Publié le 21 Jul 2017 - 03:26
SENEGAL

Violences tous azimuts : avis de tempête sur les Législatives

 

Ces derniers jours, les usagers de la corniche-ouest de Dakar n’ont pas manqué de constater que beaucoup de panneaux géants de publicité qui jalonnent ces deux routes parallèles ont été badigeonnés à tel point que les photos et les écritures qui leur donnaient un éclat et certain relief sont devenues totalement invisibles. Une autre forme de violence qui vient s’ajouter à celles, plus classiques, qui ont émaillé la campagne électorale depuis son ouverture officielle, le vendredi 9 juillet 2017.

Une observation minutieuse, permet de constater que les affiches qui ont subi la furie des vandales sont celles qui portent les photos de Me Abdoulaye Wade (Coalition gagnante Wattu Senegal), Khalifa Sall (Coalition Mankoo Taxawu Senegaal) et Abdoul Mbaye (Coalition Joyyanti). A qui profite le crime ? Le doute n’est plus permis pour désigner le coupable qui est tout trouvé. Maintenant, a-t-on vraiment besoin de recourir à ces méthodes anti-démocratiques quand on s’estime largement majoritaire dans le pays ? Disons-le net, le ridicule ne tue plus au Sénégal.

Fait notable pour être souligné, c’est principalement dans sa deuxième semaine que la campagne électorale s’est emballée, avec une poussée de violence qui a atteint, par moments, des sommets insoupçonnés. Les paroles ont commencé à voler bas et les voies de fait de plus en plus corrosives.

Le vendredi 14 juillet, à Thiarny (village natal de Djibo Leyti Kâ) trois individus sont blessés à coups de couteau au cours des affrontements survenus lors de l’installation du comité électoral Benno Bokk Yaakaar, entre les partisans du maire de la ville, Maham Kâ, responsable de l’Union du Renouveau Démocratique (Urd) et ceux de l’Alliance pour la République (Apr) favorables à Me Daouda Kâ, adjoint au maire de ladite localité.

Le même jour, à Dakar, il y a eu des échauffourées à Grand-Yoff, fief du maire de Dakar Khalifa Sall, entre la caravane de Benno Bokk Yaakaar amenée par Mame Mbaye Niang, Youssou Ndour et Souleymane Jules Diop et des jeunes du quartier supposés appartenir à Mankoo Taxawu Senegaal. Le bilan de la castagne est de plusieurs blessés, tous acheminés au centre de santé Nabil Choucair de la Patte d’oie. Après cet échange d’animosités, les deux camps se renvoient la balle de la responsabilité.

« C’est eux qui nous ont attaqués » accuse Madiop Diop, maire de la commune de Grand-Yoff, soutenu par Barthélémy Dias: « Nous n’avons fait que répondre à la provocation. Je leur réponds par le mépris et le silence et leur donne rendez-vous le jour et sur l’itinéraire qu’ils souhaitent ». En riposte à la déculottée subie par la caravane de Benno Bokk Yaakaar, le ministre Mame Mbaye Niang a cru devoir répliquer en montrant qu’en matière de courage, il en a à revendre : « Nous ne sommes pas des peureux. Si on abdique parce que il y a quelques voyous qui ont décidé de saboter, nous avons les moyens de saboter aussi. Moi je vais retourner à Grand-Yoff et on va jouer à ce jeu-là ». 

Dès le lendemain, samedi 15 juillet 2017, des affrontements ont eu lieu au quartier dakarois de la Médina où la caravane de Benno Bokk Yaakaar conduite par Mame Mbaye Niang (toujours lui), secrétaire général en charge de la jeunesse de l’Apr et le directeur des impôts, Cheikh Bâ, s’est violemment heurtée avec les hommes de Bamba Fall, maire de la localité. Arrivés à hauteur du marché Tilène, les deux camps se sont livrés à une violente bagarre au cours de laquelle pierres et coupe-coupe ont été brandis. C’est la police qui est finalement intervenue pour disperser les deux parties, évitant ainsi que le pire et l’irréparable ne se produisent.

Le même samedi 15 juillet, lors du meeting de Ndiagne Diop à Sangalkam et celui de son rival Mamadou Sall Diop à Bambilor les gardes du corps des deux camps se sont violemment frottés. A l’issue la bataille, Mamadou Seck surnommé ‘’Feu rouge’’, garde de corps du ministre-maire de Sangalkam, Oumar Guèye, a perdu ses trois doigts après avoir reçu des coups de machette. Le pauvre ! Acheminé à l’hôpital de Pikine pour des soins intensifs, le gros du ministre rumine sa colère.

Le lundi 17 juillet, à Labgar (Département de Linguère) le maire Apr de la commune, Idrissa Diop, a été atrocement poignardé à hauteur de la cage thoracique par un conseiller municipal, du nom de Issakha Boffène Dia, membre de la tendance rivale, lors de la mise en place du comité électoral communal. Grièvement blessé, l’édile de Labgar a été transféré en piteux état dans un hôpital de Dakar. Epilogue d’une guerre fratricide inter-Apr qui n’a pas encore fini de dérouler son cortège macabre qui n’est pas dirigé seulement vers l’opposition, mais qui décime le parti à l’interne.

Le mardi 18 juillet, la violence électorale s’est encore invitée à Rufisque. En effet, une vive rixe a opposé au quartier Arafat les caravanes du ministre Oumar Guèye de Benno Bokk Yaakaar, d’une part, et de Mankoo Taxawu Senegaal, d’autre part, conduite par la tête de liste départementale, le Dr Oumar Cissé qui, aux côtés du député sortant du parti Rewmi, Thierno Bocoum, distribuait des spécimens de bulletins de vote. Très vite, les hostilités ont commencé. La sécurité du ministre Oumar Guèye, armée de machettes, de teasers, d’armes à feu et de gourdins s’est attaquée au camp adverse, n’épargnant même pas, dans leur furie, un photographe, supposé neutre, mais qui a eu le tort de vouloir immortaliser la scène de guerre. Il a été pris à partie et son matériel détruit.

Aujourd’hui, la violence entre le pouvoir et l’opposition n’est pas loin d’atteindre son paroxysme. Dans un camp comme dans l’autre, on se promet mutuellement l’enfer et les différentes caravanes embarquent des armes de toutes sortes : coupe-coupe, machettes, projectiles, armes à feu et autres, pour parer à toute éventualité. Exit la force des arguments pour emporter l’adhésion des électeurs. Place à l’argument de la force pour menacer, intimider, installer la peur et la terreur dans le camp d’en face. C’est un vent de violence qui souffle sur tout le pays et semble donner raison aux Saltigués dont les dernières prédictions, qui font froid dans le dos, sont en passe de s’avérer justes.

Il n’en fallait pas plus pour que le président Macky Sall tape sur la table et menace : « La campagne électorale n’est pas une raison pour violer les lois et règlements. Elle ne peut aucunement servir de prétexte pour violer allègrement les lois du pays et verser le sang. Je voudrais que tout le monde le comprenne. Je ne vais jamais le tolérer. Celui qui voudrait transgresser les lois va faire face à la justice. Nous ne laisserons pas brûler ce pays sous prétexte qu’on est en campagne électorale ». Cette sortie présidentielle musclée, sans doute adressée aux fauteurs de troubles de tout bord et aux trublions invétérés, a été faite le 16 juillet dernier, lors de la levée du corps de Cheikh Mbengue, ancien directeur général de l’Agence de la couverture maladie universelle. Mais, ces mises en garde du président de la république sont lettres mortes et semblent tomber dans des oreilles de sourds car, à peine ces paroles du chef de l’Etat débitées, voilà que Barthélémy Dias rue dans les brancards et avertit : « La violence n’a pas encore commencé, c’est la rétention des cartes qui en sera l’origine ».

D’un côté comme de l’autre, on joue à se faire peur tout en rejetant sur l’autre la responsabilité de la première provocation. Suffisant pour dire que la violence ce n’est pas seulement dans les actes, le discours violent est aussi bien là et a le don d’envenimer la situation et de radicaliser les positions. C’est le temps des insultes et des caractérisations qui portent en elles-mêmes les germes de la violence comme lorsque Cheikh Oumar Hanne, tête de liste de Benno Bokk Yaakaar dans le Département de Podor, parlant du retour de Me Abdoulaye Wade au Sénégal déclare sans retenue : « Les gens sont sortis parce qu’ils considèrent Wade comme une momie. Ils sont sortis pour le voir ». De tels propos injurieux et stupides sont symptomatiques d’une pauvreté du discours politique et d’un déficit de projet de société sérieux et crédible. Une marque de fabrique chez nos politiciens.

C’est dans ce contexte de chienlit sur le champ politique qu’on a constaté que la violence n’est pas seulement circonscrite dans le landerneau de la politique politicienne, pas plus qu’elle n’en est l’apanage. En effet, le 15 juillet 2017, des supporters aussi bêtes que violents ont semé la mort et la désolation au stade Demba Diop. Outre les huit (8) morts enregistrés, plus d’une centaine de blessés ont été dénombrés dont certains ont besoin d’être transfusés en sang. Résultat des courses, les gens affluent au Centre national de transfusion sanguine (Cnts), qui ne désemplit plus, pour faire des dons de sang suite aux appels lancés à l’endroit des populations, à travers les médias et sur les réseaux sociaux, pour les inviter à donner de leur sang au profit des victimes de la tragédie de la finale de la coupe de la ligue de football.

Un geste humanitaire qui réjouit les responsables et les agents du CNTS jadis snobés et qui ont déploré tout le temps les pénuries fréquentes au niveau de la banque de sang de cette structure. Actuellement, des centaines de poches de sang sont remplies en un temps record, ce qui tend à combler le gap chronique qui mettait beaucoup de vies en danger et obligeait les agents du CNTS à faire du maraudage pour collecter du sang face à l’indifférence des populations. Comme quoi, à quelque chose malheur est bon. Il a fallu qu’il y ait ce drame pour que, l’émotion aidant, les populations, jadis réticentes et qui trainaient toujours les pieds quand il s’agissait de faire un don de sang, deviennent tout d’un coup sensibles à ce devoir ô combien sacré. On ne le répétera jamais assez, les populations ne doivent pas attendre qu’une catastrophe arrive, pour penser à sacrifier à ce geste qui sauve des vies, car le temps qu’elles se rendent au niveau des structures de transfusion sanguine, beaucoup d’eau peut couler sous les ponts.

Combien de nécessiteux sont passés de vie à trépas parce qu’au moment où ils ont été évacués aux urgences, les banques de sang étaient désespérément vides ?  La régularité des dons de sang, qui ne doivent pas être conjoncturels,  contribuera à éviter une telle situation. L’Etat a le devoir d’installer partout dans le pays des structures de transfusion sanguine car Dakar ne doit pas être le pourvoyeur de sang du reste du pays alors qu’il n’arrive pas à faire face à ses propres besoins en la matière. Quoi qu’il en soit, il est admis que la violence est inutile et handicapante car le sang collecté pour les blessés des violences électorales, pire pour des choses qui n’en valent pas la peine, pouvait servir plus utilement pour soulager les femmes en couches qui perdent beaucoup de sang lors des accouchements, pour les hémodialysés ou pour les accidentés de la circulation. C’est dommage de vider toutes les réserves des banques de sang pour des politiciens qui s’entretuent et qui se donnent des coups de machettes dans des affrontements qui ne sont mus que par leurs intérêts bassement personnels alors que de l’autre côté, faute de sang, des femmes perdent la vie en donnant la vie car, au moment fatidique, l’on s’est retrouvé avec une pénurie de sang.

Cela dit, de la même façon que les différentes coalitions ont observé une pause d’au moins 24 heures, pour s’incliner devant la mémoire des victimes du stade Demba Diop et compatir à la douleur des familles éplorées, leurs leaders respectifs doivent aussi, sans délai, signer entre eux un pacte de non-agression, de culture et de promotion de la paix, avant, pendant et après le scrutin législatif. Une sorte de gentlemen agreement, à défaut de quoi, on risque de s’acheminer vers des jours difficiles, avec une montée des périls et une surenchère aveugle à même de menacer la tenue des élections législatives le 30 juillet prochain. Terrible perspective pour un pays catalogué il n’y a pas longtemps comme la vitrine de la démocratie en Afrique mais qui, du fait de l’inconséquence et de l’irresponsabilité de sa classe politique, montre son visage le plus hideux car balafré par des agissements puérils et « violentogènes » qui portent atteinte à la stabilité sociale et à la paix civile.

 

Pape SAMB

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