Publié le 11 Oct 2015 - 21:59
SITUATION DES INSTRUMENTISTES AU SEIN DES GROUPES

Les lead-vocaux faussent les notes du contrat 

 

‘’Il n’y a rien d’aussi chaud et d’aussi émouvant que le spectacle d’un orchestre symphonique. Les petites lumières romantiques sur les pupitres, les instruments qui s’accordent, puis le brusque silence lorsque le chef d’orchestre fait son entrée. Hors du spectacle de l’orchestre où règne l’horrible hiérarchie du talent, la scène est tout autre’’, a dit Charles Chapelin. Cependant, les conditions de vie des instrumentistes sénégalais ne sont pas aussi belles que le spectacle que décrit ici Chaplin. Pourtant, c’est eux qui jouent les rôles vantés plus haut. Au Sénégal, le lead-vocal d’un groupe peut vivre en toute aisance, au moment où les instrumentistes de son groupe peinent à trouver le diable pour lui tirer la queue. Le constat est presque général. Entre des cachets misérables, des conditions de travail déplorables et un manque avéré de considération, les instrumentistes souffrent le martyre. EnQuête donne ici la parole à des musiciens professionnels qui énumèrent leurs maux et relèvent aussi les causes de ces derniers.

 

Sur scène, ils sont toujours en retrait. Seule la vedette ou la star occupe le devant de la scène. Certains sont même parfois masqués par le matériel qu’ils manient avec dextérité. Dire que sans eux, il serait difficile de retenir un public toute une soirée. Ils ce sont les musiciens des différents orchestres. Ils sont autant importants, voire plus que le chanteur. Pourtant, socialement et financièrement, généralement, ils ne jouissent presque pas des retombées de leur performance. Toute une soirée durant, ils tiennent en haleine un public avec talent et professionnalisme, mais une fois la dernière note de musique distillée, ils se retrouvent avec des miettes dans les poches. Beaucoup d’instrumentistes au Sénégal ne vivent pas véritablement de leur art. Ils sont rémunérés au prorata du nombre de spectacles bien qu’ils soient membres de groupes bien définis et reconnus comme telle. Une situation qui s’explique par le fait que ces éléments indispensables pour la formation d’un orchestre n’ont pas de contrat, comme cela se fait sous d’autres cieux. ‘’Seuls les musiciens de Youssou Ndour avaient des contrats. Et aujourd’hui, ils n’en ont plus je crois. Et vous savez avec You même si on n’a pas de contrat, on ne se plaint guère parce qu’il paie bien’’, confie sous le sceau de l’anonymat un bassiste side man. EnQuête a tenté d’interpeller le chef d’orchestre du Super Etoile, Mbaye Dièye Faye, mais il n’a pas voulu se prêter à nos questions. Mais Papis Konaté chef d’orchestre de ‘’Génération Consciente’’, le groupe de Pape Diouf s’est montré plus prolixe. ‘’Les instrumentistes ne peuvent pas avoir de contrats c’est impossible. Aujourd’hui, la musique ne marche plus à cause de la guerre que se mènent les télévisions. Et les lead-vocaux des groupes ne signent pas de contrats avec les musiciens parce qu’ils peuvent rester un mois sans se produire. Seuls les grands groupes ayant un grand budget tel que  le Super étoile  peuvent signer des contrats avec leurs musiciens.  Peut-être aussi que d’autres groupes le font mais je ne crois pas que cela puisse être fait sur le long terme parce que c’est difficile’’, avoue-t-il. L’ancien guitariste du ‘’Missal’’ de la Patte D’Oie Racine Ly est lui plus catégorique. ‘’Cela fait 30 ans qu’on parle de contrat entre l’artiste et le musicien. D’ailleurs, on a voulu créer une association pour défendre les intérêts des musiciens, mais cela  n’a pas abouti et n’aboutira jamais parce que la musique sénégalaise de manière globale n’est pas bien organisée. Tout le monde fait ce qu’il veut’’, précise t-il.

Pas de contrat pour les instrumentistes

Cependant, à défaut d’avoir des contrats en bonne et due forme, le musicien peut tomber d’accord avec le chanteur sur un cachet bien défini. ‘’Moi, quand  je jouais avec Assane Ndiaye, on avait une base qui était le Sahel. On se produisait souvent là-bas. Ainsi, on nous payait à chaque fin du mois 250 000 frs CFA et on se produisait 3 fois dans la semaine’’, confie Papis Konaté. Encore qu’il serait difficile d’adopter ce système aujourd’hui si l’on se fie aux dires du pianiste Baba Hamdy Diawara. Selon lui, ‘’dans les boites de nuits le public est souvent composé de jet-setters qui ne paient pas l’entrée. Alors dans ce cas, le leader du groupe peine lui-même à s’en sortir, ses musiciens encore moins. (…) Les boites de nuit n’apportent pas l’argent annoncé çà et là. Il n’y a que du bruit et c’est ce qui trompe l’entourage qui pense que l’artiste s’en sort réellement puisqu’il fait soirée comble’’, argumente t-il.

Batteur de son état, Papa Laye Dieng a aussi son opinion sur la question. ‘’La signature d’un contrat ne peut pas se faire dans ce milieu. Parce que le contrat nécessite un certain nombre de pré requis. Il n y a pas que le salaire, il y a d’autres priorités comme les prises en charge maladies, etc. C’est pourquoi les leaders ne s’engagent pas à signer des contrats. La majorité préfère juste donner des cachets par prestation. Cela est du au fait que notre musique qui est le mbalax ne marche pas. Ce n’est pas une musique qui peut être vendue à travers le monde. Rares sont les groupes mbalax au Sénégal qui font des tournées bien organisées’’, analyse t-il.

Par ailleurs, l’auteur de ‘’Birima’’ n’est pas le seul leader à avoir des relations contractuelles avec ses musiciens. La patronne du label ‘’Sabaar’’, Coumba Gawlo Seck, serait aussi dans la même logique. Son batteur, Ousmane Kâ,  le confirme  d’ailleurs : ‘’J’ai  signé un contrat avec l’artiste Coumba Gawlo et je peux dire qu’elle fait partie des artistes qui payent le mieux. Elle nous met vraiment  dans de bonnes conditions’’, fait-il savoir. Ousmane Kâ essaie de refaire l’histoire et soutient qu’auparavant, ‘’le lead vocal et les instrumentistes étaient sur un même pied d’égalité. C’est à partir des années 1980 que les lead-vocaux ont commencé à prendre les devants. Ils détenaient le pouvoir. Ils étaient les leaders et les musiciens n’étaient que des sujets c’est-à-dire les hommes de derrières, les employés.  Les musiciens pour exercer leur métier, leur passion, étaient obligés de suivre les règles établies par l’artiste parce que c’étaient eux qui négociaient les contrats et autres’’.

Cette étape va marquer le début du mal être des hommes de ‘’l’ombre’’. Ils sont désormais sous-payés. Même si le pianiste, arrangeur, chanteur et patron du label ‘’Mille mélodies’’ Baba Hamdy Diawara soutient le contraire. ‘’Pour déplacer un musicien, il faut un minimum de 10 000 francs pour le transport. Il y a des professionnels dans tous les domaines mais il y a aussi des amateurs et ce sont ces derniers qu’on rencontre le plus souvent. Un bon musicien doit s’imposer, connaitre ses droits et réclamer son dû réel’’, défend Baba Hamdy. Par conséquent, il considère qu‘’un professionnel est toujours bien payé’’. Le batteur Ousmane Kâ et le pianiste Papis Konaté embouchent la même trompette. Pour le premier nommé, ‘’les  musiciens qui  sont  exploités, sont ceux qui n’ont pas  assez d’expérience ou ne maitrisent pas en gros leur métier’’. Quant à Papis Konaté, il ne croit pas qu’on exploite les musiciens puisque ‘’c’est eux mêmes qui acceptent cette situation.  Pour moi, cela est légal car c’est eux qui acceptent de travailler dans certaines conditions et avec certains cachets, aussi bas soient-ils. Maintenant, c’est vrai qu’il faut dire que chaque début est difficile. En ce qui me concerne, l’argent ne m’intéressait pas. Je voulais avoir beaucoup plus d’expérience. Maintenant chaque musicien doit savoir  négocier avec l’artiste son cachet avant de s’engager ou d’entamer quoi que ce soit. Il faut procéder ainsi pour permettre à chaque partie de respecter son engagement’’. Et Pape Laye Dieng de confirmer les dires de ses collègues musiciens : ‘’ Un débutant par exemple ne peut pas gagner la même somme qu’un professionnel expérimenté’’.

 

De misérables cachets comme rémunération

Cependant tous admettent quand même que le niveau de rémunération pose problème dans leur métier. ‘’C’est vrai que le cachet pose problème dans notre métier’’, reconnaît Ousmane Kâ’’.  ‘’Il ne faudrait pas qu’on essaie de nous faire croire que tout le monde a un bon cachet. C’est la musique en général qui est en crise aujourd’hui’’, confesse Baba Hamdy Diawara. ‘’L’exploitation des instrumentistes est une chose qui est réelle. C’est même évident. Ils n’ont pas un bon cachet, on leur paye des miettes’’ dit Racine Ly. L’ancien batteur de Papa Ndiaye Thiopète, Pape Laye Dieng va plus loin. ‘’A part quelques rares chanteurs qui connaissent la valeur d’un musicien, beaucoup d’entre eux peuvent recevoir un cachet de 5 millions Frs Cfa et donner 500 000 Frs Cfa à leurs musiciens pour qu’ils se les partagent. Ils empochent les 4 millions 500 Frs Cfa restants. Les cachets sont quelque fois misérables et dès fois d’un misérabilisme inimaginable’’, dénonce-t-il. ‘’Il existe bien des musiciens qui rentrent avec 10 000 Frans au sortir d’une grande soirée et ce n’est pas normal’’, révèle-t-il. Papis Konaté donne un  seul conseil à ceux qui travaillent et qui sont mal payés : ‘’ pour être à l’abri du besoin, autrement dit avoir des voitures, des maisons  comme les artistes, il faut  maitriser  ce que l’on fait dans le domaine où l’on évolue pour éviter d’être piétiner par quiconque’’.

Malgré tout, il ne faut croire que tous les artistes sont des ‘’négriers’’. Il y en a ‘’qui paient bien’’ selon Baba Hamdy. Parmi ceux-ci figurent Youssou Ndour, Omar Pène, Fou Malade, Coumba Gawlo Seck, Pape Diouf etc., selon les témoignages recueillis. ‘’Fou Malade fait partie des rares artistes qui connaissent la valeur d’un musicien. Son cachet est vraiment considérable et d’autres qui ont travaillé avec lui pourront le confirmer, c’est un exemple que je peux sincèrement citer. Cela ne veut simplement pas dire qu’il a la main sur le cœur, mais qu’il connait la valeur d’un instrumentiste’’, admet son ancien batteur Pape Laye Dieng. Et le chef d’orchestre de la Génération consciente assure que ‘’quelqu’un comme Pape Diouf peut, après une  prestation ici au Sénégal,  payer à ces musiciens le cachet équivalant à celui d’une tournée en Europe. Et le cachet minimum payé pour un spectacle en Europe est 150 euros (près de 100 000 francs Cfa). Hormis cela, il peut te donner le triple de ton cachet dans une enveloppe et te l’offrir’’.

D’autre part, il faut préciser que les cachets pour une soirée dans un club ou un restaurant est différent d’un cachet pour une soirée anniversaire au Grand-théâtre par exemple et l’est aussi pour une tournée à l’étranger. Même s’il est peu évident que l’artiste s’en sorte toujours si l’on se fie aux calculs de l’auteur de ‘’never say never’’, Baba Hamdy. ‘’On peut organiser un événement au Grand-théâtre par exemple. On se retrouve avec 19 millions à la base comme budget. Mais toute cette somme ne peut nullement être recouvrée. La salle est pour 5 millions. Il y a les 150 tickets de servitude pour le Grand-théâtre, les taxes municipales et les taxes à payer au Bsda  ainsi que les frais pour tout le matériel utilisé,  les danseurs, la décoration sans compter la communication qui inclut les frais publicitaires et autres. Facilement l’artiste peut se retrouver sans un sou à la fin de la soirée s’il s’acquitte de toutes ces dépenses.

C’est donc l’argent distribué sur scène qui fait office de gain la plupart du temps’’, explique-t-il. Et Baba Hamdy et Papis Konaté restent convaincus que le malheur des artistes reste lié aussi à une mauvaise gestion du secteur de la culture au Sénégal. ‘’ L’autre grand problème c’est que j’ai l’impression que ce gouvernement ne se préoccupe pas de la culture. Alors que Senghor avait fait de la culture un des leviers du développement. Chaque fois qu’il se déplaçait c’était avec des artistes et c’est très important. C’est une manière de vendre notre culture en général’’, croit savoir le boss de ‘’Mille mélodies’’, Baba Hamdy. Papis Konaté est d’avis qu’il ‘’est difficile d’améliorer les conditions de vie des instrumentistes  parce que le ministère de la Culture ne fait rien pour nous. On ne peut pas du tout avancer parce que personne n’est satisfait du fonctionnement du  BSDA’’.

EN TOURNEE A L’ETRANGER

Les instrumentistes jouent la partition de la fugue 

Les dures conditions de vie des instrumentistes expliqueraient-elles que ces derniers ne rentrent pas souvent quand ils vont en tournée en Occident avec un chanteur ? Plusieurs réponses sont avancées par nos  interlocuteurs. Pour Racine Ly du groupe ‘’Missaal’’ il n’y a pas à chercher midi à quatorze heures. Ceci explique cela. ‘’On ne doit pas condamner ceux qui décident de ne pas rentrer et de vivre dans la clandestinité en Europe. Parce que ce que l’on cherche dans un métier, c’est de trouver des moyens  de subsistance. Les musiciens galèrent, les conditions ne sont pas réunies pour être vraiment à l’aise.  Ils n’ont pas un bon cachet, on leur paye des miettes. Ainsi, voyager devient une occasion pour eux de s’en sortir’’.

L’actuel batteur de Mao Sidibé n’est pas loin de dire la même chose. Pape Laye Dieng avoue que ‘’ce qui fait que les musiciens fuient une fois en Europe est que les conditions de vie ne sont pas des meilleures ici. Si un musicien voyage cela devient un problème pour lui. Car en partant sa famille se dit qu’il voyage avec un musicien de renom et attend beaucoup de lui. Alors que le cachet payé ne permet même pas de vivre une vie saine donc l’on choisit de rester en Europe et tenter de gagner sa vie là-bas’’, analyse-t-il. Mais la fuite n’est pas toujours guidée par la recherche de profit. Parfois on veut juste réaliser un rêve. Celui d’aller à la découverte de l’Europe. ‘’Les musiciens qui ont tendance à fuguer après les prestations sont ceux qui n’ont jamais voyagé de leur vie. Donc, ils en profitent pour tenter leur chance à l’extérieur.  Je peux dire que 80% des musiciens qui font cela n’ont jamais connu l’Occident et le faire était leur rêve’’, analyse Ousmane Kâ.

Il n’est pas toujours commode de rentrer sans être au complet. Est-ce pour ne pas se retrouver dans ces situations que certains préfèrent aller seuls en tournée et engager des sideman une fois arrivé à l’étranger ? Pour Papis Konaté tel n’est pas le cas. Il reste convaincu que si les instrumentistes ont le niveau requis les leads-vocaux ne les laisseraient jamais en rade. ‘’Disons que la seule explication que je peux donner, c’est qu’ils n’ont pas assez d’expérience pour jouer à l’extérieur.  Dans le cas de Pape Diouf, il est obligé de prendre un  Papis Konaté et d’autres musiciens qualifiés pour faire une tournée.  Donc, les musiciens qualifiés dans leur domaine, ne peuvent pas manquer dans une tournée internationale. C’est quasi impossible. Alors quand un  artiste laisse ses musiciens pour faire sa  tournée avec d’autres plus habiles c’est parce que ces derniers ne sont pas irremplaçables’’. 

Papa Laye Dieng a une toute autre vision des choses, ‘’si des artistes jouent à l’étranger sans leurs musiciens c’est parce qu’aussi parfois les cachets proposés ne peuvent pas assurer les frais de déplacements de musiciens et autres’’. Le batteur de Coumba Gawlo Seck Ousmane Kâ abonde dans le même sens. ‘’ Je crois que je suis le mieux placé pour vous donner des explications claires. J’ai géré des dossiers avec des artistes mais dés fois les conditions ne sont pas réunies sur le plan financier, avec les prises en charges, cela peut être dur pour l’artiste. Ainsi dans ces conditions ils préfèrent aller prendre des musiciens sur place ou encore ceux qui avaient fugués auparavant pour faire les prestations. Mais un artiste ayant les moyens nécessaires, s’il choisit de laisser ses musiciens au Sénégal pour en chercher d’autres une fois sur place, c’est tout simplement déloyal’’.

Pourtant, il y en a qui le font et à dessein. ‘’ Si je vous dis les vraies raisons pour lesquelles les artistes n’amènent pas avec eux leurs musiciens en tournée, le monde va s’écrouler. Mais je ne vais pas le dire parce qu’il y a de ces choses, si tu les dis les gens vont croire que c’est de la méchanceté mais il y a des choses qui se cachent  derrière tout cela. Et j’avoue que ces choses dont je peine à vous dire sont bien réelles et palpables et qui ne sont pas du tout catholiques’’, informe Racine Ly.

Mais quelle qu’en soient les raisons, Baba Hamdy trouve que ‘’ceux qui ne voyagent pas avec leur groupe ne peuvent pas revendiquer un professionnalisme avéré. Les plus grands chanteurs se déplacent avec leurs groupes’’. Et le fait de confisquer le passeport n’y change rien. Papis Konaté en est convaincu, lui qui souligne que ‘’cela ne peut pas les empêcher de fuir. Chaque orchestre à ses propres réalités. Tout musicien qui trouve son intérêt dans son groupe ne fuguera pas. D’autant plus  qu’il est dans de bonnes conditions.  Donc ceux qui fuguent  après les prestations à l’extérieur, avaient déjà cette intention  en tête avant de quitter le territoire. C’est quelque chose qui a été programmé bien en  avant’’. 

BIGUE BOB – AMINATA FAYE ET AÏDA KÂNE (Stagiaires)

 

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