Publié le 5 Mar 2015 - 14:34
SERIGNE HABIB SY, CHEF RELIGIEUX

''Quand il y a un semblant de paix dans la cité, c'est que les adultes taisent des vérités'' 

 

Serigne Habib Sy ibn Dabakh est un chef religieux habitant à Aïnou Maadi (à quelques kilomètres de Tivaouane). Dans cette interview accordée à EnQuête, il aborde les questions liées à l'alcoolisme chez les jeunes, le chômage, mais aussi le dialogue politique et social et les propos de Me Abdoulaye Wade.

 

Vous avez évoqué récemment, lors du Gamou de Diaksao, le problème de l'alcoolisme chez les jeunes, notamment à Thiès…

C'est un phénomène qui nous interpelle tous. L'alcool, qui est vendue en dosettes et à bas prix, fait des ravages chez les lycéens et les collégiens, particulièrement à Thiès. Nous implorons l'État de nous débarrasser de cette boisson au plus vite. Cela aidera les parents et les familles désarçonnés par ce qui constitue un vrai fléau pour la jeunesse.

La place de la jeunesse revient souvent dans vos propos. Vous semblez préoccupé par elle ?

En effet, la jeunesse tient toujours une place extrêmement importante dans mes discussions. D'abord, j'ai été jeune et je sais ce qui guette cette catégorie de la population, si elle est laissée à elle-même. Ensuite, je suis un père de famille et enfin, en tant que citoyen, je me dois de participer à la construction d'une jeunesse saine dans mon pays. L'éducation et la formation de cette jeunesse doivent être l'affaire de tout le monde. L'État au premier rang. Les jeunes sont les adultes de demain, par conséquent, l'État, mais aussi la société, doivent veiller à leur éducation.

Si les jeunes sombrent dans des dérives comme l'alcoolisme, par exemple, ils ne pourront pas devenir des adultes responsables et utiles à leur pays. Construire ce pays nous interpelle tous, autorité temporelle comme spirituelle. Vous, gens de la presse, avez une part de cette responsabilité que l'on partage tous. Le journalisme est un métier noble, mais on ne peut pas accepter certains programmes TV qui pervertissent. Il y a, de plus en plus, des films et émissions qui n'aident nullement les jeunes à être responsables. C'est une situation déplorable. Et comme je le dis, très souvent quand il y a un semblant de paix dans la cité, c'est que les adultes taisent des vérités. Chaque pan de la société a une introspection à faire, si l'on veut bâtir une jeunesse saine.

Mais, les jeunes sont aussi confrontés au chômage ?

C'est vrai, le chômage frappe la jeunesse, mais je les invite à s'armer de connaissance et de patience, même s'il est difficile pour un jeune d'être patient. Moi-même, j'ai été jeune enfant des daara et j’ai vécu des moments parfois difficiles. Cela n'a jamais été évident. La patience est une vertu à enseigner aujourd'hui. Loin de donner des leçons, on n'explique pas assez aux jeunes comment la vie est dure, qu'elle demande des sacrifices et qu'elle est un combat de tous les jours.

Mais, cela passe, je crois, par accorder une grande place à l'éducation. Je pense aussi que l'on doit inciter les jeunes en âge de travailler à se tourner vers l'agriculture et l'élevage. Sur ce point, je soutiens totalement l'appel du Président Macky Sall pour un retour à la terre. Comme je l'avais dit à l'occasion du Gamou de Tivaouane, tout le monde ne peut travailler dans un bureau ou porter une cravate. Je les invite à entreprendre et j'invite l'État à les aider à entreprendre. Enfin, je dois dire que rester les bras croisés et ne rien faire est beaucoup plus grave que de créer son entreprise et qu'elle ne marche pas. Il faut donner envie aux jeunes de créer, leur donner l'envie et le courage d'entreprendre. Mais cela, seule une société responsable et consciente des enjeux peut le faire.

Justement, vous parlez de connaissance et d'éducation, au moment où les grèves à l'université se répètent...

Je suis cette actualité avec beaucoup d'attention. J'en suis peiné. Lors du Gamou de Diacksao auquel vous avez fait allusion, j'ai rappelé à l'assistance que Serigne Abdou Aziz Sy (que Dieu l'agrée) a toujours, de son temps, appelé l'État, les organisations politiques, syndicales et estudiantines à discuter et à trouver des solutions. L'ancien ministre Djibo Ka doit bien s'en souvenir encore. Chaque fois que le dialogue entre le pouvoir et les syndicats semblait rompu, El Hadj Abdou Aziz prenait son bâton de pèlerin pour le rétablir. C'est en m'inscrivant dans cette même dynamique que j'en appelle à l'administration Sall, aux représentants des travailleurs et aux représentants des étudiants à dialoguer dans un esprit de construction, dans un climat de franchise et de sincérité pour que soit résolu, dans la mesure du possible, l'essentiel des problèmes. Le tout dans l'intérêt du pays. Il n'y aura pas d'autres solutions que la discussion et l'échange dans la sincérité.

Venons-en à une autre actualité : Les propos de l'ancien Président Abdoulaye Wade à l'endroit de Macky Sall.

Ce sont des propos irresponsables. Un adulte ne peut pas dire tout ce qui lui passe par la tête. L'Islam nous a enseigné comment doit se comporter un adulte. Lorsque Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy a dédié un poème à Chu-En-Laï, le dirigeant chinois, et lorsque El Hadj Malick Sy Maodo (Ndlr: grand frère de notre interlocuteur) en a fait autant pour Nelson Mandela, c'était pour, dans l'un comme dans l'autre cas, magnifier les qualités de dirigeants de ces deux personnalités. Elles n'étaient pas musulmanes, mais avaient des qualités d'hommes d'Etat et d'hommes tout court. Il faut les saluer et les mettre en avant, surtout Mandela, qui a su pardonner et prôner la tolérance et la paix. Il arrive souvent malheureusement, que des valeurs nobles prônées par l'Islam soient portées davantage par des non-musulmans.

AMADOU BATOR DIENG

 

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