Publié le 9 Mar 2019 - 03:09
SEYNI NDIR SECK, PRESIDENTE COMMISSION FOOT FEMININ DE LA FSF

‘’Pour mes parents, c’était impensable que je joue au foot’’

 

Ancienne capitaine des Lionnes, dans les années 2000, Seyni Ndir Seck a pris les rênes de la Commission chargée du foot féminin de la Fédération sénégalaise de football (Fsf) en 2017. L’ancienne joueuse des Aigles de la Médina et de l’équipe féminine du lycée Ameth Fall de Saint-Louis, dressant un bilan à mi-parcours de son mandat de quatre ans, est revenue dans cet entretien avec EnQuête sur ses débuts en tant que footballeuse et ses rapports avec ses collaborateurs dans le cercle exclusivement masculin du Comité exécutif de la Fsf

 

Vous avez été portée à la tête de la Commission chargée du football féminin de la Fédération sénégalaise de football, en 2017. Quel bilan pouvez-vous dresser à mi-mandat ?

Le championnat s’était bien passé la saison dernière. C’était d’ailleurs ma première année. On a commencé et terminé aux dates initialement prévues. C’est une bonne chose, parce qu’on avait auparavant du mal à finir le championnat. Mais l’année dernière, ça s’est bien passé. Cette saison, on a utilisé la même formule. Les choses évoluent pour l’instant, car nous sommes à mi-parcours, c’est-à-dire la fin de la manche aller. On va entamer la phase retour, dans deux semaines. 

Est-ce que le foot féminin bénéficie d’un soutien conséquent de la part de la  Fédération sénégalaise de football et des autorités étatiques ? 

Je rappelle que le foot féminin est placé sous la tutelle de la Fédération sénégalaise de football, délégataire de pouvoir étatique. Aujourd’hui, je peux dire oui, dans la mesure où la Fédération donne une subvention aux équipes, avant le début de chaque saison. C’est également la fédération qui prend totalement en charge le déplacement des clubs. Il est vrai que cela ne suffit pas, mais on va continuer à travailler et à essayer de trouver d’autres moyens pour aider l’ensemble des clubs.

Est-ce qu’il y a un réel engouement, c’est-à-dire un public, lors des matches du championnat de foot féminin ?

Je peux dire qu’aujourd’hui on commence à avoir notre propre public, parce qu’on joue au stade Alassane Djigo de Pikine. La vérité, c’est qu’il y a du monde qui vient nous voir. Mais ça reste encore. Il y a des choses à améliorer. Les tribunes sont pleines, quand nous jouons nos finales. Mais nous aimerions que les stades se remplissent davantage, pendant toutes les journées de championnat. Ce n’est pas encore gagné, mais on savoure déjà ce qu’on a et travaillons pour pouvoir attirer plus de monde à l’avenir.

Pourquoi les équipes du football féminin n’ont pas le même aura que celles du football masculin?

La réponse est simple. Le foot masculin se joue sur l’ensemble du territoire, depuis très longtemps. Chez les filles, ce n’est pas le cas.  Le Sénégal a commencé à avoir un championnat de foot féminin en 2002. Donc, entre 2002 et 2019, cela ne fait que 17 ans. Il y a un gap énorme entre le foot masculin et le foot féminin, mais ça diminue petit à petit. On ne pense pas les rattraper, mais on espère que l’écart se réduise davantage, d’ici quelques années.

Le Sénégal ne s’est pas qualifié à la Coupe d’Afrique des nations (Can) féminine depuis 2012 avec votre génération. Qu’est-ce qui explique cette longue absence ? 

On a eu à participer à tous les éliminatoires, mais malheureusement on a été éliminé. Je pense que la relève n’a pas été assurée, comme il se devait, parce qu’après notre génération, c’était le vide. C’est la raison pour laquelle, il est important et nécessaire aujourd’hui de faire un plan de développement à long terme, pour vraiment avoir une relève assurée, dans les années à venir.  L’année dernière, on a vraiment manqué de chance, parce qu’on s’est préparée comme il se doit et, malheureusement, on a été éliminée par l’Algérie. C’est dommage, mais c’est ça la loi du foot. Il faut qu’on apprenne de nos erreurs pour aller de l’avant. 

Vous faites partie des footballeuses qui ont marqué le football féminin sénégalais. Pensez-vous qu’il y a une évolution dans la pratique de la discipline, du point de vue quantitatif ?

Ah oui ! Je pense que cela a beaucoup évolué, aussi bien du point de vue de la mentalité que du nombre de joueuses licenciées. Auparavant, à Dakar il y avait trois à quatre équipes, notamment les Gazelles, les Sirènes et les Panthères. Et aujourd’hui, rien qu’à Dakar, on a 7 à 8 équipes. Dans toutes les régions du Sénégal, il y a au moins une équipe féminine, à l’exception de Matam, Kaffrine et Kédougou. Par exemple, à Ziguinchor, il y a quatre équipes, trois à Sédhiou. Ce qui montre que les choses bougent, même s’il reste du travail à faire. Il faut reconnaitre qu’il y a un pas qui est fait, il faut tout entreprendre pour avancer davantage. Cela pour permettre à plus de filles de pratiquer le football.

Cette évolution quantitative serait-elle liée au fait qu’il y ait moins de contraintes que, lorsque vous étiez pratiquante, par exemple ?

Les mentalités ont évolué. Ça c’est une chose. Ensuite, le football est devenu de plus en plus accessible. Je suis née et j’ai grandi à Yoff où il n’y avait aucune équipe. Pourtant, je jouais au football. Aujourd’hui, rien qu’à Grand Yoff, il y a trois équipes féminines. Une fille qui habite dans cette localité qui a envie de jouer, elle sait où aller. Alors que, nous, on n’avait pas ça auparavant. On osait même-pas sortir en short pour aller jouer au football. On se faisait montrer du doigt. Aujourd’hui, les filles sortent de chez elles et vont tranquillement jouer au football. Maintenant, on doit continuer à y travailler pour faire évoluer les choses davantage.

Quand vous aviez décidé de faire carrière dans le football, aviez-vous le soutien de votre entourage ?

Non (rire) ! Le football était considéré comme un sport d’homme. Pour mes parents, c’était impensable que je joue au foot. Je devais juste me concentrer sur mes études. Mais moi, le football a toujours été une passion, malgré qu’au début mes parents n’étaient pas d’accord. Ils voulaient que je travaille bien à l’école. C’est ce que j’ai essayé de faire. Il fallait trouver un compromis. J’avais le droit d’aller aux entrainements, si je travaillais bien. C’est comme ça que j’ai réussi à convaincre mes parents. Ils n’ont vraiment accepté le fait que je joue au football que le jour où j’ai commencé à évoluer en équipe nationale. On parlait de moi partout. Il y a un sentiment de fierté qui a commencé à naître chez eux. Ils ont réalisé que c’est possible, parce qu’ils ne croyaient pas que je pouvais aller jusque-là.

Aujourd’hui, en tant que dirigeante, comment parvenez-vous à allier vos responsabilités à la Fédération sénégalaise de football et votre vie quotidienne de femme ?

Dans la vie, je crois que quelles que soient les tâches qu’on peut avoir, tout est organisationnel. J’ai été joueuse et élève. Pour allier les deux, il fallait s’organiser pour réaliser mes ambitions. Si on planifie bien les choses, on peut vraiment les réussir.

Actuellement, est-ce qu’il y a beaucoup de femmes dans les postes de responsabilité au niveau des instances dirigeantes du football national et internationale ?

Il y en a, mais pas beaucoup. Aujourd’hui, la politique de la Fifa, c’est d’encourager les fédérations de football à mettre plus de femmes dans les postes de responsabilité. Il ne faut pas aussi oublier que le football était fait par et pour les hommes. C’était un milieu masculin, dès le départ jusqu’à l’explosion du foot féminin. Cela ne sera pas facile de tout changer, d’un seul coup. On va y aller, pas à pas, ‘step by step’, comme disent les Anglais, pour vraiment insérer le plus de femmes dans les instances. Il faut aussi faire évoluer les mentalités à ce niveau. Que les gens puissent reconnaitre que les femmes peuvent occuper des postes de responsabilité dans le milieu du sport. Ce n’est pas seulement dans le football. C’est le cas dans le sport, en général.

A la fédération sénégalaise de football, vous côtoyer des hommes. Quel est le regard qu’ils portent sur vous en tant que dirigeante de commission comme eux ?

Il y a beaucoup de respect. C’est des gens qui m’encouragent beaucoup. Et je tiens à les remercier pour ça, parce que c’est un comité (Comité directeur de la Fsf, Ndlr) où je suis la seule femme. Mais, en toute sincérité et honnêteté, ils passent tout le temps à m’inciter à aller de l’avant.

BIGUE BOB

 

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