Publié le 4 Jan 2019 - 01:20
SINGLE ‘’SAÏ SAÏ’’

La virulence dans le texte, la marque de fabrique de Keur Gui

 

Rien de nouveau dans le discours de Keur Gui, diraient ceux qui suivent le crew. Ils sont allés trop loin, soutiennent ceux qui viennent de découvrir le ‘’vrai’’ Keur Gui. Quoi qu’il en soit, au nom de la liberté d’expression, de la création artistique, peut-on dire tout ce que l’on veut ? Deux acteurs du milieu des cultures urbaines, Safouane Pindra et Oumar Sall, donnent leurs avis.

 

Les gens s’émeuvent après la sortie du single ‘’Saï Saï’’ ou ‘’10 cours à la Nation’’. Certains se disent choqués par les propos des rappeurs de Keur Gui Crew. Ils pensent, pour la plupart, que le duo en a beaucoup trop dit ou du moins utilisé des mots insultants. Depuis, entre la ‘’guillotine’’ et la prison, ils ont du mal à se décider sur la punition à appliquer. Ceux qui suivent le groupe depuis ses débuts à Kaolack ne sont nullement surpris par ce discours. Thiate et Kilifë ont toujours parlé ainsi. Dans ‘’Pa Yi’’ contenu dans leur premier album ‘’Ken Bugul’’, ils soutenaient : ‘’Keur gui louniou ragala wakh lounek tog faay dioye.’’ Ils donnaient ainsi le ton. Ils parlent de tout et ne s’encombrent pas de gants. La langue de bois, ces deux Kaolackois ne la connaissent pas et tout le monde y passe.

‘’Si on prend la discographie de Keur Gui, ce n’est pas la première fois qu’ils font des choses comme ça. Ils sont dans leur ligne directrice’’, informe l’administrateur des métiers de la musique Safouane Pindra. Dans ‘’Paa Yi’’, ils traitaient les vieux du Sénégal de ‘’lâches’’. Dans ‘’2 mi-temps’’, ils s’en prenaient à Abdoulaye Wade à qui ils décernaient ‘’les prix Nobels de sopeu manam deugne koumpeu (Ndlr : en langue wolof, curiosité),  laaté manam lambar lambari (en langue wolof, errer), de fegn télé mom moy M. Yama télé (en langue wolof, trop présent à la télévision). Dans ce titre, Abdoulaye Wade, alors président de la République, était surnommé ‘’Ngor Ndiakhoum’’, le parti de Moustapha Niass - l’Afp - était rebaptisé ‘’Association des fainéants du peuple’’. Au  leader de l’Alliance des forces du progrès, Thiate disait : ‘’Niasse n’hésite pas à nous débiter ay ca… you taar.’’ En 2011, dans le single ‘’Faux pas forcer’’ de Y en a marre, Kilifë qualifiait Me Wade de ‘’maguetoum weuyou’’ (vieux voyou).

Que dire de la relation Keur Gui - Abdoulaye Diack ? Le défunt  maire de Kaolack a été l’un des premiers hommes politiques à souffrir des traps du groupe. Il a été traité de ‘’caïman’’ et accusé de faire des ‘’sacrifices dans des mosquées’’, dans un morceau.  De tels propos ont valu aux 2 rappeurs de sévères punitions de la police. Ils ont souvent été bastonnés pour les messages délivrés à l’encontre de M. Diack sur des scènes à Kaolack. Ce qui ne les a pas du tout intimidés. Dans ‘’Da Police’’, ils s’en prennent aux limiers. Ils dénoncent le trop plein de ‘’cons’’ présents dans ce corps de l’armée. Ils les traitent de ‘’lèche c…, de corrompus et d’escrocs’’, de ‘’fumistes’’ et les comparent aux agresseurs. Ils disaient, à l’époque, que ‘’90 % des policiers devaient recevoir l’ordre national du désordre’’. Ils les traitaient de ‘’Saï saï’’. Ce terme qui froisse aujourd’hui et fait couleur de la salive.

 ‘’On ne doit pas traiter le président de la République, qui est une institution, de ‘saï saï’’’, défendent certains. Ce qui fait mal, dit-on, c’est le rang de celui à qui Keur Gui s’attaque. Les plus téméraires vont jusqu’à soutenir que jamais un rappeur sénégalais n’a été aussi irrévérencieux envers un chef d’Etat. C’est alors à se demander s’ils suivent les rappeurs sénégalais. L’on se rappelle du fameux refrain ‘’Gorgui dé na, soule néniouko’’, parlant de Wade. De Xuman qui traitait d’impolis les membres du gouvernement du même Wade dans ‘’Lii lumu doon’’ (dieuwrine you xamadi, disait-il) ou encore de Books de Sen Kumpë qui, dans ‘’Wakhal sa baye’’, a dit quelque chose que la décence nous interdit de reprendre dans nos colonnes.

Oui, c’est grave à ce point. Pourtant, cela n’avait pas suscité autant de débats, non pas que Wade était plus tolérant, mais peut-être parce qu’il n’y a pas eu la même campagne de communication.

Il faut reconnaître que Penku Side a vraiment réussi son coup de com’. En sus de cela, entre-temps, Kilifeu et Thiate sont plus écoutés, plus suivis et peut-être même plus craints. Ce qui fait que leurs claques d’hier, qui ne faisaient pas autant mal, retentissent plus fort aujourd’hui. Ce qu’il faut peut-être comprendre ici, c’est que ce sont des artistes qui s’expriment. Est-il possible d’établir une frontière entre l’artiste citoyen et son œuvre ? ‘’Oui’’, répond sans détour l’acteur culturel Oumar Sall. ‘’Dans le cadre de son engagement politique ou social, un artiste peut se servir de son œuvre comme ‘’caution’’ de son engagement. C’est ce que les membres de Keur Gui ont fait. Il y a donc comme une double identité dans cette œuvre, des activistes qui sont, simultanément, artistes’’, analyse-t-il.

En outre, certains trouvent qu’il est temps de les arrêter. Et que même au nom de la liberté de création artistique, ils ne peuvent pas dire ce qu’ils veulent et comme ils le veulent. ‘’Dans un pays où la liberté de ton et d’expression est reconnue, aucune censure n’est imaginable’’, défend l’acteur culturel Oumar Sall. ‘’De mon point de vue, on ne peut poser des limites suivant la musique qu’ils font. Le hip-hop est une musique engagée. Ils sont adultes aussi et sont des gens très engagés’’, affirme l’administrateur des métiers de la musique et organisateur du festival Yaakaar, Safouane Pindra.

Aussi, le clash fait partie de la culture hip-hop. Faut-il cependant ménager, dans le discours, ceux qui ne sont pas membres du mouvement ? Réponse de Pindra : ‘’Normalement, il n’y a pas de règles. Le hip-hop est une musique de la rue et mon opinion est que dans la rue, il n’y a pas de règles’’, indique-t-il. Oumar Sall tranche la question : ‘’Quand les anti Keur Gui diront ‘dëk bi du lu neex waay wax’, les pro Keur Gui pourront rétorquer : ‘Dëk bi du lu neex waay def. Lu defu waxu, luy aay ci jàmbat.’’ Ainsi s’anime une ‘’démocratie majeure’’, comme nous aimons qualifier la nôtre.

Matador soutient Keur Gui

 ‘’Saï Saï’’ ou ‘’10 cours à la Nation’’ est le titre du nouveau single de Keur Gui. Le ton employé est jugé excessif par certains. Le morceau parle de faits comme la transhumance, l’injustice, etc. Au moment où Thiate et Kilifë sont attaqués de partout et qu’une fausse arrestation a été annoncée avant-hier sur les réseaux sociaux, des messages de soutien fusent d’un peu partout. En conférence de presse hier, le rappeur et non moins patron du label Africulturban, Matador, a annoncé son soutien au crew. Il dit les soutenir, même s’il n’est pas membre du mouvement Y en a marre. ‘’Il n’y a rien de mal dans ce morceau. Il est normal qu’en tant que rappeurs qu’ils s’engagent ainsi.

Il nous faut faire le bilan de l’actuel régime en tant que rappeur. Faire du hip-hop, c’est s’engager au plan social et faire des sacrifices. On a eu deux alternances et nous avons toujours défendu le peuple.  Sur la gestion du pays par le régime actuel, nous avons beaucoup à dire’’, a dit Matador. C’est ainsi que lui jouera sa partition dans un single à venir. Il est intitulé ‘’Revue de presse’’. Il est un morceau de Matador, naturellement, de Keyti et du duo de Keur Gui, Kilifë et Thiat. ‘’Le morceau a été enregistré lors d’une tournée en Europe. On y dénonce l’injustice qui règne dans ce pays, de la transhumance, de la pauvreté, etc. On fera le bilan de Macky Sall à notre façon. Le morceau est prêt, je l’ai dans mon téléphone. J’attends juste que la promotion du single de Keur Gui passe. On le sortira avant le début de la campagne électorale’’, a-t-il annoncé.

La vieille garde est donc là pour assurer la traditionnelle sortie de singles à la veille d’élections pour partager des avis et opinions sur la gestion du pays. Pour Matador, eux le font parce que les jeunes rappeurs ne sont pas très engagés. Ce qui constitue, à ses yeux, un risque pour un pays de démocratie comme le Sénégal. ‘’Actuellement, on voit des jeunes rappeurs qui ne parlent que d’amour ou de la mode, alors que cela ne doit pas être leur mission. Ils doivent savoir que c’est à eux de dénoncer les maux dont souffre le peuple. S’ils veulent se remplir les poches, autant aller faire du mbalax. On ne peut devenir riche en faisant du rap.

La preuve, j’ai fait 30 ans de carrière et je n’ai toujours pas de voiture. Je suis venu à bord d’un ‘clando’ à ce point de presse. Il faut que la mission du hip-hop continue. Le combat doit être mené, car l’heure est grave. Il faut que nous poussons la réflexion’’, a soutenu l’ancien membre de Bmg 44. Avant d’ajouter : ’’Le gouvernement vient d’emprunter 8 000 milliards F Cfa (Ndlr : 7 356 milliards F Cfa). S’il l’a eu, c’est parce que nous avons du pétrole dans notre pays. Face à ce genre de situation, le rappeur n’a pas le droit de se taire. Il doit attirer l’attention du peuple. Il faut que cela soit clair : personne ne m’entendra chanter Macky Sall. Comprenez-le bien.’’ La précision est de taille, au moment où une vidéo montrant Matador qui parle du Ter.


Lancement du projet ‘’Hip-hop hood-up’’

La banlieue en avant

La conférence de presse d’hier était le prétexte pour présenter la compilation ‘’Hip-hop hood-up’’. Elle est réalisée par le studio Thiaroye 44 Records. Elle regroupe 15 groupes ou artistes tous issus de la banlieue dakaroise. Selon Dekk Diam, l’un des initiateurs de ce projet, l’objectif est de donner la chance à des jeunes qui ont du talent, mais qui n’avaient pas l’opportunité d’être connus du grand public.

‘’Tout a été fait dans la banlieue, que cela soit le mixage, la programmation, les vidéos, l’infographie. On a lancé un appel et ceux qui sont intéressés par le projet sont venus. Il y avait eu des milliers de postulants et les meilleurs ont été choisis. Nous voulons faire d’eux des stars du hip-hop de demain’’, a-t-il soutenu. Concernant la promotion de cette compilation qui aura 15 vidéos, il est prévu un concert à Sorano. Suivra une tournée nationale.

CHEIKH THIAM

BIGUE BOB

Section: