Publié le 12 Jul 2018 - 15:37
SUSPENSION POUR UNE SEMAINE DU PROCES EN APPEL DE KHALIFA SALL

Demba Kandji donne un délai pour obtenir l’arrêt de la Cedeao

 

Après trois jours d’audience, le procès en appel de l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar a été suspendu, hier, pour une semaine. Il va reprendre, mercredi prochain, le temps que la Cour statue sur la demande d’annulation de la procédure et de libération immédiate sur la base de l’arrêt de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Le président Demba Kandji, qui ne voulait pas, lundi, entendre parler dudit arrêt, veut également donner l’occasion aux avocats de la défense d’en disposer.

 

Le procès en appel de l’affaire Khalifa Sall avait démarré sous de mauvais auspices. Notamment avec la vive tension qui a marqué les deux premiers jours du procès. Hier, troisième jour, le Président Demba Kandji a fait parler la voix de la sagesse. Puisqu’il a décidé de suspendre l’audience, hier, jusqu’à la semaine prochaine. Suscitant un brin d’espoir au sein de la défense. Il faut dire que le juge Demba Kandji ne voulait, au départ, pas du tout entendre parler de l’arrêt de la Cour de justice, parce que, disait-il : ‘’dans mon dossier : il n’y a pas de Cedeao’’.

Mais, tout compte fait, le Premier président de la Cour d’appel de Dakar a pris le pari de désamorcer la tension, en suspendant l’audience jusqu’au 19 juillet, pour permettre à la défense de disposer de l’intégralité de l’arrêt rendu le 29 juin dernier. Car, selon Me Khassimou Touré, avocat de Mbaye Touré, la décision communautaire s’impose à la Cour.  ‘’Vous ne pouvez pas la mépriser. Ne serait-ce que pour nourrir la jurisprudence sénégalaise, car nous espérons avoir une réponse juridique à nos préoccupations juridiques’’, a-t-il martelé.

En fait, ladite décision condamne l’Etat du Sénégal à allouer la somme de 35 millions de francs CFA à Khalifa Sall pour violation de la présomption d’innocence, détention arbitraire et non-respect du procès équitable. Même si le dispositif n’est pas encore disponible, la décision communautaire continue de s’imposer dans les débats. Cela d’autant que Me François Sarr a demandé, mardi 10 juillet, second jour du procès en appel, l’annulation de la procédure et la libération immédiate sur la base dudit arrêt.

Commentaires hâtifs et supputations

Seulement, jusque-là, les avocats de Khalifa Sall ne disposent que d’un extrait du plumitif qui a été versé au dossier avant-hier pour appuyer leur demande de sursis à statuer. Et hier, les différentes parties, défense, Parquet, parties civiles sont tombées d’accord sur le fait qu’on ne peut pas discuter sérieusement de la décision communautaire sans l’avoir sous les yeux. ‘’L’arrêt a fait l’objet de commentaires hâtifs et de supputations. C’est comme en sport, on connaît le score du match, mais on ne l’a pas vu. Donc, c’est sorcier de dire que l’arrêt s’impose à la Cour d’appel, puisque personne n’a vu le dispositif’’, a déploré d’une manière imagée Me Samba Bitèye.

Pour Me Ousseynou Gaye, l’un des conseils de la ville de Dakar, ‘’tout ce que les gens ont fait, c’est de parler du sexe des anges car personne n’a vu l’arrêt de la Cedeao’’. Par conséquent, il a soutenu que la Cour ‘’doit renvoyer la cause pour avoir cet arrêt qui suscite tellement de curiosités, d’interprétations’’. Contrairement aux conseils de l’Etat, le Parquet général ne crache pas sur l’extrait du plumitif en laissant entendre qu’il arrive que la Cour ne dispose pas d’arrêt et travaille sur la base d’attestation d’arrêt rendu, en cas d’urgence.

Des propos qui, certainement tenus en une autre circonstance, auraient conduit Me François Sarr à esquisser des pas de danse pour manifester sa joie. Intervenant dans le cadre des contre-répliques de la défense, le coordonnateur du pool de défense du maire de Dakar s’est réjoui que ses adversaires, particulièrement les conseils de l’Etat, aient facilité le recours à l’arrêt. ‘’En disant que ce qui est demandé ici avait été demandée à la Cedeao, il faut connaître les demandes. Pour cela, il faut avoir l’arrêt. On vous a également dit que les dispositifs ne peuvent pas être discutés sans l’arrêt’’, a relevé le conseil. Et d’apporter la réplique à Me Bitèye : ‘’Je suis d’accord qu’il faut la vidéo du match et c’est l’arrêt.’’

Portée de la décision de la Cour de justice

Par ailleurs, Me Sarr s’est inscrit en faux par rapport à l’interprétation faite de la décision. Pour lui, les avocats de l’Etat ont tort de dire qu’il s’agit de violations mineures sanctionnées juste par une réparation pécuniaire. En fait, au cours de leurs répliques, les conseils de l’Etat ont beaucoup insisté sur la portée de la décision de la Cour de justice. Me Yérim Thiam a même tenté de minorer sa valeur en revenant sur les conditions dans lesquelles elle a été rendue. ‘’Un magistrat s’est présenté pour dire qu’il allait lire le dispositif pour le compte de son collègue, mais il n’a pas lu le motif. L’arrêt n’était pas encore signé et n’a pas fait grief à la juridiction’’, a avancé la robe noire. Selon lui, la demande de libération immédiate a été rejetée, donc la défense ne peut en faire la demande sous ce motif.

Pour sa part, Me Ousmane Diagne a fait appel à la jurisprudence de ladite juridiction. Celle-ci, a-t-il rappelé, a ordonné le 29 juin, la libération immédiate de deux détenus nigérians qui étaient dans le couloir de la mort depuis 23 ans. ‘’Mais la juridiction supranationale n’a jamais pris pareille décision, en ce qui concerne Khalifa Sall’’, a-t-il souligné avec insistance. Il s’y ajoute, selon Me Bitèye, que la Cedeao a conclu une détention arbitraire sur une période bien précise (après son élection comme député en août 2017 jusqu’à la levée de son immunité parlementaire en novembre 2017). D’autre part, il ne concerne que des violations de droits et non des faits. Dans ce cas, a conclu le conseil, la Cour d’appel n’a pas le pouvoir d’ordonner la libération ni l’annulation de la procédure. Et la sanction infligée à l’Etat du Sénégal, celui-ci est prêt à la réparer, d’après Me Ousmane Sèye.

‘’La violation ne se répare pas par une somme d’argent uniquement. Où est-ce que nous  sommes ? Les droits fondamentaux, le droit à un procès équitable, on ne l’achète pas à coups de millions’’, a répliqué Me Alain, avant de demander à la Cour de mettre un terme à une détention viciée dès le départ. Me Sarr de renchérir qu’on essaie de limiter la portée de l’arrêt en disant que les vices sont sanctionnés par des dommages et intérêts. Or, a-t-il souligné, ‘’accorder des DI ne signifie que la Cour ne se prononce pas sur la fin de la cessation des violations’’.

d’ajouter : ‘’Il n’est pas possible de dire que tout ce qui a été fait de mal peut être rétabli par la Cour.’’ Surtout qu’au regard des faits, il considère que les violations continuent et que le procès est inéquitable. Dès lors, la libération d’office s’impose, car un procès, c’est une procédure d’instance et d’appel, alors que la Cedeao dit que ce qui a été fait à l’enquête, à l’instruction et au procès est illégal. Au regard de tous ces griefs, Me Sarr a réitéré leur demande de sursis à statuer, il a invité la Cour à débattre sur l’extrait du plumitif.

Face à ces arguments développés de part et d’autre, la Cour se donne un temps de réflexion de huit jours pour rendre sa décision.

FATOU SY

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