Publié le 11 Jan 2018 - 20:22
SERIGNE MOUNTAKHA BASSIROU 8e KHALIFE DES MOURIDES

Dans la continuité de Serigne Sidy Mokhtar

 

Un grand érudit pour un autre. Serigne Mountakha Bassirou Mbacké succède à Serigne Sidy Mokhtar Mbacké à la tête de la communauté mouride. 

 

On l’a vu, lors de la cérémonie officielle du Magal de 2015, par terre devant le défunt khalife, couvre-chef enlevé, lui demandant, implorant presque, la permission de faire une mise au point. Un éclairage relatif à un incident quelques jours plus tôt, lorsqu’il n’avait pu rejoindre la grande mosquée de Touba pour sacrifier à la sacro-sainte prière de vendredi. Une  version polémiste a vite pris le dessus, avançant que la garde rapprochée du président de la République, présent pour son habituel visite d’avant-magal, l’aurait empêché de rejoindre l’enceinte de la mosquée. Très vite des commentaires désobligeants fusent et tendent une relation déjà pas des meilleures entre le Palais et Touba.

Dans un accès d’altruisme et en grand rassembleur, le principal intéressé, désormais nouveau khalife général des Mourides, avait tout pris sur lui et coupé court au débat. Avec la permission de Serigne Sidy Mokhtar Mbacké bien sûr !  ‘‘D’habitude, je venais très tôt. Mais pour cette fois-ci, j'ai eu un petit contre-temps qui a fait que je suis arrivé au moment où le cortège présidentiel était déjà sur place (...). Je m’excuse du fait qu’on m'ait associé à un certain bruit’’, avait-il déclaré. Sans rancune. Hier sur les ondes de la Zik Fm, le chroniqueur religieux Iran Ndao, rappelant cet épisode désagréable, s’est réjoui qu’en un laps de temps, les rôles se soient rapidement intervertis et que ce soit désormais Serigne Mountakha Mbacké qui doit être attendu par le protocole présidentiel.

 ‘‘Dieu est Juste. Quand on est altruiste comme lui, il viendra forcément un jour où le destin te récompensera’’, commente Iran. Preuve de sa générosité précoce, le parolier mouride, Saliou Guèye Badar,  raconte qu’il avait l’habitude d’offrir des bêtes à son oncle et troisième khalife des mourides, Serigne Abdou Lahad Mbacké. Un jour qu’il est allé lui rendre visite, il est tombé sur un autre oncle, Serigne Mourtada, et le khalife a alors demandé des bénédictions pour ce neveu qui fait tant leur fierté. Alors le cadet de Serigne Touba de lui répondre qu’il avait déjà baptisé un de ses fils du nom de Mountakha pour les qualités intrinsèques dont il avait déjà entendues parler. Exit donc ce petit désagrément ‘‘présidentiel’’, le nouveau khalife est clément.

Recevant Macky Sall hier pour la première fois en tant que khalife, il a dirigé le curseur sur ses accomplissements futurs qui l’attendent. ‘‘Tout ce que j’ai déjà fait n’est rien par rapport à ce que je vais faire’’, a-t-il déclaré devant le président de la République venu lui présenter ses condoléances. Les premières déclarations publiques du huitième khalife qui ne laissent aucun doute sur sa détermination à bien préserver et consolider l’héritage. D’ailleurs lui-même semble confirmer l’adage selon lequel ce qui est fait n’est plus à faire. ‘‘Je n’ai jamais d’ambitions pour ce que j’ai dépassé mais pour ce qui est devant nous’’, déclare-t-il en wolof sur l’une de ses vidéos les plus vues sur le web. 

Homme de culture

C’est une lapalissade que de dire que les khalifes généraux de Touba ont été à bonne école. Mais Serigne Mountakha a très tôt montré des dispositions intellectuelles qui ont forcé l’admiration de ses pairs, de ses aînés et de ses oncles. Né à Darou Salam au début des années 1930, il fait ses humanités sous la supervision de Serigne Bassirou Tall avant de rejoindre Serigne Momar Ndoye Cissé. Il sera ensuite initié de manière plus poussée aux sciences religieuses et morales par Serigne Habibou avant d’aller se parfaire chez le voisin du nord, la  Mauritanie, en compagnie de Cheikh Moustapha Lo. Excellent assimilateur, son statut d’érudit était une évidence à son retour et fait sa renommée dans un cercle familial mouride très avide de savoir et respectueux de savants. Le fils de Serigne Bassirou Mbacké et de Sokhna Bintou Diakhaté est très calé. Un trait de caractère qu’il tient peut-être de sa mère. Le parolier Saliou Guèye Badar raconte que cette dernière, très jeune, a voulu offrir un ‘‘hadiya’’ (présent) au fondateur du Mouridisme, Serigne Touba, et qu’impressionné par ce geste, le saint homme a apposé sa main sur elle pour la bénir. Une bénédiction qui suit la lignée de Serigne Bassirou, raconte le chansonnier puisque d’elle sont issus les plus grands érudits de la famille mouride qui ont en charge l’éducation et la formation religieuses à Porokhane, la localité d’origine de la mère de Serigne Touba.

‘‘Kër gu mak’’ à Diourbel est également placée sous l’autorité de cette famille. A cela, le nouveau khalife a ajouté sa touche personnelle avec beaucoup de daara qu’il a implantés, dont Darou Tanzil dirigé par Abdou Lahat Sané qui a en charge l’éducation de plus de 500 jeunes filles. ‘‘On passerait la nuit à les énumérer’’, avance Badar. Il est également créateur de ‘‘douna maini’’, une autre bibliothèque, certes plus modeste que celle de ‘‘daaray kaamil’’. Une formation académique solide complétée par le volet économique puisqu’il est grand producteur avec ses champs à Darou Salam Typ. A son retour de Mauritanie, la satisfaction de ses parents en bandoulière, il tenait les ‘‘fulku’’ litanies dites pendant  le ramadan, à l’initiative de son père.

Respect des aînés

Les témoignages lui attribuent des qualités humaines similaires à son prédécesseur. Détaché des mondanités, doté d’un franc-parler exceptionnel, sa grande érudition n’a jamais empêché sa soumission face à ses aînés. ‘‘Devant Serigne Bara ou Sidy Mokhtar, il s’asseyait par terre et ne mettait jamais de couvre-chef’’, déclare Iran Ndao. Des sourcils très fournis et des favoris très blancs sont les traits qui attirent tout le temps le visage pratiquement barré d’une paire de lunettes et surmonté d’une chéchia. Dans une vidéo postée sur youtube, on le voit lui-même clamer que le dernier khalife fils de Bamba, Serigne Saliou Mbacké, lui a ‘‘confié’’ spécialement la lecture du panégyrique composé par Serigne Touba, ‘‘Nourou Daarayni’’  (Ndlr : lumière des deux mondes), pour qu’à leur disparition, toutes les âmes puissent espérer trouver le Salut. Dans la même lignée, ses deux prédécesseurs ont vite compris qu’il était la valeur sûre qui était dans les dispositions de garder jalousement et fidèlement le temple. Mais lui, s’est toujours comporté en disciple soumis. La vidéo de sa contribution pour la mosquée de Darou Minam, 72 millions FCFA, remis à Serigne Bara Fallilou, a renforcé cette perception.

Quant à Serigne Sidy Mokhtar, malgré son statut de khalife, il avait fait de lui non seulement sa propre référence morale mais également son bras droit, son ‘‘diawrigne’’. Une estime qu’il lui rendait bien en retour. ‘‘Si tu commandais un front armé,  je serais parmi les premiers martyrs ou alors je massacrerai des milliers d’ennemis’’, a-t-il dit au défunt khalife, rapporte dans une ode le parolier Saliou Guèye Badar. Son engagement sans faille pour la cause de Bamba fait de lui le ‘‘reconstructeur’’ de Darou Minam où repose son père et son frère aîné. En cette année débutant, il commence lui aussi une tâche très difficile, mais à laquelle il est déjà rompu.  

OUSMANE LAYE DIOP

 

Section: