Publié le 30 Aug 2016 - 05:25
SERGES RINKEL, EXPERT A LA COMMISSION DE L’UE

‘’Le Sénégal pourrait être une bonne cible pour les pirates’’ 

 

Expert de la Commission européenne, directeur de Borderpol pour l’Afrique, le Français Serges Rinkel est aussi un ancien agent infiltré dans le golfe de Guinée. Depuis des décennies, il a le nez plongé dans les différentes formes de criminalité. Il met en garde le Sénégal, dans cet entretien réalisé lors d’un séminaire sur la Sécurité et la sûreté urbaine organisé à Saly par l’Institut d’Etudes et de Sécurité.

 

La criminalité maritime est très dense. Dans le golfe de Guinée, on distingue le vol du pétrole dans le delta du Niger qu’on appelle oil backuring en anglais et qui est une industrie dans laquelle plusieurs personnes sont impliquées. Ce pétrole volé au Nigeria est vendu dans la sous-région avec différents noms comme le zouzoua au Cameroun, la Kpavo au Bénin… ça prend une grande partie du budget de l’Etat. Le Bénin perd par exemple 30% de ses ressources.

Ça représente une réelle menace. Il y a les attaques de piraterie qui sont fréquentes. On en compte une centaine (dans le Golfe de Guinée), depuis le début de l’année. Et là, je vous parle de chiffres vrais, parce que le bureau international de la piraterie n’est pas au courant de beaucoup d’attaques, parce qu’on veut éviter les frais d’assurance que cela entraîne. Chose nouvelle, on a de nouveaux militants qui ont remplacé le Mnd comme les vengeurs du Delta du Niger qui sont des mouvements politisés. Ils sont prêts à tuer et à couler des navires dans le golfe de Guinée. Le Sénégal pourrait être une bonne cible pour les pirates.

Justement, qu’est-ce qui vous fait dire que le Sénégal pourrait être une bonne cible ?

 Parce que ce sont des militants politiques qui cherchent avant tout une publicité. Imaginez qu’ils arrivent à faire couler un bateau au Sénégal. Ils auront beaucoup plus de publicité que s’ils le font au Nigeria. Le Sénégal est aussi jugé comme la base historique de l’Europe en Afrique de l’ouest. C’est donc en même temps un symbole. J’attire donc votre attention là-dessus.

Est-ce que les autorités sénégalaises sont assez conscientes de cette menace pour prendre les mesures idoines ?

Il me semble que la marine sénégalaise est des plus actives. Il y a un service des douanes qui va bien avec une flotte. Mais, il y a de la faiblesse. La faiblesse de la marine sénégalaise actuellement est, à mon avis, la surveillance de la mer au-delà des eaux territoriales. La zone économique exclusive et les approches maritimes du port de Dakar ne sont pas assez surveillées. En matière de terrorisme, il faut aussi se méfier. Le pays n’est pas loin     du Mali où il y a beaucoup de réseaux agissants. La Gambie a un réseau bancaire dense. Banjul est un lieu pour le blanchiment de capitaux. Donc, ça attire les criminels. Il y a la Guinée Bissau qui traditionnellement est impliquée dans le trafic de drogue. C’est une autre menace. La drogue arrive au Sénégal. Ce n’est pas moi qui le dis. Il y a eu de nombreux débarquements, que ce soit à Mbour ou dans d’autres points de la côte. Et il ne faut pas se limiter à la drogue, puisque tous les réseaux sont interconnectés.

Est-ce que le trafic d’armes existe dans le pays ?

Bien sûr ! Vous vous souvenez des saisies d’armes qui ont eu lieu à Ziguinchor et à la frontière malienne. On cachait des lance-roquettes dans des minibus. On aurait pu prévenir le conflit libyen. Si on avait été vigilants, et si on avait suivi à l’époque les autorités sénégalaises, la gendarmerie notamment qui faisait des rapports constants sur ces saisies d’armes en destination du Mali. C’est Moctar Bel Moctar qui préparait ce qui est arrivé plus tard. Donc, évidemment, le Sénégal, comme tous les Etats de la sous-région, peut être concerné par le trafic d’armes. Comme je ne travaille pas au Sénégal, je ne sais pas où on en est. Mais il faut faire très attention.

Est-ce que les voies maritimes sont un atout pour le terrorisme ?

Le pays a des commandos entraînés de la marine qui savent prendre d’assaut, mais, on n’a jamais assez contre le terrorisme. Regardez vos cousins de Côte d’Ivoire, comment ils ont été surpris à Grand Bassam. Une telle attaque ici à Saly foutrait tout le Sénégal en l’air. C’est donc sans doute un des plans actuels des terroristes.

Est-ce l’arrivée prochaine du pétrole est une menace supplémentaire ?

Bien sûr ! bien sûr ! Il y a des attaques dans les nouvelles installations pétrolifères du Ghana. Il n’y a plus d’attaques dans les gisements pétroliers du Nigeria, parce qu’il y a des services de sécurité qui se sont développés. Donc, il faudra ici aussi développer des services de sécurité pour protéger ce pétrole. Je pense que le gouvernement doit réfléchir à ça. Le gouvernement est assez dynamique et des chefs d’administration se rencontrent et discutent. Ce séminaire est la preuve.  Donc, on est sur le bon chemin. 

PAR BABACAR WILLANE

 

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