Publié le 11 Aug 2020 - 22:49
STRATEGIE DE RIPOSTE CONTRE LE CORONAVIRUS

Des experts montrent une autre voie à suivre au gouvernement

 

Plus de 5 mois de présence de la pandémie au Sénégal et les autorités gouvernementales peinent toujours à inverser l’ascension de la courbe des contaminations. Face à cette situation regrettable, un groupe de réflexion, composé de spécialistes du domaine de la santé, apporte d’autres pistes à explorer pour espérer stopper la Covid-19.

 

La nécessité de stopper la propagation de la pandémie de coronavirus au Sénégal interpelle tous les citoyens et pas que les autorités publiques. Face aux manquements de la stratégie développée jusqu’ici par le ministère de la Santé et de l’Action sociale pour enrayer la maladie, un groupe de réflexion, composé de responsables de sociétés savantes, d’organisations de travailleurs de la santé et de praticiens hospitaliers, propose une ‘’initiative multisectorielle et interdisciplinaire’’, afin d’apporter une contribution sur les stratégies de prévention et de prise en charge de la crise sanitaire au Sénégal.

Par le biais des recherches d’épidémiologistes, de socio-anthropologues, de virologues et de diverses personnes ressources, leurs observations et propositions ont été notées dans un document qui, pris en compte dans la stratégie de riposte à la Covid-19 du gouvernement, pourrait beaucoup aider à inverser la tendance haussière des contaminations.

Car le constat est simplement alarmant. D’emblée, le groupe d’experts signale la précarité des structures de soins au Sénégal, pour mettre en exergue leurs limites dans la prise en charge des cas graves de Covid-19. Mais quoique soucieux d’une prise en charge correcte des patients atteints de la nouvelle maladie, les experts n’oublient pas, comme l’Etat du Sénégal, qu’il existe d’autres pathologies. ‘’… L’orientation préférentielle des ressources (personnels, moyens de protection…) vers les centres Covid peut contribuer à fragiliser davantage l’offre de soins des patients non Covid’’, lit-on dans un extrait du document publié sur emedia.sn.

Fort heureusement, estiment les signataires, la décision de prise en charge extrahospitalière des cas asymptomatiques, dans le but de soulager les hôpitaux, pourrait atténuer cette situation.

Les insuffisances du plan de contingence

Le 19 mars 2020, le Sénégal disposait d’un plan de contingence pour faire face à la propagation de la Covid-19. Un document de travail salué par le groupe de réflexion, mais non sans relever beaucoup d’insuffisances, notamment dans la mise en œuvre de l’implication des communautés. Aussi, soulignent-ils des insuffisances dans la prise en charge des personnes dites prioritaires et/ou à risque. Selon la structure, il y a aussi nécessité de redéfinir les cas suspects après plusieurs mois. ‘’On note de plus en plus de patients très symptomatiques ayant des atteintes pulmonaires sévères dont le test PCR est négatif et qui ont des lésions scannographiques très évocatrices de SRAS-CoV-2, sans qu’un parcours de soins et une stratégie de prise en charge ne soient clairement identifiés’’, ont-ils précisé.

Les autres insuffisances du plan de contingence portent sur les prévisions, l’insuffisance des équipements des centres de traitement épidémiologique… Alors que la population, les spécialistes particulièrement, dénonce une soif terrible d’informations officielles pour avoir une meilleure lecture de la situation épidémiologique, les autorités sanitaires rechignent toujours à livrer des résultats de leurs enquêtes. S’il en existe !

Devant ce vide, des spécialistes se lèvent de temps en temps pour fournir des chiffres sans justifier le comment ou l’origine de ces statistiques. Pour les signataires de cette étude déposée sur la table de l’autorité sanitaire, il y a un besoin de revoir les prévisions officielles, en ce qui concerne le nombre de cas attendus, les capacités réelles de prise en charge des formes sévères afin de les adapter. Leur projection justifiée donne une idée du pire.

‘’Sur l’hypothèse la plus basse d’un taux d’attaque de 15 %, il est attendu 2 505 840 sujets infectés, 250 584 patients hospitalisés, 37 588 admis en unités de soins intensifs, 2 819 malades sous respirateurs ; les capacités de prise en charge du Sénégal, notamment en termes de lits chauds et de réanimation sont totalement en-deçà’’.

Par ailleurs, informent-ils, il y a une insuffisance des équipements au niveau des CTE, notamment dans la prise en charge des cas graves. Pourtant, dans un document officiel, signalent les rédacteurs, il était recommandé de ‘’mettre en place des CTE équipés et adaptés aux normes pour la prise en charge des cas, y compris des cas graves (oxygène…) au niveau de chaque région, en vue de disposer d’une capacité d’accueil suffisante’’.

Hélas, cela s’est révélé un vœu pieux. ‘’C’est loin d’être le cas’’, soutiennent-ils, alors même que des ressources financières énormes ont été dépensées dans des domaines moins prioritaires.

Un recul des tests qui laisse présager le pire

Les experts abordent également la lancinante question des tests. Et c’est pour signaler l’utilité de les augmenter. Il faudrait, d’après leur analyse, explorer d’autres méthodes de recherche de cas en lieu et place de la méthode adoptée jusqu’ici (suivi des cas contacts et des cas communautaires suspects dont la sensibilité tourne autour de 5 à 10 %).0*

 En ce qui concerne le nombre de tests qui ne dépasse que rarement 1 200 par jour, ils rappellent l’objectif annoncé en cas de scénario 4 caractérisé par la multiplication des foyers épidémiques, avec transmission communautaire. Il était prévu de réaliser, en pareil cas, au moins 1 500, voire 4 000 tests par jour. Et d’ajouter : ‘’L’annonce récente de la limitation des tests aux seuls malades symptomatiques et personnes à risque, constitue un véritable recul et laisse dans la nature des porteurs de virus qui vont le disséminer partout. Dans ces conditions, un rebond plus important de la maladie n’est pas à exclure.’’

Selon le document, d’autres stratégies de dépistage doivent être envisagées, en lieu et place du seul dépistage des cas contacts et de certains cas suspects. Lesquels tests pourraient avoir plusieurs utilités : ‘’Utilisation des tests de dépistage comme instrument de sélection entre pathologies Covid et non Covid au niveau opérationnel et communautaire ; échantillonnage aléatoire au niveau de certains clusters afin de mieux préciser la prévalence réelle ; dépistage ciblé dans certaines situations (sujets âgés, sujets avec des comorbidités) ; utilisation du scanner thoracique en cas de fortes suspicions, malgré un test PCR négatif chez des sujets à risque ou à forte suspicion et chez le personnel soignant.

ORIENTATION ET PRISE EN CHARGE

La voie du salut

Après leur diagnostic sans complaisance, les experts tracent la voie pour se prémunir du pire.

Les experts ne se contentent pas d’un diagnostic sans complaisance. Ils proposent de solutions pour faire face au mieux à la pandémie. Leur stratégie concerne les populations en général, les cas asymptomatiques, les cas symptomatiques selon le niveau de gravité, ainsi que la présence ou non de comorbidités. Ces dernières, selon la structure, sont classées, par les différentes sociétés savantes, selon le niveau de risque et la stabilité.

Pour eux, toutes les comorbidités n’ont pas ‘’ainsi une comorbidité stable et non compliquée à un risque qui se rapproche de celui de la population générale et peut ne pas nécessiter une prise en charge plus agressive’’. Dans un tableau, ils présentent l’orientation des patients atteints de Covid selon le niveau de sévérité.

Ces constats poussent le groupe d’experts à proposer quelques stratégies pour améliorer la lutte contre la pandémie du coronavirus au Sénégal. La première concerne l’orientation et la prise en charge des patients atteints de la Covid-19 : ‘’Cette stratégie concerne les populations en général, les cas asymptomatiques et les cas symptomatiques, selon le niveau de gravité ainsi que la présence ou non de comorbidités. L’approche de prise en charge doit suivre une structuration pyramidale impliquant les établissements publics et privés, et les différents acteurs (action sociale, service d’hygiène) permettant de soulager les hôpitaux et les autres structures de soins qui ne devraient plus recevoir que des formes symptomatiques avec pneumonie ou des formes sévères et graves’’.

La deuxième proposition a été faite sur la stratégie de prise en charge à l’hôpital et dans les autres structures sanitaires publiques et privées de référence. Il apparaît important, aux yeux des experts, de réduire le nombre de patients admis dans les structures sanitaires, en particulier de référence qui doivent être réservées en priorité aux malades de la Covid-19 atteints des formes sévères. Car cela permettra aux centres hospitaliers de reprendre toutes les activités essentielles à la prise en charge des autres patients (consultations, aides au diagnostic, hospitalisations, prise en charge des urgences et réanimation, chirurgie, actes interventionnels).

S’ils ne sont plus accueillis dans les hôpitaux, ces patients rentrent dans la troisième stratégie consistant à les confiner chez eux. Toutefois, précise le document, ‘’le confinement à domicile repose sur le principe de la responsabilisation de la personne et de son entourage. Il doit se faire si les besoins suivants peuvent être assurés : besoins fonctionnels (argent, dépense quotidienne) ; besoins émotionnels (discussion, accompagnement individuel) ; besoins sociaux et relationnels (éviter la stigmatisation, permettre de renouer un lien social apaisé avec la famille, le quartier et les groupes sociaux d’appartenance)’’. Une auto-mesure sera encouragée et reposera sur une bonne éducation et un renforcement des capacités des sujets et de leur entourage. ‘’On pourrait prévoir, avec le Service national de l’éducation et de l’information pour la santé (Sneips) des spots sur l’hospitalisation à domicile dans ses différentes formes : famille nucléaire, famille élargie…’’, expliquent les spécialistes.

D’autant plus que sous ces conditions, ‘’la prise en charge à domicile ciblée et encadrée peut être plus acceptable socialement et plus efficiente que les coûteux confinements dans des hôtels pouvant d’ailleurs être associés à un risque de transmission accru (absence de distanciation physique, fréquentations dans les chambres, partages de biens ou de nourriture). Les ressources financières mobilisées pour payer le séjour dans les hôtels et autres sites pourraient ainsi servir au renforcement du système de santé’’.

Pour ce groupe d’experts, la pandémie progresse au Sénégal et, en même temps, plusieurs signaux suggèrent que la prévalence réelle des sujets infectés au coronavirus est sous-estimée : ‘’Cas communautaires sans lien épidémiologique clair, décès à domicile ou à l’arrivée dans les structures de soins, limite des modalités de réalisation des tests (nombre relativement faible d’environ un millier par jour, non aléatoire, reposant jusqu’à récemment sur le suivi des cas contacts et des suspects communautaires, avec une faible positivité de l’ordre de 5 à 10 %).’’

Pour pallier cela, ils estiment que d’autres stratégies de dépistage doivent être envisagées, en lieu et place du seul dépistage des cas contacts et de certains cas suspects. Ceci en utilisation des tests de dépistage comme instrument de sélection entre pathologies Covid et non Covid au niveau opérationnel et communautaire ; un échantillonnage aléatoire au niveau de certains clusters afin de mieux préciser la prévalence réelle que la stratégie actuelle ; un dépistage ciblé dans certaines situations (sujets âgés, sujets avec des comorbidités) et une utilisation du scanner thoracique en cas de fortes suspicions, malgré un test PCR négatif chez des sujets à risque ou à fortes suspicions et chez le personnel soignant.

Le constat d’ensemble reste que plusieurs incertitudes demeurent sur l’évolution de l’épidémie et sur l’efficacité des stratégies mises en œuvre jusqu’à présent.

Pour augmenter leur efficacité, notent les experts, les mesures prises devraient aller de pair avec des stratégies de confinement renforcées ou de gestes barrières (port obligatoire du masque, limitation des mouvements, fermeture des lieux publics…), si la situation ne s’améliorait pas. Et ceci, sans oublier l’indispensable soutien aux couches les plus vulnérables au plan socio-économique.

Avant d’ajouter : ‘’Plusieurs incertitudes demeurent sur l’évolution de l’épidémie et sur l’efficacité des stratégies mises en œuvre jusqu’à présent. C’est pourquoi toutes les propositions et recommandations formulées devraient être soumises à des outils de monitoring et d’évaluation adaptés afin que les ajustements nécessaires soient entrepris.’’

M. AMAR

Lamine Diouf (Avec Emedia)

 

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