Publié le 16 Mar 2017 - 03:10
SORTIES FRACASSANTES DES TENANTS DU POUVOIR

Les perles des “apéristes”

 

Le constat est unanime : depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir en 2012, les sorties fracassantes se multiplient dans son camp. La dernière en date est celle du ministre d’Etat Mbaye Ndiaye qui affirme sans ambages que l’affaire Khalifa Sall est purement politique.

 

Faut-il en rire ou en pleurer ? Depuis l’arrivée au pouvoir du régime “apériste” en 2012, la République semble être confrontée à un problème d’hommes d’Etat. Les déclarations malheureuses se multiplient à un rythme effréné. Il ne se passe presque pas un mois sans qu’il y ait des propos d’une autorité ou d’un responsable politique qui donne à réfléchir sur sa culture éta- tique ou la maîtrise de soi. La dernière en date est la sortie du ministre d’Etat Mbaye Ndiaye. S’exprimant sur l’arrestation de Khalifa Sall, ce proche du Président Macky Sall pense qu’il est tout à fait légitime pour le chef de l’Etat d’utiliser les moyens publics pour combattre ses adversaires.

“Lorsque quelqu'un s'oppose à lui (le chef de l’Etat), il a le devoir de répliquer et de faire face. Il ne faut pas avoir honte de dire que Macky Sall a des moyens légitimes d'investiguer, d'auditer les affaires de la République. Il peut l'exercer sur tout dépositaire d'un mandat public, en particulier ceux qui s'opposent à lui”, affirme sans sourciller le direc- teur des structures de l’Alliance pour la République (APR). Ce discours n’a rien de nouveau, puisque c’est lui- même qui avait dit que si Khalifa Sall veut rester maire de Dakar, il n’a qu’à rejoindre le camp présidentiel.

Ce monsieur est d’ailleurs un habitué des frasques. Avant cette déclaration, il était connu pour sa facilité à verser des larmes. En novembre 2012, après quelques mois passés au ministère de l’Intérieur, Mbaye Ndiaye est démis de ses fonctions pour avoir échoué à maîtriser la manifestation des “Thiantacounes’. Lors de la passation de services avec son successeur le général Pathé Seck, le ministre verse de chaudes larmes, au point de se faire lire son discours par son directeur de cabi- net. A plusieurs autres reprises, le ministre d’Etat va verser des larmes. C’est le cas à Touba lors du magal de 2012 et à Thiaroye surMer en juin 2013, lors d’un meeting durant lequel il lui a été posé une question sur les liens entre le chef de l’Etat et les lobbys homosexuels. Même s’il est sans doute le plus remarqué, Mbaye Ndiaye est loin de détenir le monopole des bourdes.

Son parent Mbagnick Ndiaye serait sans doute parmi les lauréats si jamais il y avait un Fespaco des gaffes de la République. En effet, le 22 juillet 2014, à l’occasion de la passation de services au ministère des Sports entre lui et Matar Ba son successeur, l’actuel ministre de la Culture et de la Communication, dans sa spontanéité, avait donné plus que des indices sur les pouvoirs de la première dame dans l’appareil d’Etat. “Nous devons tous remercier Marième Faye Sall. Si nous sommes là, c’est parce qu’elle l’a voulu. Elle pouvait s’opposer à notre nomina- tion. Sans elle, ni Matar Ba mon successeur, ni moi ne serions ministres de la République”, soutient-il sur un ton qui trahit toute son innocence.

“L’ami en prison”

Plus de deux ans après, le maire de Ngayokhème (Fatick) est confirmé par le député Seydina Fall dit Boughazzeli. Ce dernier a fait lui aussi une déclaration qui laisse croire que la première dame aurait aussi une influence sur le pouvoir judiciaire. "J'ai un ami qui a été arrêté pour détention de chanvre indien, alors qu'il sortait de chez moi. Lors de la mutinerie de Rebeuss, il a été atteint par trois balles. Mais il a eu de la peine à avoir, ne seraitce qu'une liberté provisoire pour se soigner. Il a fallu l'intervention de la première dame pour que cette personne obtienne une liberté provisoire", révélait- il lors du vote du budget du ministère de la Justice, en décembre dernier. Abdou Mbow a beau s’improviser sapeurpompier, l’incendie était déjà assez important pour être étouffé.

En parlant de la justice, on se sou- vient des propos récents de celui qui est à la tête du département. Me Sidiki Kaba a créé la polémique en prononçant la sanction contre le juge Hamidou Dème, alors que ses pairs ne se sont pas réunis pour statuer sur son camp. Coupable d’une démission fracassante, le magistrat s’est attiré les foudres du ministre. “Un magistrat qui viole les règles concernant sa profession, il comparaît devant le tribunal des pairs. C’est le Conseil supérieur de la magistrature réuni en composition disciplinaire qui prend une décision. Par le passé, il y a eu des radiations, des rétrogra- dations...”. Des propos qui n’ont pas été du goût de l’Union des magistrats du Sénégal qui lui a porté la réplique.

Autre exemple, la démissionéclair de Youssou Touré. Avec beaucoup de bruits, le secrétaire d’Etat à l’Alphabétisation annonce, en mars 2016, sa démission du gouvernement et de l’APR, avec un chapelet de complaintes. "Je suis persécuté alors que je mets toute mon énergie à défendre le Président et le parti", se plaignait- il. Pourtant, il a fallu moins de 24 heures pour que ce fidèle de Macky revienne sur sa décision, après que la première dame (encore elle !) s’est rendue chez lui pour le convaincre de revenir sur sa décision. “C’était juste une incompréhension. J’ai eu mal et j’ai pris une position. Mais je la reconsidère. J’estime que c’était une erreur, j’ai mal interprété la situation, je regrette”, déclare-t-il.

Macky Sall : “On ne réveille pas un lion qui dort au risque d’être brutalisé”

Au registre des déclarations qui font polémiques, les responsables du parti présidentiel ne dérogent pas à la règle. Ils sont à l’image de leur chef. Dès les pre- mières heures de la deuxième alternance, le nouveau Président Macky Sall avait

déclaré avoir “mis sous le coude” des dossiers qui exigent la transparence. Des années après, inaugurant le Pont de l’émergence, il se donne un nouveau nom que l’opposition utilise aujourd’hui contre lui. Face à ses partisans le 25 juillet 2016, le patron de l’APR menace ses adversaires. “On ne réveille pas un lion qui dort au risque d’être brutalisé”, dixit Macky. Que dire de sa sortie menaçant tous les responsables de l’APR d’une pos- sible perte de poste en cas de défaite dans leur fief lors des locales de 2014 ? Une menace qui sera d’ailleurs mise à exécu- tion au lendemain du scrutin.

Au sujet des comportements “regrettables”, il y a celui du directeur de l’Autorité de régulation des télé- communications et des postes. Abdou Karim Sall, considérant que le groupe Wal Fadjri a transgressé la loi en matière de publicité en campagne électorale, avait jugé bon de réagir. Mais au lieu de s’appuyer sur ses ser- vices comme le veut la pratique admi- nistrative, le DG a cru bon de faire le déplacement lui-même dans les locaux de la société de Sidy Lamine Niasse pour remettre la mise en demeure. C’était le 20 mars 2016. Il se fera d’ailleurs recadrer plus tard par un membre de son propre camp, Abdoulaye Daouda Diallo, en l’occur- rence, ministre de l’Intérieur, donc de l’ordre publique. “(...) ce n’était pas quand même le lieu d’aller pour tenter une quelconque rupture de signal ou une coupure. Les moyens techniques sont là. On n’a pas besoin de faire tous ces déplacements-là”, désavoue-t-il.

On croyait le ministre légaliste. Mais 24 heures seulement après sa mise au point, l’arroseur se fera arroser. En effet, au lendemain du référendum, Abdoulaye Daouda Diallo a publié les résultats avant la Cena et la Cour d’appel. Ce qui était une première, surtout pour une autorité accusée de partialité. À son tour, il passé chez le coiffeur qui n’est personne d’autre que Mbaye Ndiaye. Se prévalant de son statut d’ancien ministre de l’Intérieur, chargé des élections, il sermonne l’enfant du Fouta. “Il faut continuer à res- pecter les normes républicaines en la matière. Il y a les commissions départementales qui doivent donner des chiffres, il y a la commission nationale, et il y a le Conseil constitutionnel. Je n’ai pas compris pourquoi il y a eu cette sortie du ministre de l’Intérieur pour donner des chiffres. En tout état de cause, je pense que les chiffres sont connus de tous depuis le soir du 20 mars. A partir de ce moment, je crois sincèrement que ce n’était pas utile de le faire, parce que je ne vois pas la nécessité ni pour le pouvoir, ni pour l’opinion.”

Malgré tous ces exemples, on est loin du bout du compte. Il serait d’ailleurs hasardeux de se lancer dans le décompte des frasques de certains leaders comme Farba Ngom et Moustapha Cissé Lo. Tout compte fait, à la République des apéristes, la communication n’est guère la leçon la mieux assimilée. Et bonjour les dégâts !

BABACAR WILLANE 

 

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