Publié le 10 Jun 2014 - 13:09
STAGE DE FORMATION INCERTAIN

Le début du cauchemar professionnel

 

Trouver un lieu de stage relève de plus en plus du parcours de combattant pour les étudiants en formation. Les sociétés sont de plus en plus réticents à les prendre, parce que concevant leur admission comme une charge et non une opportunité.

 

Le jeudi 8 mai, les séances de photo se multiplient dans la cour de l’Institut privé de gestion (IPG). Les crépitements des flashs immortalisent de larges sourires d’une journée de joie. Une promotion de 17 étudiants est fêtée ce jour-là. Vêtus de toges bleues, les impétrants reçoivent leur sésame, sous le regard envieux de leurs camarades venus nombreux se masser autour d’eux.

Spécialisés dans la maintenance du réseau informatique, ils sont préparés à tout… sauf à la pratique. En trois ans de formation, ils n’ont jamais été confrontés au monde de l’entreprise pour lequel ils sont formés. Une réalité de plus en plus partagée dans les établissements privés de formation professionnelle.

Passés les moments euphoriques à l’IPG, les nouveaux diplômés savent qu’ils leur reste du chemin à faire. Adama Ba est l’un d’eux. Son aveu est de taille. ''Je lance un appel aux entreprises pour qu'elles nous permettent au moins  l’accessibilité au stage. Ce serait déjà bien pour rentrer dans le monde du réel, parce que tout au long de notre parcours, on était dans le monde du virtuel''.

Cette absence de stage durant toute la formation, les étudiants l’expliquent par le refus des entreprises de prendre des stagiaires, parce qu’elles ne veulent pas qu’une personne étrangère puisse avoir accès à leur réseau. ''C’est la sécurité informatique'', sourit l’un d’eux. Et pourtant, Pape Saliou Sall, directeur de l'IPG, affirme que les étudiants ont déjà été dans les sociétés dans le cadre du stage obligatoire dans leur cursus. Faux! Rétorquent certains étudiants sous le couvert de l'anonymat.

Pourtant, cette réalité est loin d’être particulière à l’IPG. D’année en année, les étudiants des instituts privés de formation professionnelle, particulièrement les écoles de commerce, éprouvent des difficultés pour trouver des stages, même obligatoires. Ce qui augure déjà de lendemains sombres une fois le sésame en poche. L’appel de Adama Ba en est une preuve patente. Un diplômé qui demande non pas de l’emploi mais un stage. Dans les différents établissements, les responsables soutiennent pourtant qu’ils ont une bonne politique d’accompagnement qui permet aux étudiants de trouver des stages et même plus tard de l’emploi.

''Aucune école au monde n’a la prétention de trouver du stage à tous ses étudiants''

A IAM, ISEG, BEM, ISMEC, IMC, le discours est le même. Les responsables affirment avoir un organe particulier chargé de la question. Mais ils ne disent jamais qu’il y a des diplômés qui n’ont jamais fait de stage. Pourtant, on en trouve au moins à l’ISM, à l’IAM et à l’ISEG. Si les grandes écoles qui bénéficient d’une bonne réputation connaissent ces difficultés, qu'en est-il  des petits établissements ?

Blotti dans un bureau presque en verre, à gauche de l’entrée des locaux très chics de l’Institut africain de management (IAM), le directeur des études de l’établissement, en tenue traditionnelle, détaille la politique d’accompagnement.  Kaly Camara : ''Nous avons un service de la professionnalisation, un pôle de développement personnel, les techniques de rédaction de CV et rapport, la prise de parole en public''.

A l’ISM,  des enseignants  reconnaissent la difficulté, non sans ajouter : ''Aucune école au monde n’a la prétention de trouver du stage à tous ses étudiants. Ce n’est pas notre vocation. Notre rôle est de former''.

Mamadou Gaye de l’IMC, entouré de deux jeunes collaborateurs, embouche la même trompette. Même s’il dit avoir trouvé du stage à tous ceux qui sont dans le besoin, il n’affirme pas moins que ''ce n’est pas une obligation pour une école de formation de trouver des stages. Cela ne figure pas dans le contrat''. Peut-être que ces responsables des écoles tournées vers le marché devraient essayer de répondre à une question. Un étudiant qui n’arrive pas à avoir un stage, peut-il espérer un emploi?

Beaucoup de ces établissements qui affirment avoir un organe chargé du stage sont très peu utiles pour leurs étudiants. L’apport se limite à des lettres de recommandation délivrées à l’apprenant. A lui de les ventiler et de faire le suivi. La majorité des étudiants que nous avons interrogés dit avoir obtenu un stage par leurs propres efforts ou par l’entremise de leurs proches.

Un grand nombre termine son cycle sans stage, comme c’est le cas à l’IPG. Une étudiante de l’IAM de la promotion 2008/2011 déclare avoir plusieurs de ses copines qui n’ont jamais fait de stage. ''Quand je me plains de ma situation, elles disent que je me moque d’elles, parce que moi au moins j’ai fait plusieurs  stages. J’ai une copine qui n’a pas encore écrit son mémoire faute de stage''. Pour ne pas leur dire que c’est à eux de se débrouiller, leurs encadreurs leur font croire que l’esprit d’initiative commence d’abord par savoir se trouver du stage.

Les quatre péchés des stagiaires

 Laissés à eux mêmes, les étudiants n’ont aucune chance de trouver un stage. Et de l'avis de  deux directeurs des ressources humaines à qui nous avons parlé, quatre facteurs font que les entreprises n’ont pas envie de s’encombrer de stagiaires.

Le premier est que les étudiants n’ont aucune connaissance du secteur qu’ils ont choisi, même si, concèdent-t-ils, il y a une différence selon les écoles et les personnes. Le deuxième est lié à l’intégration dans le fonctionnement des entreprises. Nos interlocuteurs trouvent les stagiaires trop attentistes. ''Ils n’ont pas la curiosité d’apprendre. Or, personne n’a le temps de venir leur apporter l’information. Ils ont l’habitude d’être assis et d’attendre que le prof donne. Ici il faut aller chercher l’info''. 

Le troisième facteur est que les étudiants sont trop théoriques et pas assez pratiques. Sur le plan opérationnel, ils ne savent pas comment ça se passe. Sur ce point, Mamadou Gaye de l’IMC accuse le tronc commun. A son avis, avec ce système, les étudiants connaissent un peu de tout. Ils ne connaissent pas donc le tout d’un peu. Le résultat est que sur le marché, ''ils ne connaissent rien du tout''. C’est pourquoi lui a choisi de spécialiser ses étudiants dès la première année. Une option que ne partage pas Camara de l’IAM. A l'en croire, le tronc commun est essentiel. Chez lui, les étudiants font 5 semestres ensemble pour se spécialiser au sixième.

Le quatrième obstacle est le sens de l’initiative. '' Rares sont les étudiants qui viennent  avec des propositions''. A tous ces facteurs, il  faut ajouter le manque d’implication des responsables des écoles. Surtout que certaines sociétés ont procédé à un scoring sans rien dire. L’étude de la demande du candidat dépend avant tout de l’école d’où il vient. ''Certains établissements ne sont bons en effet que pour la corbeille'', confie un chef d'entreprise.

Ayant compris la difficulté de trouver des stages, les administrations des écoles essaient de contourner la difficulté par des modules d'entrepreneuriat. ''Nous leur exposons des cas comme Ndiaga Ndiaye. Des gens qui ont bâti leur réussite à partir de rien'', explique le directeur des études de ISEG, Abdoulaye Gaye. Dans beaucoup d’autres écoles, les dirigeants ont le même langage, donnant ainsi des exemples comme Bill Gates ou le fondateur de Facebook.

 

 

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