Publié le 10 Mar 2015 - 04:52
SITUATION DES FEMMES DANS LES PRISONS

Les maux qui corsent la détention

 

Le rapport sur la situation des droits des femmes dans les lieux de détention au Sénégal a été lancé hier, à la maison d’arrêt et de correction pour femmes de Liberté VI. Ledit rapport montre que les conditions de détention n’obéissent pas aux normes et standards internationaux.

 

La maison d’arrêt et de correction pour femmes (MAF) de Liberté VI n’a pas été en reste dans le cadre de la journée internationale de la femme, célébrée hier. La cérémonie était aussi une occasion pour lancer le rapport sur la situation des droits des femmes dans les lieux de détention au Sénégal. Elaboré par le Bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH-BRAO) en partenariat avec l’Association des juristes sénégalaises (AJS), l’Association des femmes médecins du Sénégal (AFMS) et l’Observatoire national des lieux de privation de liberté (ONLPL), le rapport concerne cinq prisons visitées entre mars et juillet 2014. Il montre que sur les 8 625 personnes détenues dans les prisons sénégalaises, les 283 sont des femmes dont 46 étrangères.

Le trafic des stupéfiants, première cause de détention

S’agissant des causes des détentions, le trafic de stupéfiants vient en tête, avec 31% des cas. Ensuite, viennent successivement l’infanticide avec 16% et le délit de vol (11 %). Les violences constituent également l’une des causes de détention des femmes. Puisque les coups et blessures volontaires représentent 8% des cas et l’homicide 7%. Les délits d’association de malfaiteurs et d’escroquerie représentent chacun 5%.

Représentant 3,28% de la population carcérale, les détenues sont réparties dans les 13 prisons pour femmes que compte le Sénégal. Mais, bien que représentant une portion minime de la population carcérale, elles ne sont pas détenues dans des conditions aux normes et standards internationaux. Pour leur profil, il ressort du rapport que la majorité est issue de milieux défavorisés avec un faible niveau d’instruction. Sur 140 femmes consultées, les 66% n’ont pas dépassé le niveau du primaire. 34% sont non instruites, tandis que les 32% ont le niveau du primaire. Les détenues, avec les niveaux secondaire et supérieur, sont estimées respectivement à 20% et 14 %.

72 % en détention préventive

Le rapport fait également état du nombre élevé des longues détentions préventives. L’écrasante majorité des femmes incarcérées sont en détention préventive. Soit un pourcentage de 72% contre 28% pour les condamnées. La MAF de Liberté VI arrive en tête, car 68% de la population carcérale est en détention préventive contre 32% de condamnées. A Kaolack, 9 femmes sur les 12 consultées attendaient d’être jugées. Le pire dans cette situation : beaucoup d’entre elles font l’objet d’une longue détention préventive. Une situation que les détenues interrogées imputent à l’absence de diligence dont font montre leurs avocats, surtout ceux commis d’office. D’après le rapport, la situation est préoccupante dans les régions de Thiès, Kaolack et Tambacounda où 21% des détenues interrogées ont déploré le manque de diligence de leurs avocats. Le régisseur de la MAC de Kaolack a déploré la situation en faisant savoir que certains avocats commis par les familles disparaissent après avoir reçu leurs honoraires.

Dans cette même prison, un drame a été évité de justesse avec l’effondrement du bâtiment abritant le quartier des femmes. Quelques semaines avant le drame, le régisseur était obligé de loger les femmes avec les mineurs, violant ainsi le respect de l’obligation de séparation des détenus. Cette situation vécue à Kaolack traduit l’insuffisance et la vétusté de locaux destinés aux femmes. Selon le rapport, la situation est particulièrement difficile pour les mères emprisonnées dont les enfants ne disposent pas d’aires de jeu. Au-delà, se pose la problématique de la prise en compte des détenues enceintes, allaitantes ou avec enfants. ’’On ne tient pas compte des besoins spécifiques des femmes allaitantes, de celles qui voient leurs menstrues et qui sont pauvres’’, a déploré hier Fatou Kiné Kamara, présidente de l’Association des juristes sénégalaises (AJS).

11 enfants âgés de 0 à 20 mois incarcérés avec leurs mères.

Tout en déplorant une absence d’espaces aménagés pour ces catégories de détenues, le rapport révèle que la situation est plus préoccupante chez les détenues incarcérées avec leurs enfants en bas-âge. Au moment des visites, 11 enfants âgés de 0 à 20 mois étaient incarcérés avec leurs mères. Outre l’absence d’espaces aménagés, les cinq prisons visitées font face à l’insuffisance des équipements de base comme la literie, les moustiquaires et les ventilateurs. Des installations sanitaires adaptées font défaut. En moyenne, 14 détenues par cellule partagent les mêmes sanitaires d’où la fréquence des infections urinaires. Or, la prise en charge médicale n’est également pas des meilleures dans son ensemble. Les détenues souffrant de troubles mentaux ne sont pas logées dans des espaces adéquats par rapport à leur état et constituent une source d’insécurité pour leurs codétenues. Il s’y ajoute que celles souffrant d’infections urinaires, de cancer du col de l’utérus et de fibromes ne bénéficient pas de prise en charge ‘’adéquate’’, ‘’en dépit de la gravité de quelques cas’’.

La liste est loin d’être exhaustive, mais compte tenu de ces manquements, les initiateurs du rapport ont fait un certain nombre de recommandations regroupés en cinq points. Il est prôné la révision des infractions basées sur des stéréotypes de genre discriminant les femmes. Ceci passe, selon l’Ambassadeur de la Grande Bretagne, par la légalisation de l’avortement médicalisé en cas de viol, la requalification du crime de trafic de drogue en délit, lorsqu’il s’agit de femme… Le législateur sénégalais est invité à limiter la détention préventive et à prévoir des peines de substitution pour les femmes. L’humanisation des lieux de privation de liberté est aussi suggérée. De même, le développement des actions de prévention dans la mesure où, selon le Garde des Sceaux, ‘’la place de la femme n’est pas dans une prison mais dans les universités, les instances de décisions…’’. Pour cela, le lieutenant Rose Sarr, directrice de la MAF de Liberté VI, estime que l’autonomisation des femmes doit être effective pour que des enfants ne naissent plus ou grandissent en prison.

Il faut souligner que l’ambiance était festive, avec la présence de la troupe théâtrale ‘’Espoirs de la banlieue’’ et des chanteuses Coumba Gawlo Seck et Fatou Guéweul. Les détenues étaient vêtues toutes de tissus Khartoum aux couleurs rouge et blanc. Elles ont reçu plusieurs dons en plus d’une consultation gratuite et volontaire du cancer du col et du sein. 

FATOU SY

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