Publié le 20 Mar 2018 - 12:44
SENEGALAIS TUES EN ESPAGNE

Les raisons des drames 

 

Un point de vue légaliste contre un autre plus paternaliste. Deux dirigeants d’associations de Sénégalais en Espagne analysent différemment les échauffourées qui ont coûté la vie à deux compatriotes. Avec comme seul point de recoupement l’intrusion fatale de la politique politicienne.

 

‘‘La Faosse réitère sa confiance aux autorités diplomatiques et consulaires, et espère que lumière soit faite sur tous les cas de décès de Magatte Fall à Almeria, de Mor Sylla à Salou, d’Abdoulaye Mbengue à Palma de Mallorca, d’El hadj Ndiaye à Pampelune, entre autres, survenus dans des circonstances encore non éclairées’’. Dans son communiqué d’hier, la Fédération des associations et organisations sociales sénégalaises (Faosse) n’est pas exhaustive dans son énumération. Les deux derniers cas - Mame Mbaye Ndiaye et Ousseynou Mbaye - qui ont fait déborder le vase de la communauté sénégalaise d’Espagne, y sont certes mentionnés. La condamnation et l’exigence d’une réponse claire ont suivi ainsi que l’annonce de l’ouverture d’une enquête par le chef de la diplomatie sénégalaise.

Après les attentats de New York en 2001 et la crise économique et financière de 2008, l’éclosion des droites et extrêmes droites dans le Nouveau monde et dans le Vieux continent ont mis la question de l’immigration au-devant de la scène. Les immigrés (sénégalais), les sans-papiers et les demandeurs d’asile ne sont plus à la fête. Mais l’ancien secrétaire général de l’Association des Sénégalais d’Espagne (1995-2002), Tafsir Dia, s’interdit toute corrélation de cause à effet.

‘‘A Madrid, on peut dire que c’est l’extrême gauche qui est au pouvoir. Depuis 1987, elle n’y était pas arrivée. Durant tout le temps que j’ai vécu en Espagne, je n’ai pas vu une manifestation de cette trempe dans ce quartier de Lavapiès de Madrid, alors que la droite y était’’, lance-t-il au bout du combiné. Contacté hier par téléphone, il a préféré mettre les immigrés, et surtout les associations, en face de leurs responsabilités, tout en regrettant les ‘‘malheureux incidents’’ de jeudi et vendredi derniers. Même s’il n’excuse pas la ‘‘réaction de la police espagnole’’, la montée des extrêmes politiques n’est pas la bonne clé de lecture, selon lui.

 Le rapport 2015 d’Eurostat fait état de moins de 7 % d’étrangers vivant dans l’Union européenne sur 507 millions d’habitants.

Mais le président de la Coordination des associations sénégalaises de l’archipel des Canaries, Madiop Fall, est d’un avis tout à fait antagonique. ‘‘La loi sur les étrangers (Ley de Extranjeria) en Espagne ne favorise en aucun cas une bonne intégration de ceux pour laquelle elle est faite. Elle devrait être revue et corrigée, mais je reconnais que c’est le cadet des soucis du gouvernement actuel, pour une raison de priorité et de demande sociale. C’est une loi injuste et inhumaine qui empêche la régularisation d’une personne qui accède au pays d’une manière illégale’’, s’est-il désolé hier en répondant à nos questions. 

 Selon les chiffres de l’Organisation internationale de la migration (Oim) sur les flux de migration globale, les immigrants sénégalais constituaient 1,74 % de la population totale, en 2015. Les statistiques ne sont pas disponibles entre le Sénégal, l’Italie et l’Espagne, mais les statistiques avec la France donnent une idée de mouvements excédentairement déséquilibrés. Alors que 117 870 Sénégalais vivent en France, seuls 13 391 Français vivent au Sénégal. L’autre destination favorite, les Usa, accueille 38 148 Sénégalais, alors que le ‘’pays de la Teranga’’ ne compte que 773 Américains.

‘‘On fait la confusion entre la vente ambulante et la vente à la sauvette’’

Finie la belle époque de l’immigration où les travailleurs étaient accueillis à bras ouverts dans les pays européens. Dans les années 1980 à 2000, alors qu’un pays comme la France sortait de ses Trente Glorieuses, que des pays comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, en pleine expansion économique, raffolaient d’une main d’œuvre pas très coûteuse et très productive, que les visas ‘‘taf-teppi’’ n’avaient pas encore cédé la place à la précision de la biométrie, migrer dans l’Ouest ou le Sud européen était un soulagement pour les pays d’accueil. La majorité des migrants sénégalais sont, en général, des migrants économiques. Leur quotidien est simple et compliqué à la fois : vendre des accessoires de grandes marques contrefaits et, par conséquent, rythmer leurs journées à des parties de cache-cache avec les services d’ordre de ces pays. Le manque de qualification est un sérieux problème pour ces compatriotes issus soit de la migration clandestine, ou soit étant des sans-papiers. La seule alternative qui s’offre le plus souvent à eux est la vente à la sauvette.

‘‘Si l’on vend des sacs avec des logos connus et qui sont de la contrefaçon, la police peut nous coller un procès au pénal. On s’en sort avec 6 mois à 1 an de prison. Mais on n’a pas peur de la prison. L’essentiel, c’est qu’on puisse s’en sortir et envoyer de l’argent à la famille’’, expliquait Ndiaga Ba à Sabine Cessou de la Rfi en août 2015.

Pour le cas actuel en Espagne, Tafsir Dia constate que la situation n’a pas évolué depuis, et analyse cet état de fait sans complaisance.  ‘‘On fait la confusion entre la vente ambulante et la vente à la sauvette. La première est une activité légale et bien régulée, normée et pratiquée selon les saisons ou les mois ou les jours, l’heure, dans des lieux très précis. Il y a des Sénégalais qui y évoluent et d’autres qui sont dans la vente à la sauvette. Celle-ci se fait dans des endroits très courus, très spéciaux, stratégiques. Il y a des commerces qui paient des impôts naturellement, et quand ils voient d’autres individus mettre les étals devant leurs boutiques et vendre la même chose qu’eux à un prix qui défie toute concurrence, il est normal que la police intervienne pour remettre de l’ordre. C’est une activité non autorisée dans le domaine public espagnol. Il faudrait qu’on s’accorde sur ce qu’on doit faire’’, remarque-t-il.

S’il est très lucide sur la question, le président de la Coordination des associations sénégalaises de l’archipel des Canaries fait le même constat, tout en souhaitant une touche plus providentielle des décideurs espagnols. ‘‘En Espagne, il n’y a pas de municipalité qui autorise la vente à la sauvette dans sa circonscription et cela ne va pas en notre faveur’’, avance Madiop Fall.    

Associations, la panacée

Pour Tafsir Dia, l’antérioté et l’expérience des associations de ressortissants sénégalais en Espagne sur les représentations officielles présentes que depuis 2001, est la seule panacée aux problèmes des immigrants.  ‘‘Nous devons changer de paradigme et ça doit se faire à partir des associations. Ce sont elles, localement constituées en Espagne, qui doivent voir avec la communauté les besoins réels, connus ou ignorés. Il y en a beaucoup. Elles seules sont capables de redresser la barre’’. Il veut pour preuve de la particularité de la relation bilatérale hispano-sénégalaise, une convention culturelle portant sur l’éducation et la formation, datant de 1965, que le pays de Cervantès n’entretient qu’avec trois autres pays que sont le Honduras, le Paraguay et l’Uruguay. ‘‘Un Sénégalais peut s’inscrire dans tous les centres officiels espagnols sans payer de frais d’inscription dans les universités ou les écoles de formation. Il faut qu’on en profite pour former nos jeunes. Ce sont les associations qui doivent faire profiter de ces aspects de la coopération. Avant les ambassades et consulats, tous les problèmes étaient réglés par les associations. A leur arrivée, il y a eu une inertie des associations qui se sont délaissées. La politique est entrée et elles se sont affaiblies, car beaucoup de dirigeants d’associations sont devenus leaders politiques’’.

La politique est comme le grain de sable qui grippe la mécanique, puisque Madiop Fall estime également que le ‘‘triangle de cohabitation n’a jamais bien fonctionné, mais s’est empiré ces derniers temps’’. Le président du Casac fait référence à l’accumulation des trois entités (Etat et autorités locales espagnols, les associations sénégalaises et la représentation diplomatique) dont le défaut d’articulation des visions a débouché sur la situation de crise. D’ailleurs, la démission de ces associations qui, à l’implantation de l’ambassade et des services consulaires en 2001, se sont désengagées de leurs missions de soutien aux compatriotes, a mué l’assistance en une politique partisane, dénoncent Tafsir Dia et Madiop Fall. ‘‘Ici en Espagne, c’est le parti avant et après toute chose. Toute structure dirigée par une personne que l’on soupçonne n’être pas proche est laissée en rade. Même dans l’organisation des élections et des missions de confection de passeports comme les cartes d’identité, ces personnes ressources qui ont toujours collaboré sont zappées au profit des représentants de l’Apr’’, déplore ce dernier.

Preuve extrême de ce ras-le-bol côté sénégalais, c’est avec la présence de leurs autorités diplomatiques que la manifestation de vendredi dernier a dégénéré, puisqu’auparavant, seuls des Espagnols ‘‘bon teints’’ de l’extrême gauche avaient été arrêtés par la police, soutiennent deux représentants. ‘‘En aval de la mise en place de ces administrations, les Sénégalais doivent être une force de propositions au gouvernement des pays d’accueil. Ce n’est pas au consulat d’aller demander au gouvernement espagnol de faire ceci ou cela pour le bien de ses ressortissants. Il faut que les associations aillent vers les consulats pour leur proposer des dossiers et qu’ils puissent les payer. On ne foule pas les Droits de l’homme en Espagne comme ça’’, conclut Tafsir Dia.

OUSMANE LAYE DIOP

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