utile, mieux vaut ne pas l’écrire » s’était indigné feu-Mamadou Diop, ancien maire de Dakar. « Le fait de publier des mémoires, c’est un devoir pour chaque acteur politique. Mais, il faut toujours dire la vérité, toute la vérité. Sans parti pris, sans arrières pensées, sans sentiments, non plus. Sans  opinions biaisées. Ce qu’il a dit de moi, c’est faux, c’est totalement faux ! (…) «dafma yab» (il n’a aucune considération pour moi).  (…) C’est honteux que Diouf, pendant 20 ans de pouvoir, n’ait cru devoir que de raconter ces détails-là » avait renchéri feu-Djibo Leyti Kâ qui avait manqué de peu de s’étrangler de rage.

 Toujours est-il que ce livre du président Abdou Diouf avait bien secoué le microcosme politique sénégalais et d’aucuns s’étaient interrogé sur l’opportunité de sa parution à quelques encablures du XVème Sommet de la Francophonie que le Sénégal devait abriter les 29 et 30 novembre 2014. La volée de bois vert et la rafale de contre-offensives que le Président Abdou Diouf avait reçues de la part de ses « victimes » sont à la mesure de « l’affront » du successeur du président Senghor et prédécesseur du président Wade. Ce tir groupé et cette salve de critiques auraient pu lui donner l’envie de ravaler les propos tenus dans son livre. Surtout lorsque le Pr Iba Der Thiam, autre « cible » du livre, affirmait que « Diouf falsifie sciemment les faits », et allait jusqu’à sortir certains des « cafards » du président Abdou Diouf comme…son statut de picoleur qui fait qu’« il n’était pas maître de lui-même » au moment d’écrire son livre, comme ça lui arrive souvent quand il a trop levé le coude. Avouons que le président Diouf l’a bien cherché. Il n’a récolté que ce qu’il a semé.

Pour sa part, Oumar Khassimou Dia, ancien Directeur de cabinet du premier ministre feu-Habib Thiam, cité dans le livre, avait menacé Abdou Diouf
: "Ce sont des mensonges, je vais porter plainte pour injures".

Manifestement, le président Abdou Diouf a raté une belle occasion de s’effacer davantage, lui le taiseux, distant et trop détaché président de la République de l’époque. La montagne a accouché d’une souris. Le tollé qu’avait soulevé son livre montre qu’il est hors de propos.

Cela dit, c’est fou ce que les Sénégalais, amnésiques devant l’Eternel, peuvent oublier aussi vite ! Pour notre part, pour rafraîchir les esprits, nous nous sommes fait le plaisir de fouiller dans les archives, très récentes, pour ré-exhumer les véritables faits d’arme du président Abdou Diouf qui avait atteint un point d’aversion et de rejet de la part des Sénégalais si élevé qu’il lui était impossible de rempiler en l’an 2000, quel que fut son adversaire.

Un bref rappel historique du magistère du président Abdou Diouf, récit des années noires du Sénégal, avec tout ce qu’il charrie en termes d’infamies, de vacheries et de vilénies.

Un régime qui a une tare innée car pour sa toute première accession à la magistrature suprême, le président Abdou Diouf a bénéficié d’un coup de pouce du président Senghor par le truchement d’un article 35 de la Constitution d’alors, plus qu’anti-démocratique. Comme le disait le Pr Seydou Madani Sy dans son livre[i] : « En accédant au pouvoir en 1981, Abdou Diouf n’avait pas été installé suite à une légitimité populaire. Il lui manquait d’être élu ».

Choisi par le président Senghor dont il était le dauphin, et passablement accepté par les caciques du Parti Socialiste, le président Abdou Diouf installé dans ses nouvelles fonctions le 1er janvier 1981, s’est engagé dans une opération de liquidation des « barons » du PS par la création, par la loi 81-54 du 10 juillet 1981, d’une Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) pour leur mettre le couteau à la gorge. Mais, après avoir secoué pas plus que deux lampistes, la CREI va tomber en désuétude jusqu’en 2012 quand un certain Macky Sall, dont Abdou Diouf dit en aparté qu’il a plus d’atomes crochus avec lui qu’avec Abdoulaye Wade, pourtant son vrai mentor, va la réactiver pour solder des comptes personnels avec ses anciens « frères » libéraux, et singulièrement liquider Karim Wade, sa véritable cible.

Autocrate, et adepte de la répression brutale, le président Abdou Diouf n’est-il pas allé jusqu’en France, et sur le perron du Palais de l’Elysée, pour s’adresser à l’opposition de son pays, en des termes guerriers: « Je suis de taille à mettre tout le monde au pas » ?

Des marches de l’Opposition interdites et réprimées dans le sang, aux assassinats politiques, en passant par les emprisonnements, les cas de torture ou d’achat de conscience, les fraudes massives aux différentes élections, les bourrages d’urnes et l’accaparement de tous les leviers du pays par le parti-Etat-Ps, la « participation responsable » avec la CNTS de feu-Madia Diop, avec Abdou Diouf, c’est le modèle de démocratie sénégalaise qui s’est lézardé.

L’année 1988 aura été l’une des plus chaudes pour le président Abdou Diouf, quand le régime a vacillé et a été un moment au bord de la rupture. La situation insurrectionnelle qui a suivi l’élection présidentielle, avec un scrutin entaché de fraudes industrielles, avait poussé le président Abdou Diouf à décréter, le 29 février 1988, l’état d’urgence sur l’étendue du territoire de la région de Dakar. Le couvre-feu fut établi entre 21 heures et 6 heures du matin. Des dispositions draconiennes furent prises pour combattre les émeutes et les marches non autorisées. Une série d’arrestations furent opérées, dont celle de Me Abdoulaye Wade et de ses lieutenants. Par la suite, l’état d’urgence a été prorogé par décret du 11 mars 1988 avant d’être levé par un décret du 20 mars 1988.

Pire, le président Abdou Diouf aura fait quelque chose que même le président Macky Sall, du haut de statut de piètre démocrate, et malgré ses pratiques d’apprenti-dictateur, n’osera jamais faire : jeter en prison son challenger de l’élection présidentielle (Me Abdoulaye Wade, en 1993), après le scrutin et avant même la proclamation des résultats provisoires.

‘’Monsieur forages et  Madame moulins’’

Sur le plan économique, le président Abdou Diouf n’en mène pas large. Même s’il n’a pas eu la partie facile, avec les programmes d’ajustement structurel (PAS) dictés par les Institutions de Bretton Woods (Fonds Monétaire International, Banque Mondiale) ou la sécheresse prolongée dans le Sahel, le président Abdou Diouf n’a pas d’excuses valables pour justifier ses contre-performances, avec un gouvernement qui s’en remet à des pluies aussi hypothétiques qu’aléatoires, en priant que le ciel veuille bien ouvrir ses vannes pour arroser le pays. Aucune ambition dans la nécessité de la maîtrise de l’eau, malgré les promesses du barrage de Diama et le projet du Canal du Cayor devenu une arlésienne. Pas plus que la désalinisation de l’eau de mer et la maîtrise de l’énergie, pour un pays doté par la nature de plus de 500 km de côte et de plus de 3000 heures d'ensoleillement par an. Tout au plus, le président Abdou Diouf s’employait-il à creuser des forages et à laisser la première dame, Elisabeth Diouf, le soin d’offrir des moulins aux populations rurales. D’où les sobriquets de « Monsieur forages » et de « Madame moulins » que Me Abdoulaye Wade, un tantinet provocateur, avait affublés au couple présidentiel. Avec Abdou Diouf, c’était l’immobilisme.

Au surplus, par manque de vision, le président Abdou Diouf n’a jamais été en mesure de faire dans la prospective et penser, par exemple,  en termes de bassins de rétention, de lacs artificiels ou de pluies provoquées, de « cases des tout-petits », de « maisons de justice », etc. La mise en place d’infrastructures modernes et de « dernière génération » comme les autoroutes à péage, les échangeurs à lunettes, les grands axes routiers à 4 voies et équipées de toboggans, de giratoires ou de tunnels était pour eux une vue de l’esprit. Le Président Abdou Diouf n’avait jamais imaginé pouvoir désengorger les gares routières en centre-ville, à Dakar, pour en construire une qui soit ultramoderne et située dans la périphérie de la capitale sénégalaise. On parle aujourd’hui de la gare routière des Baux maraîchers.

Pour le président Abdou Diouf et son régime, Dakar pouvait se contenter éternellement du rustique aéroport Léopold Sedar Senghor de Yoff. Les montages financiers sous formes de BOT (Built Operate and Transfer) qui ont permis à notre pays de se doter d’un aéroport de standing international comme l’AIBD de Diass, sans grever le budget national, étaient inconnus de leurs politiques et pratiques. Le Sénégal qui devait se doter d’une plateforme aéroportuaire à la dimension de ses ambitions, vient d’étrenner un nouvel aéroport, un écrin aux normes internationales, et qui répond idéalement aux paramètres de compétitivité mondiale.

‘’Logé, nourri et blanchi aux frais de la princesse’’

Il faut aussi rappeler qu’au moment de quitter le pouvoir, le Parti Socialiste avait laissé aux Dakarois un secteur de transport en commun en lambeaux, après avoir mis à genoux la SOTRAC, une société qui était quasiment à l’arrêt voire au terminus. Les chemins de fer avaient déraillé. Les voyageurs du trafic intra-urbain, laissés à la merci des « cars rapides », des « Ndiaga Ndiaye » et des « clandos ». La mobilité urbaine n’existait plus que de nom.

Avec la tenue à Dakar du XVème Sommet de la Francophonie (29 et 30 novembre 2014), le Président Abdou Diouf avait opéré un retour au bercail alors qu’il s’était retiré en France après la perte du pouvoir. Dans son pays, il n’a même pas de pied-à-terre, pas une seule maison qui lui appartient. On connaît « Keur Senghor » ou « Les Dents de la mer » à Fann-Résidence, « Keur Ablaye Wade » au Point E, et « Keur Macky Sall » à Fenêtre Mermoz. Mais on n’a jamais vu ou entendu « Keur Abdou Diouf » quelque part au Sénégal. Puisqu’il n’y possède même pas de piaule, à chaque fois qu’il débarque au Sénégal, son pays natal, qu’il a gouverné pendant 19 ans, après en avoir été le premier ministre pendant 10 ans, l’illustre sans domicile fixe (SDF) loge à l’hôtel, à moins de squatter les manoirs de l’Etat, à lui affectés par le président Macky Sall, qui en a fait son nouveau mentor. Belle leçon de patriotisme ! C’est triste de voir toujours le célèbre sans-logis de Abdou Diouf se faire héberger par Macky Sall, qui met à sa disposition les appartements luxueux du Petit Palais ou de la Résidence Pasteur où il se prélasse et se la coule douce pendant tout son séjour. Bref, il est logé, nourri et blanchi aux frais de la princesse.

Quel anti-modèle pour quelqu’un qui a été gouverneur de région à l’âge de 25 ans, premier ministre à l’âge de 35 ans et président de la république à l’âge de 45 ans, avec en prime, 10 années à la primature en tant que chef du gouvernement (1970-1980) et 19 années de magistrature suprême en tant que chef de l’Etat.

Dans le registre des bourdes langagières, on se rappelle ses fameuses insultes adressées aux jeunes de son pays qui l’avaient chassé de la Place de France à Thiès à coups de pierres à l’occasion de la campagne électorale de 1988. Diouf avait alors vitupéré « Cette pseudo-jeunesse, cette jeunesse malsaine ». On n’oublie pas aussi l’épisode où il traitait Abdoulaye Wade de « brigand et bandit de grand chemin » ou enfin quand, à l’occasion d’une adresse à la Nation, il a prononcé cette phrase qui a fait siffler les oreilles des Sénégalais : « Yeen ñepp maay seen baay ». Traduction malheureuse de l’expression « Je suis le père de la Nation ».

C’est sous le régime du président Abdou Diouf que la rébellion casamançaise conduite par le Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) a été déclenchée le 26 décembre 1982. L’armée sénégalaise aura payé un très lourd tribut dans l’irrédentisme casamançais, avec des pertes énormes dans les rangs des soldats sénégalais piégés dans le maquis à Santhiaba Mandjack, Babonda, Mandina Mancagne, Effok, Djirak, Kaguitt ou Boutoute, des lieux synonyme d’horreur et d’effroi pour l’armée nationale du Sénégal et qui révèlent à l’opinion publique l’atrocité du conflit casamançais. C’est sous le régime du président Abdou Diouf que Me Abdoulaye Wade et quelques leaders l’opposition, dont le Pr Abdoulaye Bathiliy, et des responsables de la société civile ont été arrêtés et emprisonnés en 1985 suite à une marche à Dakar contre le système odieux de l’Apartheid en Afrique du Sud.

C’est sous le régime du président Abdou Diouf que, suite à une grève pour protester contre la condamnation de 2 agents de police pour faits de torture sur des personnes en garde à vue, 1485 policiers ont été radiés de la Fonction publique le 28 avril 1987. Comme effet collatéral de la radiation des policiers, le Commissaire Cheikh Sadibou Ndiaye, ex-Directeur de la Sécurité Publique (DSP), qui détenait beaucoup de secrets inaltérables, sensibles, très compromettants et jalousement gardés, et qui menaçait de faire des révélations contre le régime socialiste, a été tué dans des conditions et des circonstances nébuleuses et où la main de l’intrigant Jean Colin, éminence grise du régime de Diouf, aurait trempé. C’est sous le régime du président Abdou Diouf que s’est déclenché, en 1989, le conflit entre le Sénégal et la Mauritanie de Maouya Sid Ould Ahmed Taya avec le carnage, en Mauritanie, des Harratines et des Negro-mauritaniens par la majorité Beydane, suivi d’une vendetta au Sénégal où, pour la première fois dans l’histoire du pays, on a assisté à une chasse à l’homme (ou plutôt, une chasse au naar) à travers les villes et les campagnes où, des êtres humains, ressortissants de la Mauritanie notamment, sont pourchassés, traqués et… égorgés vifs et en plein jour.

 Sous le régime du président Abdou Diouf, le Sénégal a payé un lourd tribut lors de la Guerre du Golfe. Le 21 mars 1991, 92 militaires sénégalais engagés dans le cadre de l'opération «Tempête du désert», sont tués suite à l'accident de l'Hercule Saoudien qui les transportait du retour de la Oumra. Les monarchies du Golfe déboursent 91 milliards de francs CFA pour dédommager les familles des victimes. Mais 500 millions de francs CFA seulement arrivent effectivement dans leurs mains, le reste disparaissant mystérieusement dans les caisses de l'État. C’est sous le régime du président Abdou Diouf que la baisse des salaires est intervenue en 1993, suivie de la dévaluation du franc CFA en 1994. Dans la même année, le 16 février 1994, sept (7) policiers sont tués à l’arme blanche sur le Boulevard Général de Gaulle, au sortir d’une manifestation de l’Opposition et des Moustarchidines. C’est sous le régime du président Abdou Diouf que le Sénégal a connu sa première « bombe chimique » avec l'explosion, le 24 mars 1992, dans l'usine de la SONACOS sise à la rue Amilcar Cabral/angle rue Rocade Fann-Bel air, d'une citerne qui transportait de l’ammoniac. 

Ce jour-là Dakar a vécu l’horreur. Les gens tombaient comme des mouches. Un vrai Tchernobyl sénégalais. L’accident a fait 129 morts et plus d’un millier de blessés évacués à l’hôpital principal, au CTO et à l’hôpital Le Dantec. Les tâtonnements de l’Etat et le manque notoire de moyens de secours ont mis du plomb dans l’aile du Plan Orsec, d’où une inefficacité des opérations de secours d’urgence. Aujourd’hui, les victimes encore en vie de cette catastrophe, en gardent des séquelles à vie. C’est sous le régime du président Abdou Diouf que le juge Babacar Sèye, vice-président du Conseil Constitutionnel, a été assassiné le 15 mai 1993. C’est sous le régime du président Abdou Diouf que le Parti Socialiste a tenu, en 1996, son fameux « congrès sans débat » qui a mis en face les « légitimistes » incarnés par les « barons » et les « refondateurs » conduits par Ousmane Tanor Dieng, le préféré du président Abdou Diouf. Résultat des courses : Moustapha Niasse claque la porte du Parti Socialiste, et crée l’AFP, suivi plus tard par Djibo Kâ, qui crée l’URD.

‘’Desenghorisation’’

 C’est sous le régime du président Abdou Diouf que le Sénégal a connu une « année blanche » en 1988 et l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar une « année invalide » en 1994. C’est sous le régime du président Abdou Diouf que le jeune Idrissa Sagna, élève au lycée Djignabo de Ziguinchor, a été abattu le 11 janvier 1981 par la police lors d’une manifestation scolaire durement  réprimée. C’est sous le régime du président Abdou Diouf que le système éducatif sénégalais a connu les premiers recrutements farfelus d’enseignants avec les « MOSA » et les « ailes de dinde » du ministre Djibo Leïty Ka. Une génération d’enseignants sans formation préalable, au niveau d’instruction très bas et à qui l’Etat avait confié l’éducation de ses enfants censés être l’avenir de la Nation. Pire, des générations d’élèves sacrifiées et qui vont trainer leurs lacunes durant tout leur parcours. De là date la baisse drastique du niveau de nos élèves et étudiants plus proches de cancres que de cracks.

Par ailleurs, le président Abdou Diouf a été accusé de « parricide » et d’ingratitude envers le président Senghor. Il ne s’est jamais rendu à Verson, village normand où Senghor a vécu les dernières années de sa vie. Abdou Diouf a aussi conduit la « desenghorisation » du temps du vivant de son « père spirituel » dont il fut le premier ministre avant de lui succéder. En effet, le président Senghor a été malmené par Abdou Diouf à son départ du pouvoir. Comme le disait Théodore Adrien Sarr, archevêque de Dakar : « Senghor a fait son chemin de croix avec Abdou Diouf ».

Mais, le monde a été estomaqué de constater, pour le déplorer, l’absence du président Abdou Diouf, le 29 mars 1983, à la cérémonie d’intronisation de Senghor, sous la Coupole où, élu à l’Académie française, l’ex-président-poète occupait le fauteuil n°16 du duc de Levi-Mirepoix. Aux obsèques de Léopold Sédar Senghor à Dakar, le 29 décembre 2001, le président Abdou Diouf, royalement snobé et mis à l’écart, s’est fondu dans la masse comme un illustre inconnu.

Pour l’ensemble de son œuvre, le président Abdou Diouf, dont pratiquement chaque sortie publique fait grand scandale, ferait mieux de se taire. Pour de bon.

Pape SAMB

NB : Les intertitres sont de la Rédaction

 

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