Publié le 7 Jun 2018 - 16:07
SITUATION ECONOMIQUE

Ces chiffres qui enfoncent le gouvernement

 

Au-delà de la guerre des mots entre Mamadou Lamine Loum et Birima Mangara, ‘’EnQuête’’ interroge entreprises, banques, Douane et Trésor. Il en ressort que l’Etat doit plus de 50 milliards de francs Cfa aux ‘’champions intérieurs’’ du Btp, 15 milliards aux établissements d’enseignements privés, près de 20 milliards à Ecobank. La liste des créanciers malheureux de l’Etat est loin d’être exhaustive.

 

‘’Vous (l’Etat) avez de l’argent ? Eh bien ! Payez-nous !’’. Tel est le commentaire ‘’profane’’ d’Abass Fall, Président de la Fédération des établissements privés d’enseignement supérieur. L’homme ne veut pas entrer dans le débat de fond entre l’ancien Premier ministre Mamadou Lamine Loum et le ministre délégué chargé du Budget Birima Mangara. Ce dont il est sûr, c’est que le gouvernement doit toujours aux établissements membres de sa structure 14 à 15 milliards de francs Cfa. D’où sa déclaration lapidaire, mais sans équivoque. Depuis trois ans, M. Fall et ses amis courent derrière cette dette. ‘’Jusqu’à présent, le problème reste entier. Pourquoi ils ne nous paient pas notre dû, si les caisses de l’Etat ne sont pas vides comme ils le disent ?’’ s’emporte-t-il dépité.

Elles sont nombreuses les entreprises qui sont dans la même situation. L’espoir était pourtant permis avec le dernier euro-bond contracté par le gouvernement sur la place financière internationale. Une partie de ces ressources devait, en effet, permettre de faire face à la dette intérieure chiffrée à des centaines de milliards de francs Cfa. C’est du moins ce qui ressort des propos d’Abass Fall. Il précise : ‘’La dernière fois, ils (les gouvernants) avaient décidé de nous payer avec les ressources tirées des euro-bonds. Quand ces ressources sont venues, ils ont épongé 50% de la dette concernant 2016-2017 seulement, je ne parle pas de la dette globale. Alors qu’il y a des dettes antérieures.’’ Comme préjudices, M. Fall souligne les tensions permanentes avec les personnels technique, administratif et pédagogique. Certains ont été contraints, selon lui, de réduire leurs effectifs.

Même rengaine chez les acteurs du Btp (bâtiments et travaux publics). Sous couvert de l’anonymat, cette source n’y va pas par 4 chemins. Elle tranche en faveur de l’ancien Premier ministre. ‘’M. Loum sait bien de quoi il parle. La vérité est que l’Etat connaît des tensions de trésorerie. Sinon comment comprendre qu’il rechigne à payer les gens après services faits ? La situation est très difficile pour les entreprises’’, fait-il remarquer. Et les niveaux de la dette sont encore plus importants dans ce secteur des Btp. Pendant que les établissements privés pleurent pour 15 milliards, les ‘’champions intérieurs’’ du Btp courent derrière 75 milliards de francs CFA. ‘’L’Etat, informe notre interlocuteur, nous doit énormément d’argent. J’ai peur que ça soit plus de 100 milliards de francs Cfa pour l’ensemble des entreprises. Et je ne parle que des dettes qui sont échues.’’

‘’Chantiers à l’arrêt ou au ralenti’’

La tension est donc perceptible à tous les niveaux de l’économie. Selon nos interlocuteurs, l’Etat ne paie pas ou paie difficilement. Prestataires, bailleurs, banques, aucun secteur ne semble épargné. A la question de savoir si les entreprises souffrent de cette situation, un industriel du Btp rétorque : ‘’Dire que nous en souffrons, c’est un euphémisme. En vérité, nous sommes déjà morts.’’ En effet, explique-t-il, ‘’il faut savoir que l’Etat est notre plus gros client. S’il ne paie pas, les gens se retrouvent dans des difficultés. Sans argent, on ne peut payer nos sous-traitants, nos transporteurs, les cimentiers… Dans ces conditions, aucune entreprise ne peut être performante.

D’ailleurs, des chantiers sont à l’arrêt ou marchent au ralenti’’. A ce propos, Docteur Cheikh Tidiane Dièye ne met pas de gants pour fustiger l’attitude du gouvernement. Dans une contribution, il fulmine : ‘’Le gouvernement aura beaucoup de mal à nous convaincre aussi longtemps que l'on entendra les complaintes des entreprises et des différents prestataires de services qui courent derrière l'État pour se faire payer. Il aura encore plus de mal à persuader des citoyens qui voient, sous leurs yeux et dans leurs quartiers, les dizaines de chantiers à l'arrêt, voire abandonnés partout dans le pays…’’. Monsieur Dièye ne se contente pas de déclarations fortuites. Il liste des chantiers à l’arrêt : chantiers sur la rue accolée à la Fédération sénégalaise de Football à Ouest Foire, dans la commune de Yoff, même décor à Thiaroye Gare, à Fass Delorme, au rond-point Hlm 6, à Pikine Nord ainsi que dans des villes comme Gossas et bien d'autres.  

Les banques, également, subissent les tensions de trésorerie notées au niveau du Trésor public. Certaines sources indiquent en effet que l’Etat qui, sur tous les toits, accusait Ecobank d’être responsable du retard dans le paiement des bourses des étudiants, n’a pas dit toute la vérité dans cette affaire.

En effet, il ressort de nos investigations que les pouvoirs publics doivent plusieurs  milliards de nos francs à la banque panafricaine (environ 18 milliards, selon certaines estimations). Ce qui est à l’origine des retards de paiement ayant concouru à la mort de Mouhamadou Fallou Sène. Pendant ce temps, les moniteurs des ‘’daara’’ ruent dans les brancards pour 8 mois d’arriérés de salaires. Hier, ‘’Le Témoin’’ informait que le gouvernement doit à ces derniers 1,600 milliard francs CFA.

Priorité aux dépenses urgentes et sensibles

Dans ce contexte de raréfaction des ressources, les services du Trésor procèdent tous les jours à des arbitrages dans le paiement des dépenses. Pendant que le ministre Birima Mangara a essayé, avant-hier, de donner des explications pour rassurer l’opinion, des agents du Trésor ont préféré donné leur langue au chat. Interpellé sur la situation économique, Madiakhaté Niang, responsable du Syndicat des travailleurs du Trésor, brandit le devoir de réserve. ‘’On s’excuse, mais on ne veut pas s’exprimer sur cette situation. Nous sommes vraiment désolés’’, a-t-il déclaré. En ce qui concerne les procédures de paiement évoquées par le ministre du Budget pour justifier certaines lenteurs, un agent sous le couvert de l’anonymat explique qu’en fait, les dépenses sont liquidées en fonction de critères définis par le trésorier général. Ce dernier est l’unique banquier de l’Etat.

Toutefois, le fonctionnaire souligne que les critères ne sont pas souvent objectifs. Généralement, ces références sont relatives à l’urgence et à la sensibilité des dépenses. Par exemple, poursuit-il, il y a les dépenses de personnels qui sont un peu sensibles. Elles sont réglées avant les autres. En ce qui concerne les fournisseurs, ils sont généralement sacrifiés, selon nos informations.

Notre interlocuteur de marteler, par ailleurs, que tout au niveau du Trésor est centralisé. Il explique : ‘’Aucun poste comptable ne peut engager de paiement sans passer par le trésorier général. C’est une mesure qui a pour mission de veiller à l’équité et à la célérité dans les dépenses publiques. Parfois, il pouvait y avoir des régions qui peuvent avoir des difficultés. Cette mesure permet de réajuster et de payer même les régions qui ont un déficit de ressources. C’est ce qu’on appelle la centralisation des opérations.’’ Quant aux caisses vides ou renflouées, les fonctionnaires ne veulent faire aucun type de commentaire.

MOR AMAR

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