Publié le 17 Nov 2017 - 19:12
TAUX DES MANDATS DE DEPÔT EN PRISON ET DES DEFERREMENTS DANS LES PARQUETS

Les chiffres alarmants de la DACG

 

Depuis 2014, c’est hier que la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) a renoué avec la traditionnelle Conférence annuelle des chefs de parquet, avec comme thème : ‘’L’action publique et la détention provisoire’’. Ce, en vue de trouver des solutions face à cette dernière qui doit être une mesure exceptionnelle, selon Mandiaye Niang de la DACG. D’autant plus que, révèle-t-il, la moyenne nationale des personnes déférées devant les parquetiers, entre 2016 et 2017, s’élève à 83%.

 

C’est sans équivoque. La détention, enjeu majeur de la procédure pénale, pose un problème dans les parquets. Les chiffres pour les années 2016-2017 sont ‘’alarmants’’. ‘’Si on fait le ratio entre les personnes déférées devant les procureurs et les détentions qui en résultent, nous avons une moyenne nationale de 83%. Le taux de détention le plus élevé est de presque 95%. Fatick est le Tribunal de grande instance (TGI) qui recourt le moins à la détention, avec un taux de 68%. Dakar est légèrement en dessous de la moyenne, avec un peu mois de 82%’’, a indiqué le Directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG). Mandiaye Niang a fait cette révélation hier, lors de la cérémonie d’ouverture de la Conférence annuelle des chefs de parquet sous le thème : ‘’L’action publique et la détention provisoire’’.

Selon lui, c’est donc à peine qu’ils exagèrent, ceux qui parlent de recours systématique à ladite détention. Les mandats de dépôt font foison, d’après cette enquête. Et il apparaît que les cabinets d’instruction n’en sont responsables que d’environ 8% ; les 92% provenant des procédures de flagrant délit. ‘’Si on avait regardé seulement du côté de la prison, les chiffres de la détention auraient été plus alarmants. D’après la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP), 98% des personnes qui y sont font leur entrée initiale à la faveur d’un mandat de dépôt ; la marge de 2% provient des écrous extraditionnels et des contraintes par corps’’, a signalé la DACG.

Ismaïla Madior Fall : ‘’Un seul cas de détention injustifiée serait un cas de trop’’

En outre, l’arrivée du ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, à la tête de ce département a coïncidé avec la réactivation par la DACG de cette conférence, après trois années d’inertie. Prenant part à la rencontre, le Garde des Sceaux a soutenu que, malgré toutes les réformes législatives et réglementaires, force est de reconnaître qu’il y a l’impression que le recours à la détention prend trop souvent le dessus sur le principe de la liberté.

‘’Il existe, dans notre pays, un sentiment, amplifié par les médias et les activistes des droits de l’Homme qui sont bien dans leur rôle, que l’on entre de plus en plus facilement en prison et qu’on y reste parfois plus longtemps que de raison’’, a-t-il lancé. Alors que, poursuit-il, ‘’nos prisons sont surpeuplées surtout de personnes en attente de jugement. Nous avons néanmoins le devoir de jeter un regard sans complaisance sur nos pratiques procédurales. Un seul cas de détention injustifiée serait un cas de trop. Et il n’est pas sain que la population des détenus provisoires soit très importante par rapport à celle des condamnés purgeant une peine de prison. Car l’emprisonnement sera toujours associé à l’idée de sanction’’.

Confirmant le DACG, le ministre a relevé, dans la pratique des parquets, le recours fréquent au mandat de dépôt, lors des interrogatoires de flagrants délits. Pis, s’agissant des dossiers d’instruction, les réquisitions aux fins de placement sous mandat de dépôt ou de refus de mise en liberté provisoire suivies d’appel, en cas d’ordonnance contraire, ont tendance à devenir la règle. ‘’Les statistiques sur le rapport entre le flux des personnes mises sous écrou et les certificats d’élargissement laissent apparaître que plusieurs procédures judiciaires aboutissent à des non-lieux, à des relaxes ou à des condamnations assorties de sursis. Ainsi, il apparaît que bien des prévenus pouvaient, opportunément, faire l’objet de poursuites sans détention préventive ou, (pourquoi pas ?) voir leur cas réglé par la voie de la médiation pénale ou du classement sans suite’’, a renseigné Ismaïla Madior Fall.

Le ministre indique ainsi que le mandat de dépôt ne devrait pas être un instrument entre les mains de l’autorité de poursuite pour infliger une sanction anticipatrice au prévenu qui, de par la volonté du législateur, est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie devant les tribunaux et les cours de justice compétents, à l’issue d’un procès juste et équitable. ‘’Plusieurs facteurs liés au manque de garanties de représentation en justice, aux risques de représailles ou aux impératifs de préservation ou de recherche des éléments de preuve peuvent, dans certains cas, justifier la détention. Mais, lorsqu’il n’est pas un impératif de par la loi, le mandat de dépôt n’est pas forcément nécessaire, s’il n’est motivé par la bonne tenue et la réussite du procès pénal’’, a-t-il précisé.

La politique pénale de la Chancellerie

Toutefois, pour le ministre de la Justice, la bonne administration de la justice doit, pour l’essentiel, reposer sur une bonne politique pénale. A l’en croire, cette dernière exige la mise en place de mécanismes induisant des éléments tels que la liberté des citoyens, l’individualisation de la sanction, l’humanisation de la détention, la réinsertion comme fonction principale de la peine et ainsi de suite. Il s’agit, poursuit Ismaïla Madior Fall, d’imprimer à la politique pénale de nouvelles inflexions qui ajoutent aux impératifs du procès pénal une dimension sociale et humaine, tout en restant dans la rigueur des textes en vigueur. Sur ce, il a invité les parquetiers ‘’à penser une nouvelle forme d’exercice de l’action publique qui, tout en sacralisant l’autorité de l’Etat, doit procéder à de nouvelles stratégies de poursuite alliant le triptyque légalité-efficacité-humanisme’’.

Sous cet angle, avance le Garde des Sceaux, des réflexions sont en cours au niveau central, en vue de déceler les goulots d’étranglement et d’identifier les bonnes pratiques en matière d’exercice de l’action publique pour l’application des peines, ainsi que les palliatifs aux recours fréquents aux mandats de dépôt. Ismaïla Madior Fall d’indiquer que parmi les solutions envisagées et soumises aux acteurs, figurent la mise en place des organes de l’aménagement des peines et l’effectivité de la mise en œuvre des modes d’aménagement des peines, l’amélioration des procédures de délaissement des convocations et citations en vue de mettre un terme aux renvois répétés, l’institution de permanences au niveau des parquets, des cabinets d’instruction et des audiences de flagrants délits, la célérité dans la rédaction des rapports d’appel, voire la suppression pure et simple de cette formalité dont la valeur ajoutée réelle dans la conduite du procès est discutable.

Par ailleurs, 5 procureurs généraux, 11 procureurs de la République et 5 délégués du procureur ont poursuivi les discussions au fond du thème pour voir s’il y a des considérations qui peuvent justifier la détention et des mesures alternatives qui peuvent être envisagées pour permettre aux procureurs de concilier ou de juger ces personnes, tout en les laissant en liberté. Les débats étaient à huis clos.

MBAYE GUEYE, BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS DU SENEGAL

‘’Nous devons être plus humains et moins mécaniques dans la gestion de la liberté des personnes’’

‘’Il suffit d’entrer dans un commissariat de police, une brigade de gendarmerie ou une prison centrale pour se rendre compte que ce n’est pas évident d’être dans la posture d’une personne détenue. Donc, il nous faut, plus qu’avant, être regardant sur la vie des citoyens. On ne peut pas amener une personne en prison sans l’entendre.

Nous devons être plus humains et moins mécaniques dans la gestion de la liberté des personnes. Il y a quelque temps, nous avons déposé au ministère de la Justice un projet de loi nationale de présence de l’avocat, à la garde vue. Nous en avons discuté et le parquet a marqué une opposition réelle. Et on a voulu faire croire à la Chancellerie, au ministère, que nous voulions introduire dans le système un élément perturbateur, c’est-à-dire l’avocat au niveau de la gendarmerie et de la police.

Ce que j’ai déploré, c’est que l’Uemoa avait un projet similaire et j’étais persuadé qu’elle allait l’imposer au Sénégal. Mon vœu était que le Sénégal prenne les devants et ait le texte dans sa législation nationale, avant qu’elle ne nous vienne de la législation communautaire. Depuis, le texte est signé. Nous nous sommes renseignés pour demander aux chefs de police et de gendarmerie pourquoi ils n’appliquent pas l’article 5 de l’UEMOA.

Dans toutes les régions, chaque chef de police et de gendarmerie nous a dit : ce sont les instructions de mon chef, c’est-à-dire le procureur qui s’oppose à l’application de la loi. Ainsi, j’ai été obligé de saisir et le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur et le Garde des sceaux. C’est ce qui a amené, sous l’impulsion de la Direction des affaires civiles, des affaires criminelles et des grâces de se rencontrer pour nous accorder sur les modalités d’application de ce texte. On était parvenu à un consensus et un circulaire devait sortir, mais rien jusqu’à ce jour.’’

AWA FAYE

Section: