Publié le 28 Mar 2014 - 14:19
SOCIÉTÉ

Ebongué… bat à nouveau les Sénégalais

 

Si on peut s’aventurer à dire que le plat national sénégalais est le «Thiébou Diène» (riz au poisson), le régal des élèves et étudiants sénégalais est l’Ebongué. Ce gâteau est devenu un produit de consommation de masse pour les Sénégalais et il fait vivre bon nombre de personnes. 

 

 «Vendez-nous un sachet d’ebongué», s’exclament des élèves de l’école Anne Marie Javouhey sortis en recréation et visiblement pressés de déguster leurs beignets avant de retourner en classe. C’est le dernier jour, avant de prendre les fêtes de la jeunesse.  Non loin de là, vêtus de blouses bleues, de jeunes garçons bavardent et dégustent tranquillement leurs beignets. Ils ne ratent aucune occasion d’apprécier ces petits biscuits. 

«Mes gars, le gâteau est meilleur aujourd’hui», lance Ousmane, l’air moqueur, envers ses copains qui n’ont pas pu s’acheter de l’Ebongué. Les passants ne manquent pas de prendre quelques minutes pour acheter ces bonbons chez l’un des plus grands et anciens vendeurs de ce biscuit. Mohamed s'est installé près du quartier Sahm depuis onze ans.
 
Grâce à son ancienneté, le jeune Sierra Léonais, longiligne et d’une trentaine d’années, a investi dans la vente en gros des célèbres biscuits. «Beaucoup viennent ici acheter pour aller revendre», se félicite-t-il. Il a même employé un jeune Peulh ressortissant de la Guinée.
 
«Il m’a embauché pour que je l’aide dans la vente.», reconnaît Ahmad Ba, en train de vendre aux écoliers pendant que son patron prépare les gâteaux. Mohamed explique que le premier à avoir vendu le gâteau est un Libérien. Il en est de même du second répondant au nom de Johnson qui est arrivé au Sénégal juste après le départ de son concitoyen.  
 
Au populeux quartier de la Gueule Tapée, ils sont nombreux à s’essayer dans ce commerce. Booba Kamba est un jeune Gambien d’une vingtaine d’années qui  est arrivé à Dakar dans l’optique de bien gagner sa vie. Il a trouvé la vente de ce gâteau artisanal très lucrative et s’est lancé. «Avec ce commerce, tu dépenses moins et tu gagnes plus. J’ai appris donc à faire ces gâteaux grâce aux étrangers», explique M. Kamba, assis sur son tabouret les mains tachées de farine.
 
A un kilomètre environ du jeune Gambien, se trouve un autre vendeur, originaire de la Sierra Léone. Mohamed Moustapha Gébeh est venu tenter l’aventure au Sénégal en 2010. Cet ancien maçon,  la vingtaine, taille moyenne, chétif avec des yeux un peu bridés et un visage rabougri, est surpris par la grande affluence des étudiants pour ce produit.
 
«Je suis arrivé au Sénégal sans profession. Je suis un aventurier. C’était trop dur quand je faisais le boulot de maçon. Mais, j’ai appris à préparer l’Ebongué. Maintenant, je rends grâce à Dieu. Car je gagne ma vie avec ces gâteaux. Sincèrement, je ne me plains pas», se réjouit M. Gébeh. 
 
Repas de substitution pour les étudiants
 
Sur l’avenue Cheikh Anta Diop, en face de l’université, la circulation est dense. De nombreux clients attendent un car à l'arrêt du bus. Amadou Woury Diallo, originaire de la Guinée Conakry, a justement choisi ce coin pour installer son commerce. «Je me suis lancé dans cette vente depuis mon arrivée au Sénégal. Au départ, cela marchait très bien.
 
Mais, après l’opération de déguerpissement que nous avons subi au «couloir de la mort», la vente ne marche plus comme auparavant. Car force est de reconnaître que ce sont les étudiants qui sont les plus friands de ces bonbons», fait-il remarquer. «Je faisais plus de bénéfices quand j’étais dans ce couloir qu’ici. Car, c’est encore plus proche du campus», se désole-t-il, en haussant les épaules.
 
Avant même de terminer ses propos, un homme de teint noir, sac au dos comme un jeune écolier, arrive. Moctar Ndiaye est juriste de formation qui a déjà pris fonction. «Ce sont des beignets croustillants que j’aime beaucoup. Je ne peux m’empêcher d’en acheter, en passant par ici», dit-il en croquant un beignet. Deux policiers, l’un après l’autre, passent prendre aussi leur part.
 
Un étudiant, traversant la route à toute vitesse, pour ne pas se faire heurter par un véhicule, se présente et tend une pièce de 200 F à Amadou Woury. «J’en achète souvent après la descente», lance Boubacar Sall, cartable à la main. A côté de lui se tient une jeune fille de taille moyenne, chétive. Elle n’est pas une amatrice de ces biscuits. «Ces bonbons ne me disent absolument rien. Car, ils sont trop sucrés. Je fais tout pour vraiment éviter le sucre, par crainte d’attraper le diabète», explique Maïmouna Cissé.  
 
Au sein du campus, un autre étudiant en master révise tranquillement son cours de Droit, des bonbons à côté de lui.  «J’achète parfois 400 F Cfa d’Ebongué. Quand je révise, je préfère les prendre que d’aller au restaurant ;  et ces biscuits me suffisent largement comme repas. D’autant plus que nos restaurants ne servent pas de repas de qualité», confie Bayo. En fait, les étudiants sont les principaux clients qui en font souvent des repas de substitution. 
 
Guinéens et Sénégalais s'y mettent
 
En termes de composition, l’Ebongué est fait à base de coco, farine, sucre, essence vanille, carbonate, levure et du lait en poudre ; et il n’y a pas trop de frais pour la préparation de ce fameux gâteau tant prisé par les Sénégalais. Les dépenses varient selon les vendeurs. D’aucuns dépensent entre 7 000 F et 10 000 F pour avoir un bénéfice qui va de 5 000 à 6 000 F par jour. D’autres préparent dans la journée plus de 5 kilos. Ils se retrouvent ensuite avec un bénéfice de plus de 8 000 voire 9000 F par jour. «Mon patron dépense entre 15 000 et 20 000 F pour avoir un bénéfice de 9 000 F voire plus parfois», révèle M. Ba qui pense de plus en plus
 
à travailler pour son propre compte. 
 
Maintenant, ces biscuits ne sont plus uniquement vendus par les Libériens et les Sierra-Léonais. Les Sénégalais et les Guinéens ont commencé à se lancer dans ce petit commerce. «Je vends ce produit, depuis quelque temps, car il y a une forte demande. Avec ces ventes, j’arrive à subvenir à mes besoins et à ceux de ma famille», explique un jeune Sénégalais, vendeur de ces bonbons derrière la bibliothèque universitaire. 
Encadré
 
Genèse d'un nom
Les étrangers qui ont importé les biscuits ebongué au Sénégal l’appellent tout bonnement «cookie» qui veut dire gâteau dans la langue de Shakespeare. Mais ses origines donnent lieu à plusieurs versions. Étrangers ou Sénégalais, personne n'a pu expliquer la genèse du nom.
 
D’où vient ce nom Ebongué ? Tout ce que l'on peut dire à ce propos est que lors de la Coupe d’Afrique des Nations de football organisée en 1992, au Sénégal, le fameux buteur camerounais qui a éliminé le Sénégal portait ce nom. Il s’appelait Ernest Ebongué. Entré à l’heure de jeu, Ernest Ebongué avait profité d’une bonne période camerounaise pour battre le portier sénégalais Cheikh Seck d’une frappe croisée à la 79e. Et au final, le Cameroun avait battu le Sénégal, grâce à Ebongué.
Samba DIAMANKA 
 

 

 

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