Publié le 23 Apr 2018 - 19:01
SERIGNE MOR MBAYE SUR L’ENFANCE AU SENEGAL

‘‘Nous sommes inscrits dans une névrose de répétition’’

 

Au regard des dernières mésaventures arrivées à des enfants, le psychologue Dr Serigne Mor Mbaye va bientôt créer un mouvement, ‘’Gouy-Gui’’, qui va faire de l’enfance un paramètre incontournable dans les politiques publiques. Il critique sévèrement l’abandon ‘‘des enfants depuis presque trois décennies’’.

 

Bonjour tristesse ! L’opinion était en rémission précaire, après l’épisode des rapts d’enfants qui avait fini de mettre tout le monde à cran. Après l’interlude ‘‘parrainage’’ jeudi dernier, ou plutôt pendant le vote, une ignominie est venue rappeler à tout le monde que la chasse aux mômes est bel et bien réactivée. ‘‘Ce qui se passe, c’est que nous sommes inscrits dans une névrose de répétition’’, dissèque le psychologue Serigne Mor Mbaye qui s’intéresse à l’évolution de la problématique de l’enfance depuis des décennies. Pour prendre à bras-le-corps cette question, il se prépare à mettre en place le mouvement ‘‘Gouy-Gui’’ pour imprimer à cette problématique une ‘’respectabilité’’ politicienne incontournable dans l’élaboration des programmes publics.

‘‘’Gouy-Gui’ est un mouvement social d’aspiration au changement, pour que les projets politiques prennent la dimension ‘enfant’, d’abord. Que les parents prennent conscience que s’ils doivent s’engager politiquement, c’est sur la problématique de l’enfance. Je voudrais que notre société s’engage à protéger ses enfants, à les extirper des situations de maltraitance grave, des violences, de l’exclusion (...) Elle veut refonder la société sénégalaise pour ancrer dans les esprits un nouveau projet de société qui va dans le sens d’investir dans les jeunes générations (...) Il est bâti autour d’un projet où tout est centré sur l’humain, et dans l’humain, c’est d’abord centré sur l’enfant, les jeunes, les femmes. Il faut les protéger de toutes les affres, l’excision, le mariage précoce. Ce sont des signes que notre société n’évolue pas’’, a-t-il déclaré, hier, au téléphone d’’’EnQuête’’.  

‘‘C’est de l’infanticide social’’

La mésaventure des deux enfants de la commune de Yeumbeul Sud a-t-elle à voir avec la psychose des enlèvements ? Affirmatif, de l’avis des génitrices. Dans un témoignage vidéo posté sur la plateforme Seneweb, les mères des deux enfants de 3 et 4 ans, des lavandières habitant le quartier Bollé Mbaye de cette commune, expliquent que ‘‘les enfants ont été enlevés, bâillonnés, mutilés au sexe et leurs corps portent les séquelles d’un passage à tabac’’. Les dernières informations font état d’un léger mieux des deux victimes dont l’une a eu le ‘‘sexe coupé au niveau du prépuce, qui a été retrouvé au sol par les secouristes. Alors que son ami s’est retrouvé le sexe complètement mutilé’’, rapporte notre confrère Vieux Père Ndiaye du quotidien ‘‘Les Echos’’.

Pour Serigne Mor Mbaye, qui analyse la problématique dans un cadre beaucoup plus global, on assiste aux conséquences des effets combinés d’un manque de vision politique sur la question, de la démission sociale et du ‘’désengagement’’ parental. ‘‘On sait tous que l’enfant est une équation dans le pays. Combien sont-ils dans la rue, dans la drogue, à avoir abandonné l’école... ? Il y a un génocide organisé contre l’enfance. A partir de ce moment, elle est la cible de toutes les pratiques magico-fétichistes qu’on voit. Ce qui montre que le système de représentation qu’on a, a sacrifié l’enfant. C’est de l’infanticide sociale. Ça n’émeut personne. Ce qui est grave est que les élites, elles-mêmes, ne savent pas gérer leurs propres enfants. C’est là que j’ai raison, il nous faut de vastes programmes d’éducation des parents. Etre parent, c’est un métier, ce n’est pas une donnée biologique. Les enfants ont des besoins qui dépassent les besoins matériels qui sont psycho-sociaux, affectifs, culturels, un ancrage identitaire...’’, avance-t-il.

 Coïncidence sans doute pas fortuite, la mésaventure des deux enfants, jeudi dernier, intervient la veille de la publication de données de l’Ong Gsi qui s’essaie à avoir une base pour cartographier la mendicité infantile. La capitale sénégalaise compte près de 28 mille enfants-mendiants dits ‘‘talibés’’, soit 15 % d’un effectif de 183 mille 835 individus. Pour le psychologue, cette question est à prendre sérieusement en compte dans les politiques publiques, si l’on fait une analogie avec le voisin malien. ‘‘En 2013, j’étais au Mali. Après le départ des djihadistes de Tombouctou, j’avais dit que, s’ils ont pu y rester pendant onze mois, c’est qu’ils ont embrigadé les enfants des ‘madrassa’ (école coranique), l’équivalent des talibés chez nous (...) Chaque société humaine éduque ses enfants en fonction de ce qu’elle attend d’eux. Si l’on n’attend rien d’eux, ils deviennent forcément une équation. Le développement, le ‘natangué’, l’émergence, c’est d’abord investir sur les jeunes générations. Sinon, toute la propagande sur le dividende démographique relève de l’escroquerie. S’ils sont dans la rue ou sont des malades mentaux, le dividende devient une bombe à retardement’’, prévient-il.

Les politiques sermonnés  

Moins d’un mois après la conférence de presse des ministres Ndèye Ramatoulaye Guèye Diop et Aly Ngouille Ndiaye (Protection de l’Enfance et Intérieur, respectivement) le mardi 27 mars, les autorités gouvernementales sont rappelées aux priorités sociales, après la ferveur politique du 19 avril. Le ministre de l’Intérieur avait pourtant promis des mesures fortes pour contrecarrer le phénomène. Une trentaine de nouvelles brigades de gendarmerie sur toute l’étendue du territoire, des infrastructures et des équipements pour la police, 3 000 policiers et gendarmes attendus en 2018, une vingtaine de véhicules acquis récemment, interpellation de plus de 1 000 personnes dans les opérations de ratissage du 22 au 27 mars 2018 sur l’ensemble des grands centres urbains... avaient été la panacée de contexte pour endiguer le phénomène.

La ministre chargée de la Protection de l’Enfance avait, quant à elle, questionné la responsabilité parentale. ‘‘Est-ce que l’Etat peut se substituer aux parents ? Vous imaginez votre fils de 2 ans et demi dans la rue ? Il ne faudrait pas que les parents fuient leurs responsabilités. Ils sont les premiers protecteurs des enfants. Il leur revient de les éduquer, de les accompagner. L’Etat peut venir en amont avec des dispositifs pour freiner cette recrudescence des enfants dans la rue (...) Pour les enfants dans les maisons, l’Etat ne peut mettre un policier derrière chacun. Il revient aux familles, à la communauté de les prendre en charge’’, avait-elle déclaré, en appelant à retourner aux pratiques d’antan où le voisinage avait droit de regard.

Par contre, Serigne Mor Mbaye critique vivement ce qu’il considère comme la superficialité de l’implication des autorités pour mettre fin aux atrocités. ‘‘Les identités ministérielles n’ont aucune conscience des enjeux et ne sont pas dans le contexte d’un projet de société. Ils vont faire dans l’évènementiel, l’émotion, alors que ça ne les touche même pas. Si ça les avait touchés, on aurait parlé de ça au lieu de parler politique, fêtes religieuses. Mais qu’il y ait une émotion nationale au point que les drapeaux soient en berne, non ! En Occident, un seul enfant de perdu, tout le pays bouge. Ici, on n’entend personne’’, regrette-t-il, concluant que diverses crises frappent la société de plein fouet : institutionnelle, structurelle, affective, de statut, de liens, de rôles, d’idéologies. ‘‘Même la religion n’a plus de prise sur l’imaginaire des personnes’’.

OUSMANE LAYE DIOP

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