Publié le 14 Nov 2018 - 22:56
TENSIONS BUDGÉTAIRES AU SÉNÉGAL

Enfin la reconnaissance 

 

Le ministre Amadou Ba reconnait, enfin, que le Sénégal connait des tensions budgétaires. Mais il a fallu que la Banque mondiale emboîte le pas au Fmi pour que le gouvernement passe à l’aveu, puisque tous les Sénégalais qui l’ont dit auparavant ont été démentis.

 

Dans la grille d’appréciation du gouvernement des déclarations sur la situation économique du pays, toutes les voix n’ont pas la même pondération. Depuis des semaines, voire des mois, des Sénégalais ont dit et répété que le Sénégal connait des difficultés de trésorerie. Mais ils ont toujours été voués aux gémonies par le régime de Macky Sall et ses soutiens. Il a fallu que la Banque mondiale, et avant elle le Fmi, dise la même chose pour le ministre des Finances se résolve enfin à reconnaitre la vérité.

Hier, à l’occasion de la revue du portefeuille de la Bm, le ministre de l’Economie, Amadou Ba, a avoué que le Sénégal connait effectivement des tensions de trésorerie. ‘’Lorsqu’on décide de gérer comme le veut le président de la République, dans la rigueur et la transparence, on fait face, forcément, à des difficultés dans certaines situations’’.

Mais, avant les aveux d’Amadou Ba, il a fallu d’abord que le directeur des Opérations de la Banque mondiale au Sénégal mette le couteau sur la plaie.  Louise Cord a regretté les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des projets dues, entre autres, ‘’à la situation budgétaire particulièrement tendue du gouvernement, qui a entraîné une insuffisance des fonds de contrepartie, en particulier pour supporter les coûts de réinstallation des personnes affectées par les projets’’.

Le 31 octobre dernier, c’était d’abord le Fonds monétaire international (Fmi) qui est monté au créneau à travers une conférence de presse, lors d’une mission à Dakar. Michel Lazare, le chef de la mission, avait déclaré que le Sénégal avait besoin de resserrer les dépenses, d’exécuter le budget de manière très stricte pour le reste de l’année, afin d’atteindre les objectifs. ‘’Il y a effectivement une tension budgétaire. (…) Nos estimations indiquent qu’il va manquer, en fin d’année, lorsqu’on fait la projection sur les 3 derniers mois, un peu plus de 100 milliards de francs Cfa de recettes’’.

Explications du Mef

Hier, le ministre des Finances a essayé de donner des explications à cette situation. Selon Amadou Ba, les produits pétroliers représentent 20 % des recettes du pays. Or, depuis plus d’un an, les cours mondiaux du pétrole ont enregistré une nette hausse. Par exemple, le baril est actuellement à près de 80 dollars, indique-t-il, contre 50 dollars au maximum en 2015. Il s’y ajoute l’appréciation du dollar qui était de moins de 500 F Cfa à l’époque et qui est de 600 F Cfa actuellement. Face à une telle situation, souligne Amadou Ba, il y a un choix à faire entre deux options : serrer la ceinture le temps de laisser la tempête budgétaire passer ou alors faire supporter la charge aux pauvres. ‘’Ou bien on décide de répercuter tout sur le prix à la pompe. On se fera de l’argent et on financera l’ensemble de nos projets. Ou bien on bloque les prix, comme l’a voulu le président de la République. Cela entraine des tensions, quelques difficultés. Parce que, quand on bloque les prix, il faut aussi augmenter les subventions. Rien que pour cette année, nous avons mis à la disposition de la Senelec pas moins de 70 milliards, plus une reconnaissance de dette de près de 125 milliards. C’est autant de ressources prélevées dans d’autres secteurs’’, admet-il.  

Augmenter le carburant de 100 F et l’électricité de 20 %

Pour Amadou Ba, répercuter la hausse des prix des produits pétroliers sur les consommateurs suppose une hausse de 100 F Cfa, voire 125 F Cfa sur le prix du carburant. L’électricité aussi, ajoute-t-il, devrait être augmentée de plus de 20 % pour que l’Etat ne subventionne plus la Senelec. Ce qui serait en contradiction avec la volonté du chef de l’Etat, Macky Sall, de faire de 2018 une année sociale. ‘’Vous voyez le Sénégal décider d’augmenter les prix du carburant de plus de 100 F Cfa ? Vous voyez les conséquences que ça peut avoir sur la vie des populations, sur le transport et sur tous les produits ? Vous voyez le Sénégal augmenter l’électricité de plus de 20 % ? Nous avons préféré faire un ajustement sur les dépenses’’, précise-t-il.

Selon Amadou Ba, il s’agit donc de ‘’difficultés passagères voulues, souhaitées par le gouvernement, du fait que la politique sociale menée actuellement’’. Mais que ces tensions seront corrigées progressivement durant l’année 2019.

L’information n’a cependant rien de surprenant. Avant les institutions de Bretton Woods, des Sénégalais avaient déjà alerté. Parmi eux, l’économiste et opposant politique Mamadou Lamine Diallo. Ce dernier avait parlé de difficultés de trésorerie, en fin mai, pour expliquer les lenteurs notées dans le paiement des bourses des étudiants. Mais aussitôt a-t-il fait une sortie que le ministère des Finances lui a porté la réplique. ‘’Les caisses de l’État du Sénégal sont bien remplies et le budget bien exécuté, et il n’y a pas de tension financière liée à la gestion prudente de certaines dépenses’’, rétorquait le directeur général du Budget Mamadou Moustapha Ba. Quelques jours plus tard, en début juin, ce sera au tour de son patron, ministre du Budget, de répondre à Mamadou Lamine Loum.

‘’Les gens sont hâtifs en conclusion’’

L’ancien Premier ministre avait, en effet, lui aussi affirmé que le pays traversait une ‘’tension financière’’. Une expression qui n’était pas du goût de Birima Mangara. "Les caisses du pays sont comme elles doivent être. Elles se comportent bien. Il y a des ressources pour financer l'économie. (…) Il faut comprendre que les gens sont hâtifs en conclusion. Une économie repose sur des principes et des piliers", avait-il répliqué. Moins d’une semaine après, c’est au tour du patron des finances, Amadou Ba, de déclarer : ‘’Nous n’avons pas de problème de trésorerie.’’ Le ministre affirmait, à l’époque, que l’Etat dispose de 700 milliards pour faire face à ses engagements. Ce qui est en contradiction avec les déclarations de Louise Cord du Fmi qui dit que l’Etat a eu du mal à mobiliser la contrepartie pour l’exécution des projets de son portefeuille.

Par ailleurs, malgré les démentis, Mamadou Lamine Diallo à continuer à affirmer, pendant des mois, que la dette intérieure est en train d’étouffer les entreprises, parce que l’Etat n’a pas de quoi payer. Un membre du gouvernement, en l’occurrence le ministre de l’Enseignement supérieur, lui donnera raison, en octobre. Parlant de la dette de l’Etat vis-à-vis des établissements privés d’enseignement supérieur, Mary Teuw Niane déclare : ‘’C’est avec les contraintes qu’a le ministère de l’Economie, des Finances et du Plan qu’il n’a pas était jusqu’à présent possible d’apurer l’ensemble de la dette.’’

Il faut dire que le ministère des Finances, malgré les démentis, reconnaissait toujours l’existence de contraintes. Amadou Ba lui-même parlait de "problème au niveau du budget et de l'environnement international’’. Quant à Birima Mangara, ses propos annonçaient déjà ce qui devait être confirmé plus tard. ‘’Tout ne va pas comme dans le meilleur des mondes, disait-il, mais tout va bien jusqu'ici’’.

Aujourd’hui, la situation est assez manifeste, avec notamment les sorties du Fmi et de la Banque mondiale, pour que l’Etat se paye le luxe de nier l’évidence.

BABACAR WILLANE

Section: