Publié le 10 Nov 2015 - 19:36
TEMOIGNAGE DE CLEMENT ABAIFOUTA, EX-FOSSOYEUR DE LA DDS

‘’J’enterrais au moins 8 à 10 détenus par jour’’   

 

Après une semaine de suspension, le procès de Hissein Habré a repris hier, avec la déposition de Clément Abaïfouta, président de l’Association des victimes de crimes du régime de Hissein Habré (AVCRHH). Il est revenu longuement sur les quatre années qu’il a passées à la DDS en tant que détenu et fossoyeur.

 

Dans la nuit du 12 juillet 1985,  pendant qu’il discutait avec des membres de sa famille, deux hommes en civil sont venus le cueillir. Alors qu’ils avaient promis de le ramener 15 minutes plus tard, Clément Abaïfouta Facho n’est revenu que quatre ans après. Ces quatre années d’absence, il les a passées dans les lieux de détention de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). Président de la plus grande association de victimes du régime de l’ex-Président tchadien Hissein Habré, l’ex-détenu a confié n’avoir jamais été jugé à cause d’une bourse obtenue de l’Union nationale démocratique (UND), un parti d’opposition dirigé par son oncle Facho Balaam, exilé au Bénin à l’époque. 

Bachelier au moment de son arrestation, il était accusé de rébellion d’où son  emprisonnement dans des conditions extrêmement difficiles. ‘’Le premier jour, on nous a servi le repas à 17 heures. Quand je l’ai vu avec la couleur noirâtre qui montre qu’il a été cuit dans un ustensile rouillé, j’ai pleuré car je  me suis dit que même mon chien ne le mangerait pas. Alors un vieux m’a dit : ‘’Mange car tu ne mangeras que demain à pareille heure’’, a raconté Clément Abaïfouta.

A l’instar de ces autres témoins et victimes qui l’ont précédé à la barre, il a décrit les difficiles conditions de détention au centre ‘’Les Locaux’’. Tortures, viols de femmes, exécutions, surpeuplement dans les cellules étaient entre autres le lot quotidien des détenus de la DDS qu’il appelle terreur rouge. ‘’Le sucre était formellement interdit et nous n’avions pas droit aux soins adéquats car celui qui nous a été présenté comme infirmier nous terrorisait. Même pour donner un comprimé, c’était avec des insultes et il faisait des injections mortelles’’, a narré l’ex-prisonnier. Toutefois, il a reconnu avoir échappé à la torture physique mais pas à celle morale.

Car au  cours de sa détention, l’actuel secrétaire de rédaction dans une télévision privée tchadienne, confie avoir été employé comme cuisinier pour les militaires, puis blanchisseur avant d’être contraint à devenir fossoyeur. En tant que fossoyeur, il dit avoir enterré nombre de ses codétenus morts soit de la malnutrition soit de mauvais traitement. ‘’Chaque matin, Abba Moussa venait dans les cellules pour lancer aux détenus : ‘’ Combien sont morts aujourd’hui ?’’ Lorsqu’il y en avait 1 ou 2, il disait : ‘’Vous devez mourir plus que ça car vous êtes des ennemis du pouvoir.’’

‘’Je suis un mort-vivant’’

Toujours pour décrire le nombre de décès en détention, l’ex-fossoyeur a expliqué qu’il lui arrivait de faire plusieurs voyages à Hamra Goz pour enterrer des détenus morts ou exécutés. ‘’Il y avait au moins 8 à 10 morts par jour. Les sacs de riz servaient de linceuls et les corps étaient souvent enterrés dans la précipitation dans des trous de moins d’un mètre car les militaires ne voulaient pas qu’on nous surprenne’’, a soutenu Clément Abaïfouta qui se dit maintenant insensible à la mort et souffre de trou de mémoire et de cauchemars. Se définissant comme ‘’un mort vivant’’, il le met sur le compte de Hissein Habré. ‘’Je veux qu’il me dise pourquoi il a détruit ma vie.

Il est responsable de tout ce que j’ai subi et vécu. Je veux qu’il nous dise pourquoi pendant 8 ans, il a soumis le peuple tchadien à cette horreur’’, a-t-il lancé. Et selon ses explications, même les étrangers n’étaient pas épargnés par la répression commise par la DDS. ‘’La DDS n’a pas tué que des Tchadiens en prison, mais des Camerounais, Libanais, Nigérians, Soudanais, Maliens, Béninois…’’, a confié Clément Abaïfouta. Et d’ajouter : ‘’Sous Habré, le slogan était : ‘’Hissein Habré ici, Hissein Habré là-bas, et les gens disaient : celui qui ne veut pas de Habré, les lionceaux de l’UNIR vont s’occuper de lui.’’

Après avoir étalé toutes ses souffrances, le président de l’AVCRHH espère obtenir justice mais semble se résigner du silence de l’ex-Président tchadien. ‘’Le fait que Habré soit là, c’est un plus mais j’aurais aimé qu’il parle, se défende parce que pendant 8 ans, ce que le peuple a subi, c’était au-delà de l’horreur’’, a déclaré Clément Abaïfouta. 

FATOU SY

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