Publié le 15 Jan 2018 - 14:43
SORTIE DU PRESIDENT AMERICAIN SUR ‘‘LES PAYS DE MERDE’’

Les secousses éphémères de l’orage Trump

 

Le professeur Ousmane Sène, du Centre de recherches ouest africain (Warc, en anglais), jette un regard équilibré sur les développements que pourraient entraîner les déclarations de Donald Trump. Pour lui, les choses devraient revenir à la normale après la brouille.  

 

Peut-on s’attendre à des excuses publiques du président américain Donald Trump ? ‘‘La diplomatie aurait suggéré que des excuses soient faites. Au plus haut niveau, ce serait la meilleure chose pour effacer cette intervention malheureuse. Cela ne reflète pas nécessairement ce que les Américains dans leur ensemble pensent de l’Afrique. Je ne cesse de recevoir des courriels d’Américains qui connaissent bien l’Afrique et qui s’excusent de ce qui s’est passé car pour eux, ce continent, c’est autre chose que ce que Donald Trump a dit’’, tempère le professeur Ousmane Sène.

Contacté par téléphone, le directeur du Centre de recherches de l’Afrique de l’Ouest (Warc en anglais) n’en attend pas plus. Le président américain n’a pas fini de cristalliser la colère des élites intellectuelles, gouvernementales, sportives et citoyennes des Africains, des Haïtiens et de toutes les autres nationalités. Dernière réaction vendredi, après une réunion d’urgence du groupe africain à l’ONU, les 54 ambassadeurs ont exigé sa ‘‘rétractation’’, condamnant des ‘‘remarques scandaleuses, racistes et xénophobes’’. Ils se sont dit ‘‘préoccupés par la tendance grandissante de l'administration Trump à dénigrer le continent et les gens de couleur’’. Le même jour, Sénégal et Botswana ont convoqué chacun l’ambassadeur américain dans leur capitale. Le gouvernement haïtien a quant à lui dénoncé des propos ‘‘odieux et abjects’’.

La realpolitik devrait vite reprendre ses quartiers

Le professeur Ousmane Sène est d’avis que la brouille est éphémère, que la realpolitik devrait vite reprendre ses quartiers, et qu’on n’est pas à l’abri d’une autre déclaration malheureuse du président Trump. ‘‘Une fois que le coup est passé et que le gouvernement américain fait le nécessaire, je pense que les gens vont passer à autre chose. Je ne crois pas que ces paroles soient de nature à remettre fondamentalement en cause les relations qu’il y a entre les USA et les pays africains. D’autant plus que, depuis qu’il a pris le pouvoir, et même pendant la campagne présidentielle, on est habitué à un discours embarrassant de la part de Donald Trump. S’il n’écoute pas ses conseillers, ce ne sera pas la dernière fois’’, assure-t-il, ajoutant que son discours pourrait ‘‘évoluer dans le bon sens avec une expérience progressive de son poste et de la Maison blanche’’.

Politique migratoire

Selon l’article de Josh Dawsey du Washington Post qui a révélé ces propos, des sénateurs démocrates et républicains, sur demande du ‘‘Black Caucus’’ du Congrès, ont proposé à Donald Trump une coupe sur la loterie de la carte verte qui profiterait aux pays africains sous-représentés ainsi qu’aux pays sous protection temporaire comme Haïti et Salvador. Ce à quoi le président américain a répondu par une question en demandant : ‘‘pourquoi devrions-nous voir tous ces gens de ces pays de merde venir ici ?’’ Une rencontre qui a eu lieu jeudi dernier au Bureau ovale, dans le cadre d’un accord bipartisan sur l’immigration.

Une piqûre de rappel pour garder à l’esprit que ces propos surviennent dans un contexte où la politique migratoire de Donald Trump se propose de déporter 50 mille Haïtiens, 5 300 Nicaraguayens, 200 000 Salvadoriens et près de 2 000 Soudanais dont beaucoup sont issus d’un programme de régularisation sous Obama appelé Daca. ‘‘La question de l’immigration n’est pas encore réglée car les USA sont un pays ouvert, de droit. Quand on a voulu refouler les premiers arrivés venant des pays ciblés par la suppression du Daca, le peuple américain dans les villes en question, ainsi que leurs maires, s’étaient levés pour dire non. Des juges ont même pris des décisions disant que c’était anticonstitutionnel, illégal de les renvoyer, car ils détiennent la carte verte’’, commente le directeur du Warc qui ajoute qu’à part le passage à la trappe de la loi sur la santé ‘‘Obamacare’’, ‘‘Donald Trump n’a pas réussi un grand coup depuis qu’il est à la Maison blanche’’.

Des errements qui créent des fissures dans sa gestion par lesquelles pourraient se faufiler ses adversaires politiques. Les démocrates pourraient profiter de l’accumulation de ces situations délicates dans lesquelles se met le président américain. ‘‘Les Républicains ont la majorité, mais il y a beaucoup de sénateurs vieillissants qui sont sur le départ. Le remplacement de ces postes au Congrès, avec tout ce qu’on peut dire de la première année de Donald Trump, pourrait jouer en faveur des Démocrates’’, analyse Ousmane Sène.

Martin Luther King day

Malgré un tweet rectificateur du Président américain, niant avoir tenu de tels propos, la grogne persiste en dehors comme à l’intérieur des USA. Comme à chaque troisième lundi du mois de janvier, le Martin Luther King day est célébré aujourd’hui aux Etats-Unis. Une fête qui commémore l’anniversaire de la naissance du héraut de la lutte pour les droits civiques des noirs aux Etats-Unis, le révérend Martin Luther King.  La date est tellement symbolique qu’elle est jour férié en Amérique. La tempête n’aurait pas pu tomber plus mal pour Donald Trump. Deux autres journalistes sur le site de CNN, ayant aussi éventé les propos du président américain, affirment même que c’est en pleine rédaction du discours du MLK Day que le scandale lui serait parvenu. C’est ce que semble confirmer le professeur Sène en avançant qu’‘‘il a déjà fait le discours depuis avant-hier (Ndlr : vendredi)’’.

Quel pourrait bien être le contenu de son message envers une communauté noire naturellement peinée par ses déclarations ? ‘‘La teneur de son message, c’est des éloges fournis pour Martin Luther King qui a changé la physionomie de l’Amérique avec les avancées de la communauté noire, les droits civiques etc. Le discours est déjà fait. Pour cette fois, les mots n’ont pas été déplacés. C’est une façon de rattraper le coup auprès de la population africaine-américaine et peut-être plus tard, un geste de conciliation à l’égard des gouvernements et peuples africains’’, conclut Ousmane Sène. 

OUSMANE LAYE DIOP

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