Publié le 26 Nov 2014 - 16:34
SOCIÉTÉ

Privatisation du Pèlerinage à la Mecque en 2015

 

Si la privatisation du pèlerinage à La Mecque semble inéluctable, la volonté de l’Etat, exprimée par le ministre des Affaires étrangères, de le faire dès l’édition 2015, est accueillie avec beaucoup de scepticisme. Tous les acteurs demandent des préalables avant d’aller vers une privatisation. Cette question charrie beaucoup d’autres, notamment celle du statut des missionnaires, les risques d’inflation sur le prix, et le cas de la compagnie Sénégal Airlines.

 

L’Etat veut déléguer la gestion du ‘’Hajj’’. Le ministre Mankeur Ndiaye l’a clairement exprimé, dernièrement, après le retour des pèlerins de La Mecque. Son souhait est d’aller, dès l’année prochaine, vers une privatisation totale du pèlerinage. ‘’L’Etat restera avec un encadrement très léger et nous veillerons à signer avec les privés un cahier des charges.

Il y aura des obligations que les privés devront absolument respecter. Si les privés sont prêts, le gouvernement est prêt; nous avons 10 500 comme quota annuel, s’ils veulent prendre les 10 500, le gouvernement va leur donner tous les 10 500 pèlerins‘’, avait-il ajouté. Donc, pour que cette privatisation prenne forme, il faut que les voyagistes privés soient dans les dispositions de prendre le relais. Ainsi, expliquant cette volonté de privatisation, le ministre expliquait : ‘’De nombreux pays ont laissé l’organisation du « Hajj » à des privés. Histoire de dire que si un accord est trouvé, l’Etat va accompagner, avec une légère équipe, l’encadrement. Les privés tiennent les deux tiers de notre quota annuel de pèlerins ; ce qui est important. Cette tendance va être poursuivie’’.

Une annonce diversement accueillie par les organisateurs privés

Cette annonce de Mankeur Ndiaye trouve un écho favorable auprès de l’Union nationale des organisateurs privés pour le Hajj et la Oumra (Unophom). Le responsable Sadibou Seck juge que c’est possible, dès 2015. ‘’Nous l’avons demandé depuis presque trois ans. Nous sommes passés de 0 à 70%. Nous pouvons facilement gérer du 100% ; Le commissariat général pour le pèlerinage à La Mecque qui n’est évalué que sur les 30% rencontre d’énormes difficultés à remplir cette mission. Nous l’avons toujours souligné : il faut nationaliser ou privatiser’’, dit-il.

Selon Sadibou Seck, ‘’cette idée peut se matérialiser d’ici 2015, dans la mesure où il existe déjà un cahier de charges entre l’Etat du Sénégal et les voyagistes privés, de même qu’il en existe entre les Saoudiens et les privés. Ce cahier peut être revu dans le cadre de la privatisation.’’ Le Consortium des organisateurs privés pour le Hajj et la Oumra (Cophom) salue également l’initiative. Toutefois, le consortium considère qu’il faut des préalables. ‘’Nous jugeons que c’est prématuré de parler de privatisation pour 2015. Elle ne peut se faire que de manière progressive car elle exige au préalable des concertations avec les différents acteurs.

Mais, jusqu’à présent, il n’y a pas eu de feed-back’’, souligne Safiétou Diongue Seck, la présidente du Cophom. Ces mêmes remarques sont faites par un privé qui pense que le délai est trop court. ‘’L’Etat est tenu d’établir en premier un cahier de charges bien déterminé en vue d’éviter des déboires. On ne privatise pas du jour au lendemain’’, dit-il, craignant, comme d’autres, que ce ne soit juste une déclaration d’intention.

Les encadreurs des pèlerins qui travaillent avec le commissariat général sont eux totalement dubitatifs. D’ailleurs, on rit sous cape. ‘’En faisant cette déclaration, le ministre Mankeur Ndiaye pensait certainement que les pèlerins sous le poids de la fatigue n’allaient pas prêter attention à ses dires ou qu’ils dormaient’’, lâche avec ironie un guide de pèlerins. Lui comme d’autres doutent de l’éventualité de rendre effective la privatisation dans quelques mois. ‘’S’il avait pris l’engagement de rendre effective la privatisation dans 10 ans, on aurait applaudi des deux mains. Mais l’improvisation ne peut induire des résultats probants. Elle créera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra’’, martèle-t-il.

Cheikh Oumar Tall : ‘’il faut maintenir le statut quo’’

La privatisation du ‘’Hajj’’ résonne mal dans l’oreille de quelques voyagistes. Ils militent pour le maintien du statut quo. ‘’A défaut, il faut opter pour une libéralisation qui permet à chaque acteur de s’engager librement sans entraîner un désengagement total de l’Etat’’, souligne l’islamologue Cheikh Oumar Tall, par ailleurs Directeur de Publication du journal ‘’Al Yawmou’’. Pour cet islamologue, l’Etat doit respecter le choix du pèlerin. ‘’Certains préfèreront toujours voyager avec le commissariat général et pour rien au monde, ils ne solliciteront les services des voyagistes privés, tout comme d’autres ne voudront jamais être convoyés par l’Etat’’.

Autre explication : ‘’l’Etat ne doit pas sacrifier les pèlerins au profit des privés qui regorgent d’un grand nombre de ‘’businessmen’’ obnubilés par le gain. La libéralisation du hajj demeure donc, pour lui, la meilleure formule, à défaut de maintenir le statut quo. Avec ce schéma, ‘’le pèlerin, qui est un consommateur de service, aura la latitude de choisir entre le privé et l’Etat.  Nous avons un système libéral, on ne peut privatiser à 100%’’.

Cheikh Bamba Dioum, auteur du livre  ‘’Les chemins du Hadj’’

 ‘’Il fallait s’y attendre’’

En plus d’être un voyagiste, Cheikh Bamba Dioum est un islamologue qui a publié le livre ‘’les chemins du Hadj’’. Spécialiste de questions du pèlerinage, il révèle que cette situation était bien prévisible. ‘’Il fallait s’y attendre, la privatisation s’est faite de façon progressive. Depuis des années, la part allouée à l’Etat a baissé au profit du privé’’, souligne le Président G.I.E YOONU MAKKA. En 2005, par exemple, sur 8551 fidèles en partance pour La Mecque, 5051 ont été encadrés par le commissariat et 3500 par les voyagistes privés.

‘’Mais à partir de 2009, la tendance est inversée : sur 10 500 pèlerins, le Commissariat général en prenait en charge 4000 et le privé 6 500. En 2013, sur 8 500 pèlerins, les 2500 sont revenus à la commission nationale et le reste, les 6 000, aux voyagistes privés’’. Pour M Bamba Dioum, tout ceci explique la décision de l’Etat de privatiser le Hajj, d’autant plus que, ajoute-t-il, le commissariat général ne tire son épingle du jeu que lorsqu’il gère un nombre réduit de pèlerins. Il regrette juste que des facteurs politiques retardent cette privatisation.

 

L’équation des missionnaires

Leur disparition souhaitée

Dans la dynamique enclenchée par l’Etat du Sénégal, il sera question de redéfinir le statut des missionnaires dont le rôle est de plus en plus remis en question. Selon la plupart des personnes interpellées, ils ne servent qu’à caser une clientèle politique, au lieu d’encadrer les fidèles. Ce que confirme Bamba Dioum. ‘’En raison d’une sélection inappropriée de ces missionnaires sélectionnés sur la base de critères subjectifs, les pèlerins sont laissés à leur sort à La Mecque, vu que ces missionnaires n’ont aucune connaissance du terrain’’. Si la volonté manifestée par l’Etat se concrétise, il faudra s’attendre à une diminution drastique de ces missionnaires, selon les différents acteurs. ‘Il faudra juste cinq ou six missionnaires pour accompagner le commissariat qui devra jouer le rôle de régulateur. Il ne faut pas perdre de vue que l’encadrement de proximité et de qualité a permis à des privés de marquer la différence’’, tient à préciser M Sadibou Seck, le président de l’Unophom.

Du côté des pèlerins, cette décision vient à son heure, dans la mesure où ils n’ont pas senti l’efficacité de ces missionnaires. ‘’On les perd de vue dès qu’on met les pieds à l’aéroport. Idem pour le commissaire général que l’on ne voit qu’une seule fois’’. Pour cette dame, cadre au ministère de la Justice, ‘’seuls les pèlerins du privé sont en mesure de donner un sens à la notion de guide. Ils sont bien encadrés et cela vaut le prix. Nous n’avons pas cette chance, dans la mesure où nous sommes laissés à notre propre sort. C’est la galère pour nous à La Mecque’’. D’autres pèlerins par contre pointent du doigt l’indiscipline des Sénégalais, pour expliquer certains désagréments. ‘’Les Sénégalais sont très indisciplinés. Ils sont allergiques à l’ordre. Ils ne cherchent pas à suivre les instructions des guides. Nous avons intérêt à revoir notre comportement aux lieux saints de l’Islam pour pouvoir bénéficier d’un séjour agréable’’, fulmine un nouveau hajj.

Toujours est-il que des imperfections sont aussi relevées du côté du privé. Des clients étalent leurs griefs. ‘’On ne peut verser dans la généralisation, mais la déception a été le sentiment le mieux partagé dans notre groupe. On ne voyait presque pas les guides. On était obligé de se débrouiller pour trouver des repères, malgré les barrières linguistiques. C’était vraiment éprouvant.’’

Un guide : ‘’Ils n’ont qu’à se débrouiller…’’

Interpellé sur la question, un des guides se défend. ‘’On ne peut pas porter sur le dos les pèlerins. On ne peut que leur donner des repères. Ils n’ont qu’à se débrouiller par la suite’’. Mais pour M Sadibou Seck, il ne faut pas perdre de vue que ‘’les voyagistes privés qui ne remplissent pas les termes du contrat perdent en crédibilité. Ils sont vite éliminés par la concurrence, car les clients leur tournent leur dos au profit de plus sérieux.’’ 

Par Matel BOCOUM

 

 

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