Publié le 28 May 2012 - 12:30
SYRIE

 La stratégie de l’horreur

 

 

 

Ce qui s’est passé samedi à Houla, près de Homs, témoigne que, même sous le regard de la communauté internationale, il n’a en rien renoncé à cette pratique. Cette fois, ce sont plus de 32 enfants de moins de 10 ans qui ont été tués. Un chiffre annoncé par le chef des observateurs de l’ONU, le général Robert Mood, qui a indiqué aussi que plus de 80 adultes ont péri dans les bombardements de cette ville et de sa région. «Cet usage disproportionné de la violence est inacceptable et impardonnable. L’assassinat d’enfants innocents et de civils doit cesser», a insisté l’officier au cours d’une conférence de presse à Damas.

 

LinceulsEpouvantables, les vidéos postées sur YouTube ont montré les crânes fracassés et les visages ensanglantés d’enfants serrés les uns contre les autres dans une morgue improvisée, ainsi que des dizaines de linceuls blancs alignés dans une fosse commune. Elles ont provoqué un sursaut d’indignation de la communauté internationale, qui, depuis plusieurs semaines, manifestait un intérêt des plus limités pour la Syrie. Pas la moindre mesure concrète, cependant, mais un appel de Londres à une réunion d’urgence du Conseil de sécurité «dans les prochains jours», tandis que Paris entamait des contacts pour réunir le «groupe des pays amis du peuple syrien» (Etats-Unis, plusieurs pays européens et de la Ligue arabe).

 

Des réactions qui ne sont pas à la mesure du massacre de Houla, alors que celui-ci a été dûment constaté par des observateurs civils et militaires de l’ONU, qui «ont confirmé […] l’usage d’artillerie tirée depuis des chars», a précisé l’officier. Au-dela de la «tragédie brutale» qu’elle représente, la tuerie perpétrée «à l’arme lourde» contre les enfants pourrait encore accroître le risque, déjà très fort, de guerre intercommunautaire. «Ceux qui utilisent la violence pour leurs propres objectifs pourraient créer plus d’instabilité et conduire le pays à la guerre civile», a reconnu l’officier. Mais les intentions du régime ne sont-elles pas justement de provoquer un tel conflit ? «Quelqu’un veut à tout prix que la rage s’impose dans tout le pays, souligne le politologue Ziad Majed. Cette recrudescence des atrocités intervient alors que l’on assistait à un retour en force des manifestations pacifiques. Pour chacun de ces trois derniers vendredis, on a compté autour de 850 rassemblements sur 647 points, soit 200 de plus qu’en janvier. Avec de nouveaux slogans et une conscience politique que la lutte pacifique et le combat mené par l’Armée syrienne libre [ASL, ndlr] peuvent aller de pair.» «Le régime a aussi concentré ses attaques contre tous ceux qui peuvent redonner une bonne image à l’insurrection : les classes moyennes urbaines, c’est-à-dire éduquées, les laïcs…» ajoute-t-il. Dernier épisode : l’attaque par des voyous liés au régime du romancier Khaled Khalifa et d’un chercheur alors qu’ils se rendaient aux obsèques d’un ami musicien tué. Les chabbiha ont battu l’auteur de Eloge de la haine et lui ont cassé le bras.

 

«Brigades»De son côté, l’opposition extérieure est lassée d’attendre une action du Conseil de sécurité. «J’appelle le peuple syrien à mener la bataille de la libération et de la dignité en comptant sur ses propres forces, sur les rebelles déployés à travers le pays et sur les brigades de l’ASL», au cas où la communauté internationale n’assumerait pas ses responsabilités, a lancé hier le chef démissionnaire du Conseil national syrien, Burhan Ghalioun, au cours d’une conférence de presse à Istanbul. L’ASL a pour sa part estimé n’être plus tenue par son engagement au plan du médiateur Kofi Annan, un mois et demi après avoir accepté le cessez-le-feu prévu.

C’est donc vers le pire que s’avance la Syrie. Avec le massacre de Houla, le régime donne d’ailleurs l’impression de le chercher.

 

EmpoisonnementD’où l’hypothèse qu’il soit sous la pression de dissensions internes, ce que pourraient refléter plusieurs rumeurs. Le politologue Khattar Abou Diab chercheur à Paris-II, en a recensé deux, plus ou moins crédibles : une tentative d’empoisonnement dont aurait été victime Assef Chawkat, le beau-frère de Bachar, et la Cellule centrale de gestion des crises, un organisme secret chargé de la répression ; c’est le domestique d’une personnalité du régime, Mohammed Saïd Bakhitan, qui en serait l’auteur et serait réfugié en Turquie. La seconde concerne un attentat raté contre Maher, le frère cadet de Bachar, alors qu’il circulait en convoi ; elle aurait été suivie d’une vague d’exécutions. «Aucune preuve tangible ne permet d’accréditer l’une ou l’autre de ces rumeurs, même si Assef Chawkat ne se montre toujours pas. Ce que l’on peut dire, c’est que le régime est à un tournant. On le voit à plusieurs signes. Ainsi, pour la première fois depuis que le parti Baas est au pouvoir en Syrie, le président, Bachar, n’était pas présent à l’ouverture du nouveau Parlement», souligne le même chercheur.