Publié le 19 Sep 2014 - 00:22
SEYDI ABABACAR NDIAYE, SECRETAIRE GENERAL DU SAES

‘’Ce texte est pernicieux… Le ministre de l’Enseignement supérieur veut tout centraliser’’

 

Le projet de loi n°18/2014 relatif aux universités publiques du Sénégal est un texte pernicieux, une version falsifiée, corrompue de celui qui avait été amendé en 2011. Le secrétaire général du Syndicat autonome des enseignants du Sénégal (SAES), qui tient de tels  propos, estime qu’il n’est pas question qu’un tel texte passe, d’où la campagne de sensibilisation entamée auprès des députés.

 

Pouvez-vous nous faire l’historique du projet de loi relatif aux universités publiques du Sénégal ? 

Nous avions jugé nécessaire de revoir les textes des universités. En réalité, nous nous sommes dit que nous n’avions pas de système universitaire. Et on devait même aller plus loin que ça. Aujourd’hui, les universités fonctionnent de façon désordonnée, chacun a sa façon de faire. A l’Université de Dakar, on parle de département et de faculté, alors qu’a Saint-Louis, on parle de section et d’UFR. Vous me direz peut-être que c’est la forme. Mais, dans le fond, c’est encore plus grave. Aujourd’hui, il arrive souvent que des enseignants qui ont gravi tous les échelons, après 25 ans de carrière, démissionnent de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar pour aller, par exemple, à celle de Ziguinchor. Parce que simplement, ils ont de meilleures conditions là-bas.

Ce sont des universités à taille humaine où les revenus sont plus importants. Notre entendement avec les accords de 2011, c’est qu’on aurait pu choisir de faire ces charges horaires dans deux ou trois universités sans être obligé de démissionner de son université d’appartenance. Quand nous avions signé les accords le 21 mars 2011, c’était sous pression de la Banque mondiale. Le 21 décembre 2011, nous nous sommes réunis après que le texte (NDLR : loi cadre relatif aux universités publiques du Sénégal) soit examiné par l’ensemble des universités avec des amendements.

Après, ce texte a été ressuscité. Pour aller vite, nous avons accepté d’aller à la Direction générale de l’Enseignement supérieur, en présence du directeur général, Pape Guèye, à l’époque. Il y avait également Abdoul Karim Ndoye, directeur de la Réforme de l’UCAD, un représentant du ministre chargé de l’Enseignement supérieur. Il y avait aussi Baye Laye Kane, copté par la Banque mondiale pour travailler sur les textes, le chef du PGF, Abdoulaye Seck et moi-même en tant que secrétaire général du SAES. Nous avons amendé ce texte qui n’était pas le seul d’ailleurs.

Quels sont les autres textes ?

Il y avait le texte sur les titres que nous n’avions pas touché parce que nous l’avions trouvé bien fait. Nous avons examiné le texte sur les Instituts supérieurs d’enseignement professionnel (ISEP), le texte sur l’Autorité nationale pour l’assurance qualité de l’enseignement supérieur (Anaq). Il n’y avait pas encore en ce moment l’exposé des motifs. Je me souviens que séance tenante, nous avions décidé de charger Abdoul Karim Ndoye, Baye Laye Kane et moi-même secrétaire général du SAES. J’avais choisi de ne pas y participer parce que je faisais confiance aux professeurs. Et l’après-midi même, a 17h, ils nous ont envoyé l’exposé des motifs que nous avons validé et envoyé au ministère qui, soi-disant, avait introduit les 4 textes dès le lendemain 22 décembre en procédure d’urgence.

A peine 4 mois, ils ont sorti le texte sur les ISEP et nommé le directeur de l’ISEP de Thiès, ensuite le texte sur l’Anaq pour nommer son secrétaire exécutif. Les textes sur le statut des universités et la réforme des titres ont été laissés finalement. Il y a quelques mois, en conseil des ministres, on a vu dans un communiqué que le texte a été adopté alors que nous n’avions jamais vu cette version. Et tout d’un coup, il y a une dizaine de jours, je suis tombé sur le nouveau projet de loi qui est une version falsifiée, corrompue de celui qu’on a amendé. Les professeurs ne me démentiront pas. La Banque mondiale elle même sait que le texte a été corrompu.

Selon vous, le ministère de l’Enseignement supérieur n’a fait que du copier-coller ? 

Oui, mais en y ajoutant des dispositifs vraiment regrettables. Ce qui est dangereux dans ce nouveau projet de loi, c’est que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (NDLR : Mari Teuw Niane) centralise tout. C’est-à-dire, qu’il devient à la limite un recteur superpuissant. Mais on ne va pas le laisser faire. Si on regarde bien la date d’introduction du texte, le 21 août 2014, on constate que c’est 7 jours après la mort de l’étudiant Bassirou Faye. Cela veut dire qu’en ce moment, le corps n’avait pas encore été remis à la famille.

C’est à cette période que le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a eu le culot d’introduire le texte. Ce n’est pas la première fois qu’il fait ce genre de chose. Chaque année, c’est à cette période qu’il a l’habitude d’introduire ce genre de textes. C’est le cas des décrets sur l’UVS, sur l’orientation en ligne des bacheliers, etc., il fait passer tout ça en plein mois de septembre quand tout le monde est parti en vacances. C’est-à-dire, au moment où les enseignants du SAES sont démobilisés. Cela veut dire qu’il a une volonté d’imposer des choses pas catholiques. Si l’on s’intéresse à ces textes, l’on se rend compte qu’il viole presque tout. Par exemple, quand il dit que le recteur doit être nommé sur proposition du ministre, cela veut dire qu’il veut le nommer.

Alors que la directive présidentielle du 13 août 2013 prévoit que les recteurs soient nommés après appel à candidature. Avec les nouveaux dispositifs du conseil académique, c’est encore le ministre qui nomme, on peut se retrouver dans une situation où un PCA et un vice PCA, qui ne sont pas des recteurs, pourraient décider au-dessus des recteurs. Cela veut dire qu’à la longue, les recteurs ne seront que des faire-valoir. Ce texte est pernicieux. On voit cette tendance du ministre à vouloir tout centraliser. Et si vous regardez la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur, vous serez plus édifiés. Le ministre propose des organes au sein desquels c’est lui qui préside toujours. C’est extraordinaire.

Donc selon vous, avec ce nouveau texte, le ministre cherche à se tailler la part belle des pouvoirs ?

Il veut être l’âme de l’université. Cette âme, c’est l’autonomie. Il est en tain de tout piétiner. C’est pourquoi nous sommes allés, il y a une semaine et aujourd’hui même (NDLR : avant-hier mardi), à la rencontre de la commission Education, Jeunesse, Sports et Loisirs de l’Assemblée nationale. C’est ça la démarche naturelle du SAES.

On est obligé de sensibiliser les gens sur cette forfaiture. Actuellement, nous avons nous-mêmes demandé la fermeture du campus jusqu’au mois d’octobre pour apaiser le milieu. Le ministre pense en profiter pour faire passer des choses. Il ne sait pas que nous allons revenir quoi qu’il en soit. Nous avons confiance en nos institutions. Nous avons rencontré des députes réceptifs qui nous ont très bien compris. Les députés sont même allés jusqu'à demander le retrait de ce texte lorsqu’on leur a expliqué qu’il n’a jamais été vu par les recteurs.

Donc les recteurs n’ont pas été consultés ?

Du tout ! Ce projet de loi relatif aux universités publiques du Sénégal n’a été vu par aucun recteur. Cela veut dire a fortiori qu’il n’a jamais été examiné par quelque instance délibérante ou académique que ce soit. Ce qui est grave ! Comment peut-on vouloir légiférer, surtout à l’université, sans se référer aux acteurs ? Les députés étaient abasourdis. Je vous donne un exemple.

Lorsque le ministre actuel était recteur, la loi sur le système LMD est passée à l’Assemblée de l’Université de Dakar, sans être passée par celle de Saint-Louis et il avait, lui-même, demandé aux députés de ne pas voter la loi et de la ramener. Pourquoi il fait le contraire aujourd’hui qu’il est ministre ? Cela veut dire qu’il sait exactement ce qu’il est en train de faire. Un ministre non enseignant l’aurait fait, on parlerait d’ignorance. Mais lui a été enseignant-chercheur, chef de section, d’UFR et recteur. Quelque part, c’est en cela qu’il est dangereux d’ailleurs (rires).

On peut dire donc que ce projet de loi n’a pas de chance de prospérer ? 

C’est impossible ! Cette loi ne peut pas passer. Même quand le président de la République sera informé de cette situation, il ne laissera pas passer une telle chose. Déjà le ministre a introduit le texte le 21 août. Or le Président nous a reçus le 27 août en nous parlant d’apaisement, de consensus pour remettre sur les rails l’enseignement supérieur. Ce Président là ne peut pas entériner un tel projet de loi. C’est une forfaiture. Il faut oser dire le  mot. Et ça ne passera pas.

L’université est passée par des épreuves graves. Quand on arrive à une mort d’homme, on ne peut pas aller plus loin que là. Le chef de l’Etat travaillera et écoutera les acteurs majoritaires que nous sommes (SAES) pour l’aider à refaire le système de l’enseignement supérieur. Celui-ci a beaucoup subi par la faute, le comportement et la démarche soliste et autoritariste de l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur. Nous continuons à croire que ce ministre, au lieu de résoudre des problèmes, constitue lui même le problème. Nous pensons que parmi les mesures d’apaisement à prendre d’urgence il y a le départ du ministre.

PAR AMADOU NDIAYE

 

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