Publié le 24 Jan 2018 - 20:37
TEMOINS CITES ET COMPORTEMENT DE L’AJE DANS LE DOSSIER

Les premiers heurts du procès

 

C’était prévisible. Dans le procès de l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, tout ne va pas passer comme lettre à la poste.  Chaque acte posé est âprement discuté par les parties. Hier, à l’ouverture du dossier, l’Agent judiciaire de l’Etat (Aje), Antoine Félix Diome et ses avocats ont voulu que le juge écarte la demande de l’audition des témoins cités par la défense. Cette dernière, après avoir défendu sa cause, s’est attaquée à l’Aje. Puisque, selon les conseils de Khalifa Sall et Cie, ils sont surpris de voir un Aje plaider, alors qu’il a constitué des avocats pour assurer les intérêts de l’Etat du Sénégal.

 

9 heures 09 minutes. L’audience démarre par une mise en garde. Et pas des moindres. La lettre est signée par le premier président de la Cour d’appel de Dakar, Demba Kandji. ‘’C’est une disposition légale sous peine d’une contravention. Les téléphones et enregistreurs sont interdits dans la salle. Les contrevenants seront sanctionnés’’, lit l’huissier. Tout est en place pour l’ouverture du dossier dit affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Les inculpés de cette procédure ont été extraits, tôt le matin, de leurs cellules respectives où ils ont élu domicile depuis le 7 mars 2017.

Là où Mamadou Oumar Bocoum et Ibrahima Touré, respectivement ancien et actuel percepteurs municipaux, ont été les retardataires. Mis sous contrôle judiciaire, ils sont venus après l’appel des prévenus à la barre du Président Malick Lamotte, avant de s’installer aux côtés de l’édile de la capitale, Khalifa Sall, du directeur administratif et financier (DAF) de la mairie, Mbaye Touré, du coordonnateur de l’Inspection générale des services municipaux, Amadou Moctar Diop, du chef de la Division financière et comptabilité, Ibrahima Yatma Diao, du chef du Bureau du budget, Yaya Bodian, de l’assistante du DAF, Fatou Traoré.

Attaques contre l’Aje : ‘’Face à l’obsession d’obtenir des têtes, on perd la tête’’

Après eux, les deux témoins à charge, Abdoulaye Diagne et Ibrahima Traoré, ont défilé devant la barre. Il ne restait que les personnes citées en qualité de témoins à décharge dans le cadre de cette procédure. Ainsi, le juge a informé que les conseils de la défense ont déposé, hier matin, une liste de 86 témoins (Ndrl : voir ailleurs) et que le tribunal souhaite que ces témoins soient appelés à la barre. Certains ont répondu à la convocation. Il s’agit, entre autres, de l’ancien maire de Dakar, Mamadou Diop, de l’ancien Premier ministre, Idrissa Seck, Fatoumata Gassama, Moussa Sow, Banda Diop, Soham El Wardini. D’autres comme les personnalités de la République à savoir Moustapha Niasse, Ousmane Tanor Dieng, Aminata Tall, Amadou Ba, Birima Mangara ont brillé par leur absence.

Invité par Malick Lamotte à faire des observations sur ce sujet, le coordonnateur du pool des avocats pour la défense de Khalifa Sall a indiqué qu’il est possible que des témoins n’aient pas accès à la salle. Toutefois, Me François Sarr d’apporter des éclaircissements à propos de ces citations à comparaître : ‘’Entre le 16 et le 18 janvier dernier, nous avons adressé 2 listes dont l’une est relative aux personnes qui prouvent de l’existence de la caisse d’avance et l’autre fait état de l’utilisation de ladite caisse’’. Le procureur de la République s’est, lui, abstenu de faire des remarques. ‘’Je veux qu’on me décerne à la fin de cette journée le prix de l’organe le plus sage’’, a-t-il ironisé.

Contrairement à l’Agent judiciaire de l’Etat qui a présenté des observations. Pour Antoine Félix Diome, ‘’si on examine avec soin les raisons qui ont été adressées à la correspondance, on voit que la 2ème liste, c’est pour faire comparaître les bénéficiaires de ces fonds à la barre, après avoir démontré leur existence avec la première’’. Alors que, rappelle-t-il, cette question a déjà fait l’objet d’une discussion devant la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar. Selon l’Aje, le juge avait soutenu que les déclarations de ces témoins importeraient peu sur la constitution des contestations sérieuses. En tout état de cause, précise-t-il, si ce sont pour les seules raisons précitées, ‘’on doute fort de l’utilité de leurs dépositions’’. ‘’Les dépositions n’ont aucun impact sur la procédure principale’’, a martelé Antoine Félix Diome. Avant de demander au tribunal de les écarter, à titre principal, et, à titre subsidiaire, a-t-il ajouté, ‘’nous voulons les entendre’’, si le juge estime qu’ils sont intéressants.

Son avocat, Me Moussa Félix Sow de soutenir que les témoins cités n’ont pas été évoqués par ceux qui sont poursuivis durant l’instruction. De plus, il a signalé que le texte qui règle le problème de la comptabilité est l’arrêté du 31 janvier 2003 remplaçant celui du 134-16-47 portant création de la caisse d’avance. ‘’Ceci pour voir comment les procédures sont utiles dans ce dossier et comment sont prévus les règlements financiers dans ces 2 arrêts. Si on dit que les montants ont été utilisés pour acheter du mil ou du riz, le gérant doit prouver les rationnels, de même que la liste des payeurs, parce que ce n’est pas le maire qui donne directement l’argent’’, a-t-il dit. Et de lancer que s’il y a un règlement de dotation de mil ou de riz, les témoins ne peuvent pas éclairer le tribunal.

Mais la défense s’est offusquée de ce que l’Aje et l’avocat de l’Etat aient pris la parole. Me El Hadji Diouf s’est chargé de mener la charge : ‘’Soit vous parlez, soit vos avocats parlent. Mais ce que vous voulez faire ne passera pas. L’Etat plaide, ses avocats plaident. Vous n’êtes pas privilégié. Mieux, le redoutable procureur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), ancien parquetier, est venu faire hors sujet. Ce qu’il dit est une question de fond et il s’entête. Mais face à l’obsession d’obtenir des têtes, on perd la tête.’’

Le juge Malick Lamotte : ‘’Le spectacle est désolant et humiliant’’

Apportant la réplique, Me Doudou Ndoye de la défense d’enseigner que le juge d’instruction comme la Chambre d’accusation ‘’ne sont que des juges d’instruction’’ du second degré. ‘’Ce qu’ils ont décidé ne peut pas constituer un fait que vous pouvez constater. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves apportées et discutées à la barre. Vous ne pouvez pas statuer sur la base de simples renseignements’’, a-t-il dit à Malick Lamotte. Avant de laisser entendre : ‘’je ne suis pas actuellement en train de plaider le dossier comme ils (les avocats de l’Etat et l’Aje) l’ont malencontreusement fait, puisque que nous ne sommes pas dans le fond’’. L’avocat d’ajouter avec véhémence : ‘’Je suis surpris de voir un Aje plaider, alors que des avocats sont à ses côtés. Il est en costume et il plaide sur des faits qu’il connaît lui-même’’.

Mais devant la cohue, le juge Lamotte est intervenu pour recadrer la défense : ‘’Est-ce que vous avez besoin de faire assez de bruit pour nous faire comprendre. Le spectacle est désolant et humiliant. Cela n’honore pas la robe que vous portez. C’est assez triste de vous comporter ainsi. Nous connaissons l’ensemble des textes, depuis des années. N’oublions pas qu’il y a un jour après le procès. Me El Hadji Diouf, la police de l’audience revient au tribunal. Vous ne faites qu’augmenter le nombre de décibels de troubles’’. De ce fait, il a rappelé les règles du jeu. ‘’Sur cette question, le tribunal est très clair. Nous allons statuer et donner aux autres parties de soulever l’ensemble des exceptions. C’est pour bien faire et non autre chose. Vous en aurez l’occasion. Que tout le monde se calme. Tout est réglé par le Code de procédure pénale (CPP)’’.  

Me Ousseynou Fall de lui rétorquer : ‘’C’est ce qui explique que nous sommes passionnés, d’autant plus que c’est le premier magistrat du pays et non moins parlementaire qui est en prison. Il est poursuivi avec ses coïnculpés pour détournement de deniers publics portant sur la somme de 1,8 milliard de F CFA, blanchiment de capitaux, escroquerie portant sur des deniers publics, faux et usage de faux en écriture administrative et de commerce, et association de malfaiteurs’’. Le juge a répliqué : ‘’Nous serons fermes sur ça pour un procès juste et équitable.’’

Moment choisi par le procédurier Me Ciré Clédor Ly pour essayer de résoudre l’équation : ‘’J’ai un problème, parce que ou l’Aje plaide sa cause, en tant que partie, ou il constitue des conseils. Si c’est le 1er cas, il est attendu à titre de témoin et s’il est avocat, nous ne pouvons pas lui poser des questions par rapport à sa constitution de partie civile’’. Pour le 2ème cas, la robe noire a affirmé avoir constaté que la partie adverse ne s’oppose pas à l’audition des témoins. ‘’Ils disent toujours, si le tribunal estime. Ce qui est révélateur’’, dixit Me Ly. Concernant le 3ème cas, il avance qu’ils ne peuvent pas leur dicter leurs moyens de défense. ‘’L’article 414 qui dit en substance que chacun est capable d'exercer les droits dont il a la jouissance, ne leur donne aucun secours. Je n’ose pas imaginer que le tribunal puisse s’opposer à notre demande. Nous avons un système judiciaire défectueux où l’inculpé n’a pas les moyens de se défendre devant le juge d’instruction’’, a-t-il expliqué. Me Ly de continuer : ‘’Ce dernier, il ne vous suit pas et poursuit son enquête. Devant cette juridiction, nous avons les moyens de le faire et nous vous proposons des témoins qui sont là pour la manifestation de la vérité’’.

Au finish, 20 témoins à décharge contre 2 à charge

A cela, Me Khassimou Touré a renchéri : ‘’Nous voulons un débat clair pour être jugés conformément à la loi. La partie civile de l’Etat a une peur bleue des témoins qui vont être entendus. Nous voulons que le procès se déroule dans les règles de l’art.’’ Son confrère Me Ousseynou Fall accuse l’Etat de vouloir retarder les débats. Me François Sarr de renchérir : ‘’Les témoins que nous vous proposons sont en relation avec la caisse d’avance que nous allons défendre à la barre et nous serions frustrés, s’ils ne sont pas entendus. Il nous faut des preuves et la partie adverse parle de comptabilité publique. Donc, nous allons porter nos plaidoiries sur la nature des fonds politiques.’’

 A ces mots, le président du tribunal a répondu que la défense a le droit de s’organiser comme elle l’entend. Quant au nombre de personnes, Malick Lamotte a pris 10 sur chaque catégorie (témoins sur l’utilisation de la caisse et les bénéficiaires). Au total, les parties ont droit à 20 témoins à décharge et 2 à charge.

A la défense de choisir parmi la liste de 86 témoins qu’EnQuête publie ci-contre.

AWA FAYE

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