Publié le 12 Apr 2018 - 17:43
SUR LE FRONT FACE AUX ORGANISATIONS SYNDICALES

Dionne, premier démineur de la République  

 

Le chef du gouvernement sénégalais, Mahammed Boun Abdallah Dionne, ne cesse d’enchaîner les rencontres avec différentes organisations syndicales pour éteindre les foyers qui se déclenchent un peu partout.  A moins d’une année de la Présidentielle, hors de question pour l’homme providentiel du Président de se laisser dépasser par la grogne sociale. 

 

Si l’on s’en tient au principe du Premier ministre, concrétiser la vision du chef de l’Etat, Mahammed Boun Abdallah Dionne a le mérite d’être présent sur tous les fronts, à défaut d’éteindre tous les foyers de tensions. Sur les récurrents tumultes de la combativité sociale, le chef du gouvernement a comme le don d’ubiquité dans l’énorme tâche de devoir courir après les lièvres que soulèvent les différentes organisations syndicales, dont le sens du timing ou l’importance stratégique laisse peu de choix au dilatoire. Aux aiguilleurs du ciel, qui ont bloqué l’espace aérien du Sénégal le 16 décembre 2017, exigeant des conditions de travail plus décentes, il règle leurs doléances en une journée. Aux syndicats du nettoiement qui ont attendu la venue du président français Emmanuel Macron pour déclencher leur mouvement, une promesse d’avance de plus de 3 milliards sur les 7 qu’on leur doit désamorça vite la bombe. Le Syndicat autonome des médecins du Sénégal (Sames) qui est passé à la centralisation des urgences, le 26 mars dernier, a dû arrêter son mouvement le jour suivant, après des réponses concrètes aux revendications relatives aux indemnités, aux prêts DMC, aux prêts pour les équipements, au relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans, entre autres... Tous ces ‘‘renoncements’’ sont à l’actif de Mahammed Boun Abdallah Dionne.

Où en sont donc les Serigne Mbaye Thiam et Abdoulaye Diouf Sarr dans les négociations avec les syndicats ? Dionne est-il un super-PM ? L’ancien Ministre de la Fonction publique de 1998 à 2000 puis ministre d’Etat, ministre de la Fonction publique de 2010 à 2012, Abdoulaye Makhtar Diop, pense que cet interventionnisme relève de l’ordre normal du fonctionnement des instances étatiques. ‘‘Les revendications portées par les syndicats ne touchent pas à un seul département ministériel. Donc il y a à faire au niveau du Premier ministre des relations entre revendications syndicales et la réaction de chacun des ministères concernés’’, a-t-il dit avant hier au téléphone d’EnQuête. Autrement dit, ce sont des pré-négociations avec le ministère sectoriel concerné, puis des entrevues plus généralistes avec le chef du gouvernement. Abdoulaye Makhtar Diop explique qu’à cause de la multitude des types de revendications syndicales, l’implication du chef du gouvernement est inévitable.

La transversalité des questions explique la présence du chef du gouvernement à toutes les étapes pour coiffer les négociations et avoir une vue d’ensemble qu’il pourra soumettre au président de la République, l’ordonnateur du budget. ‘‘Il y a certaines revendications qui passent par le ministère des Finances, quand il s’agit de salaires. Quand il s’agit de parcelles, c’est l’Urbanisme qui est concerné. La Fonction publique est interpellée quand il s’agit de reclassement indiciaire ou de pensions de retraite. Pour résoudre ces problèmes de manière harmonieuse, il faut une implication du PM’’, détaille-t-il. Négociations partielles, puis globales avec le PM et éventuellement arbitrage de ce dernier est le chemin à emprunter, même si un rajout au budget par décret d’avance, prérogative du président de la République, peut limiter l’étendue de son intervention.

Abdoulaye Makhtar Diop : ‘‘La période préélectorale, il ne faut pas l’occulter (...), c’est central’’ 

Malgré ces quelques succès précités, les syndicats d’enseignants demeurent jusque-là le poil-à-gratter du PM. Il aura donc la partie serrée contre ces ‘‘guerriers de la craie’’ dont la détermination est allée jusqu’à décliner tacitement l’intermédiation du khalife général des Tidianes, ce dimanche. Mahammed Dionne aura tout tenté, depuis une rencontre du 19 janvier où 6000 F Cfa avaient été proposés comme rajout sur l’indemnité de logement de 60 000 F Cfa dont les enseignants avaient dénoncé la modicité. Le PM portera la somme à 15 000 F CFA plus tard, avant que le président de la République lui-même ne le porte finalement à 25 000 F Cfa dans son allocution du 3 avril dernier. Mais les enseignants se font un point d’honneur à ne pas lâcher le morceau sur les 40 000 francs d’indemnités : 20 000 pour 2018, et 20 000 pour 2019 pour un total de 100 000 F Cfa. Le sixième plan d’action prévu aujourd’hui porte la pression un cran au-dessus d’un gouvernement qui, à plus de dix mois d’une Présidentielle, ne veut pas que la tourmente sociale soit un passif à son palmarès et un actif à l’avantage de l’opposition.

Idrissa Seck qui a le vent en poupe, à l’image d’un ‘‘shadow cabinet’’ (cabinet fantôme), s’est emparé de la question ce week-end et a même reçu les doléances de la Fédération des enseignants du Sénégal (Feder) qui dit ne pas douter de ses compétences à régler leurs problèmes, en cas d’élection. Un timing préélectoral ou agenda politique derrière les revendications syndicales ne sont pas à exclure dans le durcissement de la ligne syndicale. Positif de l’avis d’Abdoulaye Makhtar Diop qui estime que ces aspects sont une réalité dont il ne faut pas se voiler. ‘‘La période préélectorale, il ne faut même pas l’occulter, c’est central. Nous ne sommes même pas dans une période préélectorale. 2018 est année électorale, car en 2019, il n’y aura pas de campagne, on votera en février. Donc, pour ces dix mois restants, nous sommes bien au cœur des choses. Les syndicalistes comprennent très bien que c’est la période où l’on peut résoudre des problèmes’’, explique-t-il.

Le précédent Abdoulaye Wade a manifestement servi de leçon, puisque l’irritation sociale portée à son comble en 2012 a été fatale au régime libéral. D’ailleurs, pour le Premier ministre, la question sanitaire n’est pas totalement évacuée, puisque qu’une autre alliance de syndicats de la santé, ‘‘And Gëssëm’’, adopte une posture de plus en plus radicale dans ses revendications, à tel point que leur rencontre d’avant-hier a dérangé l’emploi du temps de Dionne, débouchant sur l’annulation de sa rencontre avec le comité national ‘‘Russie 2018’’.

L’homme providentiel

La capacité d’un mouvement social à faire flancher un gouvernement dépend beaucoup de la fusion entre grèves bloquantes et adhésion de l’opinion. Résoudre ce problème syndical est par conséquent une affaire de communication aussi. D’ailleurs les syndicats ne se privent jamais de réagir, devant la presse, tout juste après le porte-parole du gouvernement, au sortir de leurs nombreuses entrevues de négociations pour repréciser leurs positions. Dans ce rendez-vous en terrain médiatique bien connu des autorités et des syndicats, il est aussi donc question, pour les deux parties, de mettre en mal le camp d’en face aux yeux de l’opinion. Certains hauts cadres de l’Etat avaient bien joué cette carte, au plus fort des revendications, en traitant les syndicats d’enseignants de ‘‘maîtres-chanteurs’’. Mais cette tactique de discrédit semble être abandonnée pour envisager des discussions sérieuses sur les modalités de sortie de crise.

Le Premier ministre était-il au courant ? Rien n’est moins sûr, mais l’ancien ministre de la Fonction publique sous les régimes socialiste et libéral est sans fard. ‘‘ Il y a la réponse donnée à l’opinion publique et les réponses purement techniques qui vont aux syndicats. Le PM est à un poste à la limite de la politique et de l’administration. Il faut qu’il fasse comprendre aux gens quelquefois qu’il n’est pas naïf, qu’il sait ce qui se passe’’, concède M. Diop.  Tout compte fait, l’ancien ministre de la Fonction publique estime que l’interventionnisme du chef du gouvernement est salutaire, puisqu’il aurait pu se servir de ‘‘ses’’ ministres comme pare-feu pour se protéger lui-même. ‘‘En toute objectivité, c’est très responsable et courageux de sa part de prendre en charge ces questions, car il serait plus commode pour lui de demander aux ministres de traiter les questions et de prendre du recul. Il assume la plénitude de ses responsabilités de coordination des actions du gouvernement et de préparation des grandes décisions du président de la République dans un régime présidentiel’’. Bref! La providence Dionne!

OUSMANE LAYE DIOP

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