Publié le 22 Sep 2016 - 21:37
SITUATION EXPLOSIVE DANS LES PRISONS SENEGALAISES

L’Etat a du pain sur la planche

 

La construction de nouvelles prisons est l’une des options prises par l’Etat pour désengorger les établissements pénitentiaires. Mais, celle-ci semble avoir pris du plomb dans l’aile. Le gouvernement a aussi initié une réforme du Code pénal et du code de procédure pénale qui peine à aller à son terme. Cette volonté de soulager les détenus se heurte aussi à des écueils que sont la Loi Latif Guèye et les mandats de dépôts systématiques qui sont très critiqués. Ainsi, le constat est que le gouvernement a du pain sur la planche pour venir à bout des problèmes des prisons sénégalaises.

 

Les observateurs avaient vu venir. Ils n’ont cessé d’alerter les autorités sur les risques de révolte dans les prisons. Les détenus, pour protester contre les longues détentions préventives et les conditions de détention rendues exécrables par le surpeuplement, n’ont cessé, depuis plusieurs mois, d’observer des grèves de la faim. Malgré ces signaux, l’administration pénitentiaire s’est emmurée dans un silence ou s’est contentée de démentis. Mais la mutinerie survenue ce mardi à la plus célèbre prison du Sénégal traduit le malaise que vivent les pensionnaires des établissements pénitentiaires.

Pour mettre fin à cette situation ou du moins offrir un meilleur traitement aux détenus, l’Etat du Sénégal mise sur la réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, mais également et surtout sur le désengorgement des prisons, avec la promesse d’en construire de nouvelles. Rebeuss est mise sur la liste des priorités, car elle a largement dépassé sa capacité d’accueil. Les autorités annonce sa délocalisation à Sébikotane où sera construite une nouvelle prison pour 1500 personnes sans différenciation de sexe ou d’âge. La future prison sera composée de 14 secteurs avec chacun un bâtiment d’hébergement.

D’ailleurs, la pose de la première pierre a eu lieu en grande pompe le 27 janvier 2015. Lors de la cérémonie, le ministre de la Justice avait annoncé que la nouvelle prison serait réceptionnée au bout de 24 mois. Mais le Sénégal devra encore attendre pour voir la première prison après indépendance être construite. Car depuis cette date, aucune autre brique n’a été posée sur le chantier qui doit également abriter la future Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP). Il s’y ajoute que des voix autorisées au ministère de la Justice affirment que le gouvernement ‘’n’est pas encore dans la faisabilité’’.

Face à ce retard, il est légitime de se demander si l’Etat est réellement animée par une volonté politique de construire de nouvelles prisons. Car une croyance tenace dit que celui qui construit une prison y entrera forcément. Egalement, que le régime qui le fait va tomber inéluctablement. Le gouvernement, par la voix de son Garde des Sceaux, a toujours voulu se montrer cartésien, en exprimant sa volonté de ne point se soucier de la superstition. Mais force est de constater qu’à l’épreuve des faits, on est loin de voir une future prison sortir de terre. Notamment au regard de certains actes posés par l’Etat et qui suscitent des questions. En fait, dans un pays comme le Sénégal, marqué par le chômage des jeunes, des problèmes de santé, d’éducation et autres, l’opinion percevrait mal que le gouvernement inscrive dans son budget une ligne destinée à la construction d’une prison.

Montage financier alambiqué

D’ailleurs, le Garde des Sceaux l’avait relevé lors du vote de son projet de budget pour l’exercice 2016. ‘’Le financement (de la prison de Sébikotane) ne peut être inscrit dans le budget, à cause d’une forte résistance de l’opinion publique qui verrait mal tant d’argent investi dans une prison, alors que le chômage des jeunes est toujours récurrent’’, avait déclaré Me Sidiki Kaba devant les députés. Face à cet obstacle, pourquoi le Sénégal n’a pas privilégié la voie de la coopération étrangère, comme cela se fait dans certains domaines qui parfois n’ont même pas besoin d’un appui extérieur ? Pourtant, il existe bien. Mais, à la place d’un financement étranger, le Sénégal a choisi la voie d’un montage financier alambiqué. Selon les explications du Garde des Sceaux devant les députés, c’est le produit issu de la vente de Rebeuss qui servira à la construction de Sébikotane. Or, il se trouve que cette vente doit suivre plusieurs étapes.

D’abord, elle doit être autorisée par l’Assemblée nationale, du fait qu’il s’agit d’un immeuble appartenant à l’Etat. La seconde étape concerne l’évaluation du site de la vieille prison construite depuis 1929. Celle-ci a été faite et les experts ont conclu à une valeur de 6 791 758 320 F CFA. Et c’est là où réside la véritable difficulté car, selon les renseignements de Me Kaba, il a été proposé au partenaire choisi pour l’achat de Rebeuss de décaisser le prix de la vente et d’attendre la fin des travaux de Sébikotane pour disposer du terrain. Cette conditionnalité a freiné les potentiels acquéreurs et hypothèque également la construction de la future prison. Outre cet imbroglio dans le montage financier, il est noté des aménagements au sein de certaines prisons dont Rebeuss. Pourquoi aménager, si la vente est imminente ?  Même si on parle de solutions à court terme.

La réforme sélective du Code pénal et du code de procédure pénale

Par ailleurs, dans l’optique de désengorger les prisons, le gouvernement s’était inscrit dans la dynamique de réformer le Code pénal et le code de procédure pénale. A cet effet, la commission chargée de cette réforme avait fait plusieurs propositions dont certains vont dans le sens de réduire les longues détentions préventives. Parmi celles-ci, il y a la limitation de la détention préventive, surtout pour les affaires criminelles, car aucun délai n’est imparti aux juges d’instruction. Avec les réformes proposées, aucun détenu ne pourra faire trois ans sans être jugé, sinon le mandat de dépôt sera caduc. Pour ce qui est des flagrants délits, le délai doit passer à 8 jours. Si le prévenu n’est pas jugé au-delà de ce temps imparti, l’inculpation est annulée.

 Toujours dans ce même esprit de désengorger les lieux de détention, l’Etat a décidé d’inciter, en amont, les magistrats à privilégier les peines alternatives. Ainsi, à la place d’une privation de liberté, la justice va opter pour des travaux d’intérêt public, pour les peines qui vont de 1 à 6 mois.  Seulement ces propositions ne sont jamais arrivées à l’Assemblée nationale. Seule la loi portant sur la suppression de la Cour d’assises au profit des Chambres criminelles a pu être votée puis promulguée. Encore que les choses ne semblent pas bouger avec la nouvelle loi, car les Chambres criminelles ne sont pas permanentes. Elles sont programmées tous les quatre mois mais ce délai n’est pas respecté.

Autant dire la question des longues détentions préventives qui est à l’origine du surpeuplement carcéral est loin d’être résolue. Il s’y ajoute que la loi Latif Guèye portant criminalisation du trafic de drogue ne fait qu’engorger les prisons. Pourtant les acteurs de la justice s’accordent pour dire que cette loi, en plus d’accentuer le surpeuplement carcéral, favorise les longues détentions préventives, étant entendu que les chambres criminelles ne sont pas permanentes. Donc pour le moment, en attendant d’avoir de nouvelles prisons, l’idéal serait de revoir la loi critiquée à chaque session de Chambre criminelle, mais surtout d’éviter les mandats de dépôt systématiques, mais aussi d’adopter les réformes déjà proposées. 

FATOU SY 

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