Publié le 8 Feb 2017 - 20:58
SENEGAL, MAROC ET MAURITANIE

Le choc des intérêts

 

A cause de son rapprochement avec le Maroc et leurs positions communes sur des questions stratégiques dans le continent, le Sénégal entretient des relations plutôt tendues avec certains pays africains dont son voisin immédiat, la Mauritanie, ou encore l’Algérie. Au regard des positions assumées et affichées par la diplomatie sénégalaise,  et nonobstant le revers essuyé par son candidat à la présidence de la Commission de l’Union africaine, il paraît de plus en plus clair que les enjeux vont plus loin qu’une simple course au prestige.

 

Dans son édition du 25 janvier dernier, Le Quotidien d’Oran avait nommément accusé le Sénégal d’"obéir au doigt et à l’œil au royaume du Maroc", en menant campagne pour le retour du royaume chérifien au sein de l'Union africaine. Et de fait, de militer pour l'exclusion de la République arabe sahraouie démocratique de l’organisation africaine. Apportant la réplique à ce journal, l’ambassadeur du Sénégal en Algérie, Papa Omar Ndiaye, avait  défendu le droit du Maroc d’adhérer à l’Union africaine. Avant de faire cette mise au point : "Le Sénégal est un pays souverain, totalement indépendant dans ses prises de position, qui a toujours fondé ses actes sur des principes." Un soutien, jusqu’en terre algérienne, qui a beaucoup dérangé.

Mais il est clair, selon des sources diplomatiques, que le Sénégal n’a pas fait que parrainer la candidature du Maroc. Car, d’autres enjeux entrent en compte dans le choix de la ligne adoptée par Mankeur Ndiaye et ses collaborateurs, même s’ils ne l’avouent pas. Il y a l'attrait économique et l'influence croissante du Royaume sur le continent africain. D’ailleurs, le Maroc ne rate plus l’occasion de montrer cet intérêt. Dans les dernières heures de la crise politique en Gambie, beaucoup se sont demandé quel intérêt avait le Maroc de vouloir jouer sa partition et convaincre Yahya Jammeh de quitter le pouvoir. Ces sources diplomatiques de dire que l’intervention du Maroc dans ce dossier n’était pas inconnue du Nigeria et du Sénégal, principaux moteurs de l’action diplomatique et militaire de la CDEAO en Gambie et alliés du Maroc en Afrique.

De grosses ambitions économiques sur l’axe Dakar-Abuja-Rabat

Elles notent que le Maroc entretient des relations diplomatiques, et surtout économiques de plus en plus fortes avec ces deux pays. En effet, selon nos interlocuteurs, aussi bien le Maroc, le Nigeria que le Sénégal souhaitent la création d’un espace politique apaisée et stable dans la sous-région ouest africaine pour tirer profit de son vaste potentiel en ressources énergétiques. Il s’agit surtout de rentabiliser les gros gisements de gaz dans ces pays, en réduisant au maximum les divergences susceptibles de mettre de l’ombre sur leurs intérêts économiques communs. Si bien que Dakar, Rabat et Abuja échangent beaucoup sur des questions d’ordre géopolitique, régional, comme dans le cas du dossier gambien.

D’ailleurs, la preuve de cette nouvelle approche est le projet de pipeline Afrique Atlantique, qui doit aider l'Afrique de l'Ouest à renforcer sa sécurité énergétique, tout en acheminant du gaz jusqu'en Europe. Le roi Mohammed VI, dans son discours sur le bassin versant, avant le 28e sommet de l'Union africaine qui s'est tenu à Addis-Abeba, du 30 au 31 janvier, a confirmé la signature de cet accord en décembre dernier. Les fonds souverains du Maroc et du Nigeria vont développer conjointement le gazoduc qui va s’étendre sur environ 4 000 kilomètres le long de la côte ouest-africaine, du Nigeria au Maroc, sur un tracé encore à déterminer. A Dakar, on sait que ce projet prévoit de connecter le Sénégal, le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d'Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie et la Mauritanie. Et c’est là tout le problème.

Mauritanie, la crainte de l’isolement politique

float:left;margin-right:10px;float:leftPrincipale alliée de l’Algérie, grand rival du Maroc et souteneur inconditionnel de la République arabe sahraouie démocratique, la Mauritanie s’avère être un obstacle de taille à la réalisation de ces ambitions. Même si, récemment, le groupe BP a annoncé un investissement d'environ 1 milliard de dollars US pour développer les réserves de gaz en mer au large de la Mauritanie et du Sénégal et créer un nouveau centre de gaz naturel liquéfié (GNL), les deux pays sont en proie à de vives tensions diplomatiques. La gâchette facile des garde-côtes mauritaniens qui ont ouvert le feu sur des pêcheurs sénégalais dans les eaux mauritaniennes, l’appel d’un journaliste sénégalais aux Harratines à user de moyens forts pour se libérer de l’esclavage en Mauritanie, ainsi que les tracasseries aux frontières entre les deux pays, ne font rien pour apaiser la situation.

Pourtant, il a fallu des concessions pour obtenir les accords de prêt pour le financement de la construction du pont de Rosso. Le Sénégal est chargé de la gestion du projet, une concession faite par Nouakchott. Tandis que la Mauritanie va abriter le siège de l’autorité gestionnaire. Ce qui montre que les deux pays peuvent s’entendre, s’il y a une volonté politique réelle des deux côtés. Selon des diplomates des deux pays, les tensions entre la Mauritanie et le Maroc, d’une part, et les provocations à l’endroit du Sénégal, d’autre part, sont surtout des signes d’une crainte d’un isolement diplomatique manifeste du voisin sénégalais. Qui pense pouvoir forcer la main à ses interlocuteurs afin d’en tirer plus de respect et de considération. Et selon l’une de ces sources, en Mauritanie, certains voient mal que le pays fasse certaines concessions au Maroc et au Sénégal sur des questions ayant trait à la fierté nationale.

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’activisme débordant du Président mauritanien dans la crise gambienne, nous indique notre source. Mais elle ajoute qu’à Nouakchott comme à Dakar, on est conscient du besoin de bâtir des relations apaisées dans l’intérêt des deux pays. D’autant que les deux pays se sont engagés à approuver, d’ici la fin de l’année 2017, où au plus tard en début 2018, la décision finale d’investissement sur leurs gisements communs de gaz. Pour cela, ils devront nécessairement dépassionner leurs rapports diplomatiques et leurs relations bilatérales.

MAME TALLA DIAW

 

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