Publié le 29 Sep 2018 - 20:56
SUCCESSION DE KHALIFA SALL

Une guerre capitale

 

La bataille s’annonce rude pour le contrôle de la mairie de Dakar. Pendant que Taxawu Dakar vole en éclats, Benno affûte ses armes et s’apprête à couper définitivement la tête de Khalifa Sall.

 

Il était une fois, Khalifa Ababacar Sall. Cela pourrait être le titre d’un long métrage ou d’un roman très captivant. L’histoire est celle d’un homme politique adulé par son peuple : celui de la capitale du Sénégal, Dakar. Elu en 2009, réélu en 2014, il sera destitué par son plus farouche adversaire, le président Macky Sall, chef de l’Etat. Ainsi prend fin cette idylle riche en rebondissements. Aujourd’hui se joue l’acte final qui va, à coups sûrs, fermer une page, mais en ouvrira une toute nouvelle. Le héros sera-t-il tué et enterré ? Du fond de sa cellule, parviendra-t-il à défendre son trône que lui dispute le camp de son bourreau ? Les questions foisonnent. Le peuple de Dakar s’interroge. Mais jusque-là, c’est le flou total.

Une cagnotte de plus de 50 milliards en jeu

Comme dans le trône de fer, les différentes chapelles se promettent l’enfer. Le jeu en valant la chandelle. En effet, c’est, pas moins de 50 milliards de FCFA que constitue le budget de la capitale qui est en ligne de mire. Un trésor de guerre si l’on sait que 2019 est une année électorale : présidentielle et municipale. La population qui avait adoubé Khalifa Sall, n’a plus, cette fois, son mot à dire sur le choix de son futur représentant. Ce sont les conseillers qui vont choisir en leur sein le futur maire de Dakar. Le moins que l’on puisse dire est que la guerre, dans les coulisses, fait rage entre états-majors.

Avec le départ de Khalifa Sall, c’est la coalition Taxawu Dakar, ou ce qui en restait, qui vole complètement en éclats. Après avoir perdu le contrôle de plusieurs communes depuis l’élection des Hauts conseils des collectivités territoriales, Khalifa, pour le choix de son propre successeur, voit plusieurs de ses lieutenants entrer en collision. Or, certaines sources qui lui sont proches sont formelles. L’ancien maire de Dakar a bien désigné sa première adjointe, Soham El Wardini, comme héritière. Mais, tout le monde ne semble pas l’avoir entendu de cette oreille. Des voix discordantes s’élèvent de plus en plus dans le même bloc pour réclamer le trône. Le maire de la Patte d’oie, Banda Diop, était jusque-là le plus en vue. Lui ne s’est jamais caché de vouloir succéder à son mentor. Du côté de la coalition, on dénonce un paria.

Soham El Wardini et Banda Diop : le duel fratricide

Sur les pages facebook de certains pro-Khalifa Sall, Banda est depuis quelques jours la cible de plusieurs attaques que la décence ne permet pas de reproduire. Lui semble en avoir cure. En conférence de presse avant-hier, il disait à ses détracteurs qui l’accusaient d’avoir rencontré le président de la République en catimini : ‘’C’est un honneur pour moi d’être sur les tablettes du Président. En tout cas ce que je peux affirmer, c’est qu’à chaque fois que j’ai rencontré le président, je l’ai dit à Khalifa. Mais ne comptez pas sur moi pour dévoiler le secret de nos discussions. J’aimerais que le président qui a été choisi par tous les Sénégalais ait besoin de moi le plus souvent possible. Je conforte ma posture à Taxawu Dakar que je souhaite voir porter ma candidature. Mais au-delà du groupe, la mairie est plurielle, je vais donc solliciter le soutien de tous les élus’’. Aucune chance si l’on se fie à certains irréductibles du désormais ex-édile de la capitale. En effet, suite à une publication dans laquelle le maire de la Patte d’oie déclarait avoir informé Khalifa Sall de sa candidature et obtenu ses prières, le conseiller politique du maire de Dakar, Moussa Taye, n’avait pas tardé à réagir à travers un communiqué pour écarter toute confusion. ‘’Il s’agit, disait-il, d’une fausse information qui vise manifestement à semer la discorde au sein du Conseil municipal afin d’exécuter le plan de détournement du vote des Dakarois élaboré par le pouvoir en place’’.

Moussa Sy : la surprise du chef

Pendant que toutes les attentions étaient concentrées sur une éventuelle guerre fratricide entre la fidèle Soham et le rebelle Banda, le maire des Parcelles assainies, qui jusque-là avait bien su cacher son jeu, surgit de nulle part et promet d’aller à l’assaut de la ville. N’en déplaisent à certains. Joint au téléphone, il déclare : ‘’Après 22 ans de présence à la ville, j’ai choisi cette fois de postuler pour le choix du maire de Dakar’’. Cette déclaration, même si elle était attendue par certaines franges du jeu politique, n’en est pas moins surprenante et pourrait complètement bouleverser la donne. Car, la commune dont il a les destinées, constitue un poids électoral non négligeable. Reste à savoir si Moussa Sy parviendra à faire le plein des conseillers de sa commune présents à la ville, et glaner le nombre de voix qui lui sera nécessaire pour devenir maire. Ce qui est sûr, c’est que l’édile des PA a rencontré son Conseil municipal hier pour les informer de sa volonté de se présenter à la tête de la ville.

Benno en mode sniper

Outre les trois candidats connus, tous issus du camp des Khalifistes, des sources évoquent la possibilité d’un candidat de Benno Bokk Yaakaar qui pourrait être choisi parmi les socialistes. On le sait, ces derniers jours, Ousmane Tanor Dieng, à l’instar de nombre de responsables de Benno, a manœuvré ferme pour s’assurer l’élection d’un de ses proches. Tel un sniper, le patron du Parti socialiste s’est bien mis à l’abri du regard pour identifier ses cibles et tenter de les fusiller un après un. L’objectif étant de faire le vide autour de son candidat. Ou à tout le moins d’affaiblir ses potentiels adversaires. Son lieutenant Alioune Ndoye, lui, dans RFM matin hier, écarte toute possibilité de se présenter. Néanmoins, il affirme avec force être convaincu que le candidat qu’il soutiendra sera élu sans difficulté. En tout cas, Benno Bokk Yaakaar dont il fait partie n’a jusque-là pas dévoilé sa stratégie.

Il convient toutefois de noter que l’éclatement de Taxawu Dakar rend désormais possible toutes les hypothèses. Si la majorité parvient, elle, à parler d’une seule et même voix, cela pourrait faire mal au camp de Khalifa. En 2014, le célèbre prisonnier de Rebeuss, avait remporté haut la main les élections municipales de Dakar avec la liste. Il a été élu maire par 98 conseillers sur les 100 que compte la ville. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.

AMADOU SENE NIANG (FORMATEUR EN GOUVERNANCE TERRITORIALE)

’Le gouvernement peut installer une délégation spéciale si…’

Consultant et conseiller municipal à la ville de Rufisque, Amadou Sène Niang revient sur la voie à emprunter pour le choix du nouveau maire de Dakar.

 Khalifa Sall sera probablement remplacé aujourd’hui à la tête de la ville de Dakar. Quelle est la procédure pour faire remplacer un maire révoqué ?

En cas de démission ou de révocation d’un maire, le Conseil municipal se réunit sur convocation du  représentant de l’Etat, en l’occurrence le Préfet pour procéder à l’élection du nouveau maire. Lequel doit être choisi parmi les conseillers composant le Conseil de la ville. Pour que cela puisse se faire, il faut que le quorum soit atteint. Ce quorum sera fixé en fonction des conseillers en exercice. Il est constitué de la moitié des conseillers en exercice. Ne seront donc pas pris en compte ceux qui sont en mission de la ville. Si le quorum n’est pas atteint lors de la première séance, on convoque à nouveau les conseillers  dans un intervalle de trois jours. Si à l’issue de cette deuxième convocation, le problème se pose encore, on procède à une troisième convocation qui sera la dernière. A ce moment, seul le quart du Conseil pourra permettre d’élire un nouveau maire. Le code des Collectivités territoriales prévoit que c’est le plus âgé des conseillers qui va présider la séance. Et le plus jeune sera le secrétaire de séance.

Comment va se dérouler le scrutin ?

D’abord, il faut préciser que tous les conseillers peuvent être candidats. Ils sont tous d’égal statut, d’égale dignité, d’égal droit. Même le conseiller qui va entrer en fonction pour remplacer Khalifa Sall, s’il est installé avant la réunion, il pourra être candidat. Donc, aucun conseiller installé ne pourra être exclu de la course. Une fois que les candidats se soient déclarés, celui qui aura la majorité absolue sera maire. Si à l’issue du premier tour, personne n’a la majorité absolue, on va au deuxième tour qui va mettre en compétition les deux premiers. Il y aura même un troisième tour si aucun des candidats ne parvient à avoir la majorité absolue. A partir de ce moment, c’est-à-dire au troisième tour, celui qui a le plus de voix est élu maire. En cas d’égalité des voix, la loi prévoit que c’est le plus âgé qui passe. Par ailleurs, il faut aussi souligner que le scrutin sera secret. Un isoloir et une urne seront installés et c’est dans le plus grand secret que les conseillers vont choisir, sous leur propre responsabilité, devant l’histoire, devant Dieu, et devant les populations qui les ont mandatés, le candidat qui leur convient.

Qu’adviendrait-il s’il y a blocage dans le choix du remplaçant de Khalifa Sall ?

Si les conseillers ne parviennent pas à choisir de manière responsable leur maire, la solution risque d’être draconienne. Le gouvernement pourra tout bonnement opter pour une dissolution du Conseil et l’installation d’une Délégation spéciale. Les conseillers sont donc interpellés. De même, pour un bon déroulement de la séance, le président de séance qui a la police de la salle peut faire appel au représentant de l’Etat pour le déploiement de Forces de l’ordre dans le but de poursuivre le bon déroulement de l’élection.

C’était le cas en 2008 pour faire remplacer Abdoulaye Faye à la tête du Conseil régional de Dakar. Moustapha Niasse en avait aussi fait usage. C’est une prérogative du président de séance. Maintenant, il faut aussi savoir que le Conseil municipal n’a pas de couleur. Quel que soit le parti, ce sont les élus qui élisent. Et chaque élu a une responsabilité individuelle. Depuis 4 ans, ils ont fait des délibérations. Ce sera la même chose, il faut leur laisser cette liberté, car le Conseil est l’organe délibérant, le maire qu’il va choisir est l’organe exécutif.

M AMAR

MOR AMAR

Section: