Publié le 20 Feb 2016 - 15:32
TAUX DE CROISSANCE CONTESTÉ, GRÈVES, RETARDS SUR LES PROGRAMMES

Macky Sall ou le refus du suicide politique

 

Les chantiers de Macky Sall, c’est comme une rangée d’horloges qui doivent tous sonner à la même date :  2017, pour assurer sa réélection. Mais au regard de la situation économique, sociale et politique actuelle, il est évident que certaines alarmes allaient rester muette l’heure venue. Le deuxième mandat allait donc être hypothéqué. Aller à l’élection présidentielle dans un an pourrait s’apparenter à un suicide politique. D’où un wax waxett constitutionnel pour aller en 2019, afin de trouver le temps de peaufiner le bilan.

 

Depuis que le président de la République Macky Sall a annoncé que son mandat ne sera plus réduit de 7 à 5 ans, les réactions d’indignation se suivent dans la classe politique, au sein de la société civile et parmi les citoyens. Pourtant, en interrogeant le contexte économique, social et politique du pays, on se demande si Macky Sall qui est avant tout un politique pouvait faire autrement. Où a-t-on vu un chef d’Etat, africain de surcroit, créer les conditions de la perte du pouvoir. Accepter de réduire son mandat pour organiser des élections en 2017 serait presque synonyme de suicide politique.

En effet, lorsque le Président Sall s’adressait à la Nation pour leur faire part de sa décision, le monde syndical était à 48 heures d’une grande marche organisée par les enseignants ‘’pour la restitution de leur dignité et le respect des accords’’. Après 3 ans, les syndicats d’enseignants de tout ordre sont arrivés à la conclusion selon laquelle ce gouvernement est de mauvaise foi. Arrivées au pouvoir en 2012, les nouvelles autorités se sont vu accorder un temps d’observation par les enseignants. Ainsi, après deux ans, des négociations ont été engagées et ont abouti à la signature des accords entre janvier et février 2014.

Depuis lors, les engagements peinent à être tenues. De l’élémentaire au supérieur, en passant par le moyen secondaire, les échéances fixées pour le respect des accords ont été dépassées, fixées à nouveau, puis dépassées encore. De telle sorte que malgré la difficulté à regrouper les syndicats d’enseignants, ceux-ci multiplient les initiatives pour avoir un front unitaire assez solide pour faire face. La marche d’avant-hier pourrait bien être le premier acte vers l’Union sacrée.

Dans le secteur de la santé, les préavis sont déjà posés, les mouvements ne sauraient tarder. Les manquements de l’acte III de la décentralisation et leurs conséquences désastreuses sur les travailleurs des collectivités locales ont amené ces derniers à se braquer. Pour l’instant, la grève est suspendue et non levée. D’autres secteurs comme les Impôts et domaines sont en embuscade. Tous ces acteurs sont en train de nouer des contacts pour faire front commun, car défendant les mêmes intérêts. Organiser une élection présidentielle dans un tel contexte tout en ayant les moyens (légaux  de sucroit) de la repousser à deux ans de plus peut s’avérer suicidaire. A moins que sur le plan économique, on ait un bilan assez solide. Mais là aussi, les arguments semblent minces pour l’instant. Le Plan Sénégal émergent (Pse), référentiel des politiques publiques, peine à se concrétiser. Son vrai résultat supposé ou réel pour le moment est un taux de croissance à 6,4% en 2015. Un taux qui peine d’ailleurs à faire l’unanimité. Le ministre de l’Economie et des Finances a beau martelé ses chiffres, aidé en cela par le Président et ses hommes, il n’arrive pas à convaincre. Une mission d’autant plus difficile que ces chiffres sont en contradiction avec ceux de la Direction de la prévision et des études économiques (5,6%) et du Fonds monétaire international (5,4%).

Des programmes encore abstraits

Côté programme, les choses bougent lentement. Les indicateurs ne sont pas du tout rassurants. La route Fatick-Kaolack est emblématique du retard que connaissent les chantiers.  Les travaux de la réfection ont été inaugurés en grande pompe par le Premier ministre en décembre 2014. Depuis lors, ce tronçon de 45 km qui devait être livré en 18 mois après le démarrage connaît un retard manifeste. L’Apix l’a d’ailleurs reconnu il y a quelques jours.

Le constat est le même dans les chantiers de l’Enseignement supérieur. Il est vrai que les projets en cours peuvent radicalement changer la carte universitaire du Sénégal, mais le retard est incontestable à plusieurs niveaux. Les deux universités Amadou Makhtar Mbow et El Hadji Ibrahima Niasse sont censés accueillir leur première promotion à la rentrée 2016-2017. Mais à l’évidence, cela ne sera pas possible, puisque les travaux bien que lancés, n’ont pas encore réellement démarré.

Dans le domaine de l’agriculture, le Sénégal a connu une bonne récolte et une campagne de commercialisation réussie. Si le même résultat est obtenu en 2017, cela pourrait être un solide argument de campagne dans le monde rural. Seulement, cette performance n’est pas le fruit d’un ensemble de facteurs maîtrisés par les autorités, puisque la pluviométrie qui a été un facteur décisif reste très aléatoire.

Cette même incertitude entoure la production du riz. Le gouvernement a un programme d’autosuffisance alimentaire en riz en 2017. 1,6 million de tonnes de riz paddy est prévu pour cette date. Or, lors de la dernière campagne, l’Etat a fait état de 900 000 tonnes produites. Des statistiques, que même les acteurs directs ont du mal à cautionner. Aliou Gueye, membre du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (Cncr) doute sérieusement des chiffres officiels avancés. Quant à l’autosuffisance en 2017, ils sont nombreux à ne pas y croire. Rokhaya Daba Fall, ingénieure agronome, Ibrahima Sène économiste et membre du PIT, Robert Sagna, ancien ministre,… tous estiment que c’est impossible d’ici un an.

La stratégie de l’opposition brouillée

Que dire alors d’un bilan judiciaire qui se résume à une seule condamnation de Karim Wade et à une série de libertés provisoires pour les prisonniers VIP. Avec un bilan économique pas forcément des meilleurs, d’où l’expression ‘’dëkk bi dafa macky’’ (le pays ne va pas), il n’est pas évident que le patron de l’APR soit tenté par une élection présidentielle l’année prochaine, surtout que ses adversaires avaient déjà bien occupés le terrain.

Car, sur le champ politique, les opposants s’étaient déjà mobilisés. Idrissa Seck avait fini de copier la stratégie de Macky Sall, en faisant le tour du Sénégal. A la différence que l’enfant de Fatick l’a fait dans une discrétion totale, alors que le Président de Rewmi le fait tambour battant. Malick Gackou du Grand-parti, Pape Diop de Bok Guiss Guiss, Abdoulaye Baldé de l’UCS multipliaient, eux aussi, les meetings à travers le pays. Même Khalifa Sall qui a tout fait pour maintenir le flou sur ses ambitions politiques, commençait à se dévoiler, avec ses partisans qui, gagnés par l’impatience, mettaient la pression sur le PS pour qu’il soit le candidat du parti. On sentait donc que les potentiels candidats déroulaient déjà la précampagne.

En repoussant les élections jusqu’en 2019, Macky fausse le calcul de ses adversaires. Toutes les stratégies sont à revoir. S’il faut attendre 3 ans encore, cela veut dire que les moyens déjà utilisés sont presque perdus. Certains thèmes de campagne seront caducs et le Président se donne le temps de se rattraper sur les retards dans ses programmes. Son Pse pourrait enfin avoir un visage. Et il pourra retrouver un bilan de rééligibilité, un gain politique grâce auquel il pourra peut-être se faire pardonner son fameux wax waxett ‘’mackyllé’’ à la poudre constitutionnelle. 

BABACAR WILLANE

 

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