Publié le 23 Nov 2019 - 23:13
TAKHOU SOUF, TAARA OU BARA YEGGO

Dans l’univers complexe des unions à polémique  Les dérives du mariage

 

Il est connu que la religion musulmane, tout comme le code de la famille du Sénégal autorisent la polygamie limitée à 4 épouses. Cependant,  certains hommes font comme bon leur semble. Les uns  optent pour la monogamie et finissent parfois dans la polygamie avec des unions en cachette ou Takkou Souf. Tandis que les autres, polygames, épousent des femmes au point de dépasser les 4 épouses légitimes.  Celles qui viennent après ces 4 légales sont ainsi appelées Taaras. Il existe encore ceux qui répudient leur femme à volonté et qui se voient, après trois  divorces, obliger de manœuvrer pour se réconcilier avec  des Bara Yeggo.  Autant de pratiques qui dévoient le mariage sénégalais.

 

La société sénégalaise évolue, en intégrant de nouvelles réalités qui étaient, jusque-là, inconnues de beaucoup de citoyens. C’est l’exemple des pratiques comme le Takkou Souf, le  ‘’Taara’’ ou encore le Bara Yeggo. Des phénomènes qui semblent prendre de l’ampleur, au point que le Khalife général des Tidiane, ait jugé nécessaire de dénoncer la dépravation des mœurs, à travers ses diverses manifestations, notamment le mariage en cachette et le taara (5éme femme). S’exprimant à la cérémonie officielle du Gamou, Serigne Babacar Sy Mansour a dénoncé les multiples phénomènes de mœurs qui se développent dans le pays et qui, selon lui, sont néfastes pour la société. Il s’agit, entre autres, de la pratique du Taara concernant les hommes qui épousent plus de quatre femmes, soit au-delà de la limite légale édictée par la religion musulmane, du mariage en cachette, ou encore du non-respect des règles du divorce en islam (Bara Yeggo) considérées comme des pratiques déviantes à dénoncer.

 En effet, au Sénégal, la législation et l’islam autorisent la polygamie mais certains n’osent pas, pour diverses raisons, exercer ce droit librement. Ainsi, pour convoler en secondes noces, ils le font dans la plus grande discrétion à l’insu de toute leur famille, surtout de la première épouse. C’est ce qu’on appelle en wolof le ‘’Takkou Souf’’ qui peut se traduire par le mariage en cachette. Ce phénomène est souvent pratiqué par les hommes qui avaient opté pour la monogamie, mais qui, au cours de leur vie de ménage, désirent prendre une deuxième épouse. Ce qui cause souvent des problèmes quant à la reconnaissance de la seconde épouse ainsi que les enfants nés de cette union. La législation sénégalaise est catégorique en ce sens. La deuxième femme d’un monogame n’est pas reconnue par la loi.  

‘’Le fait de cacher le mariage ne doit pas avoir des conséquences sur les enfants’’

Cependant, pour l’islam, les avis semblent parfois partagés. En effet, l’islam distingue le mariage normal, temporel et celui contracté purement en cachette. Le mariage en cachette est considéré comme une union pendant laquelle on demande aux témoins de garder l’évènement secret. Ainsi, la religion considérant  qu’un mariage doit être rendu populaire, toute action consistant à le rendre secret, le rend simultanément illégal. C’est pourquoi le Takkou Souf, pris comme un mariage purement en cachette, est interdit par la religion musulmane et certains imams considèrent même cette pratique comme une fornication.

C’est le cas du cadi du tribunal de Dakar (voir ailleurs). C’est également l’avis du religieux Ameth Khalifa Niass. Selon ce dernier, le mariage en cachette n’existe pas. Il n’existe que ‘’le mariage’’  en islam. Cependant, on peut opter pour un mariage discret qui est aussi légal. Et si le Takkou Souf renvoie à un mariage discret, il est admis par la religion musulmane et les enfants issus d’une telle union ont droit à la succession et à l’héritage. ‘’L’homme peut craindre la réaction de son épouse qui peut avoir un AVC, rien qu’en apprenant qu’elle a eu une coépouse. Il y a aussi certains hommes, comme les instituteurs et certains fonctionnaires, qui peuvent être affectés dans un lieu de travail éloigné de celui de résidence de leur femme. Par exemple, quelqu’un de Dakar, qui est affecté à Kédougou et qui ne peut venir que pendant des vacances et qui a ses pulsions naturelles d’homme. Il a le choix de, soit forniquer à volonté, soit d’épouser une femme qu’il va cacher à l’autre, parce que celle-ci n’acceptera pas d’avoir une coépouse. Dans ce cas, l’islam lui autorise d’épouser une femme pour éviter de forniquer’’, renseigne le marabout qui indique qu’à l’époque du prophète, ‘’les gens voyageaient pour le commerce ou pour la guerre sainte et, dans les deux cas, ils avaient besoin du repos du guerrier. C’est pourquoi l’islam a autorisé le mariage temporel’’.

Sur le takkou souf, les positions sont nuancées, car dans certains cas, comme lorsque l’union n’est cachée qu’à la première épouse, le mariage reste admis et les enfants issus d’une telle union ont droit à l’héritage et à la succession. Ameth Khalifa Niass préfère parler, dans ce cas, de mariage discret au lieu de mariage en cachette. Et cette forme d’union est comme le mariage temporel. ‘’Les enfants issus d’un mariage discret sont bien légitimes. C’est pourquoi, souvent quand une personne décède, on voit des femmes inconnues dans la maison familiale venir avec leurs enfants et leurs documents pour dire que le défunt était leur époux et avait reconnu ses enfants. Ces enfants sont légitimes et ont droit à l’héritage. Le fait de cacher le mariage ne doit pas avoir des conséquences sur les enfants, parce qu’ils ne sont pas fautifs. L’enfant qui est né d’un mariage caché est un enfant légitime’’, explique-t-il.

Sydo Diallo : ‘’Certaines femmes victimes découvrent la vérité au moment du divorce’’

En outre, le Takkou Souf ou le Taara est une réalité que certaines femmes vivent parfois à leur grand insu. Certaines femmes acceptent d’être des épouses cachées, à la limite des concubines, sans s’en rendre compte. C’est dire que certains  hommes pratiquent le Takkou Souf au vrai sens du terme. En vrais stratèges, ils arrivent à manœuvrer pour cacher à tout le monde y compris l’épouse concernée la vraie nature du mariage. Ce qui fait que certaines femmes, dès qu’elles découvrent la réalité au cours du ménage, demandent aussitôt le divorce. D’autres, par contre, vivent leur mal en solitaires, à cause de la crainte du jugement de la société.  ‘’Les femmes victimes de Takkou Souf qui viennent à la boutique de Droit ne veulent pas s’afficher. Parfois, c’est parce qu’elles ne savaient pas et c’est après coup, qu’elles découvrent qu’elles ont été mariées par Takkou Souf. Dans ce cas, certaines veulent coute que coute demander le divorce. Parfois aussi, c’est l’homme qui a contracté le Takkou Souf, qui n’arrive plus à gérer la situation, qui demande le divorce’’, explique Sydo Diallo, coordinatrice de la boutique de droit de la médina.

Elle indique que dans ces cas, la boutique de droit assiste les femmes dans les procédures de demande de divorce pour protéger les enfants nés de cette union. ‘’Les divorces de Takkou Souf sont  un peu compliqués, parce que, même l’entourage n’est pas souvent au courant. Ce qui pose aussi problème à ce niveau est que, pour divorcer, il faut d’abord avoir un certificat de mariage. Néanmoins, dans tous les cas, les enfants sont protégés. Même s’il s’agit de Takkou Souf ou que l’homme avait  opté pour la monogamie et qu’une action d’annulation a été intentée et que le mariage est annulé, les enfants sont protégés et ils auront le droit à l’héritage’’.

En islam, on ne parle pas de taara mais d’esclave

Il est connu que la religion musulmane, comme le code de la famille du Sénégal, autorise la polygamie limitée à 4 épouses. Cependant, dans la société sénégalaise, on voit parfois des hommes qui dépassent ce nombre. Et celles qui viennent après les 4 légales sont ainsi appelée Taara. Peut-elle revendiquer les mêmes droits que les autres ?  D’ailleurs d’où vient ce concept de taara ? En effet, selon le cadi Mamadou Séne, Taara désignait jadis, les captives de guerre sainte qui devenaient des esclaves. ‘’La religion autorise en cas de guerre sainte que les captives soient considérées comme des esclaves et peuvent être utilisées comme des épouses par leurs maitres. Ces captives ne font pas parties du décompte des 4 épouses légales.  Elles  n’auront pas également  les mêmes droits que ces dernières’’, indique l’imam. Qui souligne que, c’est pourquoi, une fois qu’une femme musulmane accepte de devenir 5 ou 6éme femme, elle perd ses droits d’épouse légale, de même que ses enfants ne seront pas considérés comme ceux des autres femmes.  Cependant, selon le religieux  dans le contexte sénégalais d’aujourd’hui, l’on ne peut plus parler de Taara. ‘’C’est impossible d’avoir des taaras actuellement au Sénégal. Si on le fait aussi, on le cache, parce que c’est illégal. On ne peut pas dire qu’on est des musulmans et après vouloir avoir des taaras, parce que l’islam ne le reconnait pas’’, ajoute M. Séne.  

Sur ce point aussi, Ameth Khalifa Niass est du même avis. Selon le chef religieux  de Leona Niass, on ne peut avoir des taras au vrai sens du terme. Il  donne pour cela les mêmes raisons que celles évoquées par le cadi. Mieux, M. Niass souligne que même à l’époque du prophète et des guerres saintes, l’islam encourageait l’union des taras pour réduire et abolir l’esclavage. ‘’ Le Taara était encouragé par l’islam, car c’était un moyen d’abolir l’esclavage, avec la libération ou l’affranchissement par le bien du mariage’’, indique-t-il. Avant de préciser : ‘’Cela existe encore en Mauritanie, même si c’est très rare.  Mais au Sénégal, on peut plus trouver une femme qui réponde à ces critères de captive’’.

 Qu’en est-il donc de ceux qui prétendent avoir plus de 4 femmes. Tout comme le cadi, Ameth Khalifa pense pareil. C’est catégoriquement défendu par la religion musulmane. Pour preuve, explique-t-il, à l’époque du prophète, quand quelqu’un voulait se convertir, on lui demandait s’il avait plus de 4 femmes. Et si c’était le cas, on lui exigeait de choisir les 4 qu’il veut garder et de  libérer les autres. Toutefois, indique-t-il, parfois un homme peut avoir apparence d’avoir plus de 4, mais en réalité tel n’est pas le cas. ‘’Un homme peut avoir une apparence d’avoir plus de quatre femmes alors qu’en réalité, il n’en a que 4.

Par exemple, on peut avoir une femme qui a atteint la ménopause et qui  ne veut plus avoir des relations maritales. Mais, qui, par contre, est la mère des grands enfants et qui, même si vous divorcez, ne peut pas quitter la demeure familiale. Ainsi, d’un commun accord, l’époux peut la libérer, mais ne l’abandonne pas. Par erreur, les gens peuvent la compter comme épouse, alors qu’elle n’est plus parmi les légitimes, pour ces raisons. Souvent, il n’est pas conseillé aux femmes de plus de 45 ans de tomber enceinte et, après la ménopause, plusieurs femmes ne veulent plus de relations sexuelles.  À plus forte raison celles qui ont 60 ans. Ce qui induit les gens souvent en erreur, c’est qu’il y a le décompte apparent et celui réel. C’est comme quelqu’un qui a cinq voitures, mais dont l’une est en panne, depuis 5 ans. Quand, les gens comptent, ils diront 5, mais en réalité c’est 4, car celle qui ne fonctionne pas n’en fait plus partie’’, estime le marabout.

ABBA BA

 

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