Publié le 19 Sep 2018 - 23:35
SONDAGES EN PERIODE PREELECTORALE

Incongruités autour d’une interdiction

 

Effectuer des sondages en période d’avant-élection est prohibé au Sénégal. Mais, en secret, les états-majors politiques ne se privent pas de prendre la température.

 

C’est certainement la proscription la plus prescrite aux hommes politiques en quête permanente de stratégies pour capter des suffrages. La une du journal ‘’L’As’’ du 28 août dernier indique que le sondage des opinions par les états-majors politiques se pratique activement, malgré une interdiction légale. ‘‘Le sondage m’attribue 54 %, mais je veux plus’’. Sans plus de détails sur cette étude, le président Macky Sall, qui recevait une des entités de sa coalition électorale Bby - Macky-2012 - s’était félicité, en privé, de ces résultats.

Le bien du président, qui prêchait devant des ‘’convertis’’, est un mal pour l’opposition. D’après Momar Lissa Sagna du Comité directeur du Pds et membre de la Fédération nationale des cadres libéraux (Fncl), ces propos du président Sall sont une fuite en avant pour cacher une probable future déconvenue. ‘‘Même leurs propres cabinets qu’ils ont mandatés disent que le président Sall est minoritaire. Toutes les boites sérieuses, comme Synchronix, le donnent perdant, soit derrière Karim Wade, soit derrière Khalifa Sall. A votre avis, pourquoi s’acharne-t-il sur eux à ce point ? A l’Alliance pour la République, ils savent très bien que, sociologiquement, mathématiquement et techniquement, ils ont déjà perdu le premier tour’’, a-t-il expliqué hier au téléphone d’’EnQuête’’.

Si ce responsable politique libéral à Bignona refuse de se prononcer sur l’interdiction légale de publier des sondages en temps électoral, il reconnait, entre les lignes, que dans les staffs politiques, les réseaux sociaux, les médias et chez les citoyens lambda, la pratique est une réalité bien ancrée. Il est de notoriété que les politiques commanditent des études d’opinion, à l’approche des élections, pour leur propre compte. Malgré un cadre législatif déjà bien campé avec la loi du 14 avril 1986 et le décret de 2011 portant Commission nationale des sondages, le capharnaüm persiste.

Manipulation possible

L’article 20 de cette loi précise que ‘‘la publication ou la diffusion de tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect avec un référendum ou une élection réglementée par le Code électoral, est interdite à compter de la date de publication au ‘Journal officiel’ du décret portant convocation du corps électoral jusqu’à la publication définitive des résultats du scrutin’’. Premier à la violer, le président de la République et de l’Apr, Macky Sall. Mais une nuance existe. Comme le précise anonymement cet agent d’une boite d’études, ‘’la temporalité de la période préélectorale n’est pas encore définie’’. Mieux, il avance que ‘‘c’est la publication qui est interdite. L’utilisation, par les politiques, à titre privé, est totalement légale et justifiée.

Le motif, derrière l’interdiction de publication dans la loi de 1986, c’était le refus de la manipulation des masses. On ne peut raisonnablement pas interdire des sondages dans une démocratie, et à des politiciens de surcroit’’, déclare-t-il, s’étonnant que cette pratique se fasse encore de manière pratiquement clandestine, alors que le pays devrait dépasser ce stade. Il reconnait, toutefois, qu’avec certains commanditaires peu vertueux et une activité non encadrée, on risque de faire face à un découragement ou un engouement de l’électorat (selon son appartenance) en tentant de se conformer aux attentes des principaux intéressés. L’expert s’étonne même de la violation de certains critères les plus élémentaires en amont et en aval de ces études. ‘‘Les conclusions sont annoncées sans qu’on édifie sur les conditions du sondage, le nombre de personnes, la tranche d’âge, le genre, son commanditaire, sa marge d’erreur, l’intervalle de confiance, etc.’’, s’offusque-t-il.

A qui mieux mieux

Dans l’exposé des motifs de cette loi d’ailleurs, c’est la mise à l’abri contre la manipulation qui a été évoquée. ‘‘La loi protège l’opinion publique sénégalaise contre toute manipulation à des fins politiques ou commerciales que pourraient susciter certains sondages ne respectant pas un minimum de règles techniques indispensables à leur fiabilité, et ce, malgré la liberté d’expression garantie à tous les Sénégalais par leur Constitution’’. Dans la tension préélectorale du scrutin présidentiel de 2012, des sondages voletaient de partout issus des rangs de l’opposition comme ceux du parti au pouvoir (le Pds). Un décret pris en mai 2011 par Abdoulaye Wade active la Commission nationale des sondages dont le rôle est de suppléer les carences de la loi de 1986.  A la veille de la présidentielle, la structure vole au secours de ce dernier, après la multiplication de sondages défavorables excluant toute possibilité de victoire au premier tour, mais lui attribuant toutefois la tête avec 26 % des intentions de vote.

Le 9 décembre 2011, un communiqué du président de la commission, Cheikh Tidiane Coulibaly, avait sévèrement averti les contrevenants. ‘‘Toute personne morale ou physique souhaitant réaliser des sondages destinés au public, doit, au préalable, obtenir un agrément et une autorisation de la Commission nationale des sondages, après vérification des conditions de leur réalisation’’, prévenait-il. La semaine d’avant, Moubarack Lô et deux autres directeurs de publication de journaux, avaient été convoqués devant la Direction des investigations criminelles pour répondre de la diffusion de fausses nouvelles, risquant une lourde peine de 1 à 3 ans de prison et une amende pouvant atteindre 1,5 million de francs Cfa. Plein de pot, ou de clairvoyance, un mois plus tôt, l’économiste et statisticien Moubarak Lô y était allé de son sondage, en novembre 2011, en donnant ce qui sera pourtant le bon ordre d’arrivée pour le scrutin de 2012 (Macky-Wade-Niasse), s’attirant alors les critiques d’opposants et de membres de la société civile dans un contexte préélectoral très tendu. 

Six ans plus tard, bis repetita pour une étude dont les conclusions ont eu moins de publicité. La version en ligne du magazine ‘’Confidentiel Afrique’’ a ‘‘fuité’’ les résultats d’un sondage de Iseo, du même Moubarack Lo (passé entre-temps collaborateur du chef de l’Etat Macky Sall), qui fait savoir qu’au mois de mai 2018, Dakar a majoritairement tourné le dos à l’actuel chef de l’Etat à 57 %. Pis, dans le sillage de législatives chaotiques organisées un an plus tôt, deux circonscriptions électorales d’envergure, Touba et Mbacké, sont également défavorables à Macky, alors que Matam et Kolda sont pratiquement dans sa poche. D’ailleurs, dans cette réunion avec ses alliés politiques, Macky Sall leur aurait enjoint à investir la capitale, car livrer bataille dans le Nord reviendrait à enfoncer des portes déjà ouvertes. ‘‘Que faites-vous au Fouta ? Là-bas, c’est déjà plié. Il faut plutôt rester à Dakar et à Thiès, c’est là où se trouve le vivier électoral’’, a-t-il lancé aux responsables de sa coalition électorale.

 ''Le Pur ne fait pas de sondage''

Avant et après cette sortie présidentielle sur ce qui serait son score, beaucoup de sondages-maison de sites Internet, ainsi que des cabinets plus ou moins douteux sur commande des états-majors politiques, ont colonisé et continuent de pulluler sur la toile.

Cependant, toutes les formations ne s’y adonnent pas. Pour la révélation des dernières législatives, le Parti de l’unité et du rassemblement (Pur), l’on assure que les sondages ne se font ni à titre officieux ni à titre officiel. Le leader du parti, le Pr. Issa Sall, botte en touche cette éventualité. ‘‘Nous n’en faisons et n’avons pas d’avis sur ceux qui le font. Cela ne m’intéresse pas’’, défend-il au téléphone. Même pour la définition des stratégies électorales, cette formation de l’opposition (arithmétiquement leader) préfère faire confiance à sa stratégie de massification intégrale qu’un ciblage partiel. ‘‘Nous cherchons des militants partout. Nous sommes partout au Sénégal. Naturellement, nous avons des statistiques. Nous savons là où nous sommes forts et là où nous sommes faibles. Dans les zones où nous sommes faibles, nous pourrons devenir forts à l’avenir…’’, concède-t-il toutefois.

OUSMANE LAYE DIOP

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