Publié le 14 Nov 2012 - 00:05
SOTRAC

Nostalgie !

 

 

Il arrive qu’on subisse des préjudices tellement de fois, qu’on finit par inscrire cela dans l’ordre normal des choses ou qu’on s’en accommode. Mais, « tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle se casse », a dit l’adage. Je n’aurais certainement pas écrit sur cette affaire si je n’en avais pas souffert plus d’une fois, surtout dans un intervalle de temps assez réduit.

 

« Une fois passe, deux fois lassent, trois fois cassent», disait un éminent homme des média, sénégalais, professionnel dans l’âme, familier de la langue de Molière, adepte du bon, du beau et du juste langage. Pondeur inlassable de formules qui faisaient toujours tilt, Doudou Diène, puisque c’est de lui qu’il s’agit, était maître dans l’art de jongler avec les mots, fascinant son auditoire comme fascinerait son public de mômes, le magicien de cirque, avec sa baguette et son chapeau haut de forme. Chapeau bas, Monsieur. Vous faites honneur à la corporation et à votre Nation. Les nouvelles générations de journalistes devraient s’inspirer de votre exemplarité.

 

Il ne s’agit pas, dans ce propos, de jouer avec les mots. Il est plutôt question des maux, entre autres maux, dont souffrent quotidiennement les braves goorgoorlu qui se lèvent à n’importe quelle heure du matin pour emprunter les « transports en commun » à la quête de la pitance de survie à partager avec la famille. Tout le monde sait que dans ce pays on ne vit plus, on survit. Du moins, il en est ainsi pour la grande majorité de la population sunugalérienne. La misère semble être notre dénominateur commun, et cela devrait, à mon avis, nous inciter à faire preuve de plus de solidarité et d’entraide, de soutien mutuel et d’indulgence. Malheureusement, le Sénégalais, de nos jours, semble avoir perdu, entre autres valeurs, ce sens élevé du partage qu’on lui connaissait. Et cela se ressent plus là où il le fallait moins. Au plus bas de l’échelle sociale. Chez ceux-là qui en sont encore à la recherche de la satisfaction des « besoins physiologiques ».

 

Dans cette jungle où semble régner la loi du plus fort, celui qui SE CROIT (seulement) mieux loti que l’autre, n’hésite pas à lui manifester un mépris qui ne dit pas son nom. Sans aucun scrupule. Le « torokhal » semble être à la mode. Lorsqu’un goorgoorlu sort de chez lui pour aller au travail, la première chose à laquelle il est confronté, c’est le transport. Or, c’est dans ce premier contact hors de chez lui qu’il commence, en général, à connaitre des déboires.

 

Je voudrais, ici, évoquer des faits qui se sont, tous, déroulés dans les cars AFTUS et qui n’honorent pas le personnel qui y travaille. Comme je l’ai dit à l’entame de mon propos, n’eût été la fréquence des événements, ils auraient été considérés comme des faits anodins, qui ne mériteraient peut-être pas d’être relatés dans les média. Mais leur recrudescence peut bien porter à croire que ces gens-là n’ont aucun respect pour ceux avec qui, pourtant, ils sont appelés à vivre.

 

Récemment, les passagers d’un car « TATA AFTU » ont été débarqués par le pilote (malgré lui quand même), tôt le matin, à l’heure du premier départ. Motif ? Son coéquipier n’a pas répondu à l’appel du devoir. « Il a l’habitude de ce genre de faits », commente le conducteur du car lui-même. Et d’ajouter : « Pourtant il est de repos depuis jeudi (l’incident a eu lieu un lundi matin). Il aurait dû m’informer qu’il ne viendrait pas aujourd’hui, ou bien qu’il serait en retard ». Les passagers ont dû descendre du car pour aller prendre un autre, faisant bon cœur contre mauvaise fortune.

 

Quelques jours auparavant, sur cette même ligne, un receveur, avec son air tout le temps renfrogné, s’est fait rabrouer par un passager qui lui reprochait son mépris affiché à l’égard des clients. Alors, tout se passa comme si tout le monde attendait que quelqu’un commençât. Tous semblaient avoir fait le même mauvais constat à l’égard du receveur, et notre gars de s’entendre traiter de tous les noms d’oiseaux. N’eût été l’intervention de quelques âmes salutaires, qui ont joué aux Sapeurs Pompiers, les choses allaient tourner au vinaigre, et certainement pas à l’avantage du freluquet.

 

Dans la même semaine, avec les mêmes « Tata Aftu », mais sur une autre ligne, deux chauffeurs se disputaient le premier départ. Ils s’étaient alors livrés à une course-poursuite sur plusieurs mètres, avant de se coincer l’un l’autre, pour se raviser ensuite. Tout ceci avec les passagers à bord. Que nous voulez-vous, messieurs ? Quelques jours après, c’est au tour d’un chauffeur qui attend l’heure de son départ, pile, pour s’apprêter à prier, alors qu’il avait largement le temps de le faire auparavant, « pour nous mettre en mal avec Dieu », avait commenté un passager. Le comble du mépris, c’est ce même chauffeur, d’ailleurs, qui va nous le manifester.

 

Mercredi 07 novembre.06h53 du matin. Le chauffeur en question fait son premier départ (avec trois minutes de retard déjà). Sur l’accoudoir situé à sa gauche repose un gobelet. Le car « rampait » plutôt qu’il ne roulait. Comme si le gus veillait à ne pas renverser le précieux contenu de son gobelet. Cela ne lui a pas suffit. Les passagers n’étaient pas encore au bout de leur peine. Leurs ennuis ne faisaient que commencer. Arrivé à une station d’essence à Mbao, l’intraitable chauffeur rangea son véhicule sur le trottoir, descendit avec un bidon vide, partit à l’arrière du bâtiment principal de la station d’où il revint avec un liquide qu’il vida dans un réservoir se trouvant à l’arrière du car, aidé en cela par son receveur. Certains passagers avaient commencé à rouspéter. D’autres avaient déjà quitté « l’embarcation » pour aller souffrir moins ailleurs.

 

C’est le lieu, à mon avis, d’attirer l’attention des employés de « service public » sur le danger qu’ils courent à faire subir n’importe quoi à leurs concitoyens. Les choses, un jour, pourraient aller plus loin que les petites querelles habituelles, et mal tourner. C’est le lieu, également, de rendre hommage aux travailleurs de la défunte SOTRAC, qui, quoiqu’on puisse dire, recevaient une formation qui leur dictait la bonne conduite à tenir en toute circonstance, surtout pour ne pas « vexer » le passager. Certes, il y a toujours des brebis galeuses dans toute corporation. Mais ce qui était la règle à la SOTRAC semble être l’exception dans tout le secteur des transports en commun, aujourd’hui, au Sénégal. Par ailleurs, les cars TATA dont on disait qu’ils remplaceraient les « Super » ne font pas mieux que ces derniers. C’est plus une question d’équipages consciencieux, qu’une question d’équipements soi-disant plus modernes.

 

Les rencontres, conférences et autres salons sur les transports, qu’elles soient nationales, africaines ou internationales, devraient se pencher sur la nécessité et l’importance de la formation pour tous les acteurs de ce secteur. Des séminaires devraient être organisés, régulièrement, dans notre pays, pour faire prendre conscience à ces gens-là de l’importance de leur rôle dans notre économie. Mais surtout de la responsabilité dont ils devraient faire preuve dans leurs rapports quotidiens avec autrui. L’humilité, à mon avis, fait partie des qualités qu’un individu doit avoir pour exercer certaines professions. Sinon son orgueil risque de lui jouer des tours. La sagesse recommande que l’on traite l’autre comme on voudrait être traité soi-même. Nul n’est pauvre ou faible si ce n’est par la volonté de Dieu. Nul n’est fort ou riche si ce n’est par la volonté de Dieu.

 

Un milliardaire Américain avait poussé sa curiosité (ou plutôt ses caprices de richard) jusqu’à vouloir expérimenter la vie des clochards. Il échangea, le temps d’une journée, ses habits de pacha avec des haillons et se fondit dans la masse de ces malpropres qui squattent les recoins les plus insalubres des rues mal éclairées d’une vieille ville. Arriva le moment de faire le bilan de son aventure. Il évoqua, entre autres, un problème ayant opposé deux de ses compagnons de misère qui en sont allés aux mains pour une simple histoire de petit bout de pain rassi dégoté d’une poubelle nauséabonde. Il dit avoir découvert une chose : « C’est ceux qui n’ont rien qui se battent pour rien ». N’avait-il pas raison, ce monsieur ? En tout cas, notre comportement de tous les jours rappelle bien cette fameuse histoire.

 

Pape O.B.H. Diouf

le 10/11/12

 

 

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