Publié le 27 Dec 2018 - 22:10
TENTATIVE RASSEMBLEMENT OPPOSITION

Le pari perdu de la mutualisation

 

Thierno Bocoum et Me Mame Adama Guèye prônent la mutualisation des forces de l’opposition, après le retrait de leurs candidatures. Vu l’échec des cadres précédents de l’opposition et une procédure à la présidentielle déjà enclenchée, la tâche sera ardue.

 

En boxe, le chiffon qui sert à essuyer le visage du combattant est jeté par son encadrement pour signifier qu’on abandonne la partie, qu’on n’en peut plus. Ce geste est devenu proverbial avec l’expression ‘jeter l’éponge’. Thierno Bocoum et Me Mame Adama Guèye jettent l’éponge, avant même d’être montés sur le ring. La justification à ce renoncement tient au fait que l’opposition doit conjurer les conséquences de sa dispersion aux législatives de juillet 2017, en vue de l’échéance de février 2019. En moins de deux mois, ces deux désistements à la présidentielle de deux figures bien en vue, répond peut-être de cet impératif à coaliser les forces disparates d’une opposition face à l’aimant glouton et irrésistible du camp de la majorité présidentielle.

Me Mame Adama Guèye et Thierno Bocoum, qui prônent le ‘dégagisme’ envers Macky Sall, disent s’être désengagés de la course à la présidentielle pour accroitre les chances de l’opposition. Ils ont même esquissé une méthodologie qu’ils veulent fructueuse : se poser en centre de gravité d’un rassemblement des forces de l’opposition, prêts à pourfendre les dogmatismes et à prêcher le pragmatisme. Coïncidence intéressante, les deux leaders ont tous deux usé du même terme pour justifier leur sacrifice pour obtenir la guérison commune de leur camp : mutualisation.

Altruisme, parrainage opérant ou réalisme

‘‘Ce combat exige une mobilisation permanente. J’avais déjà fait une invitation aux autres candidats pour une gestion mutualisée de ces questions. Mais en étant candidat c’est très difficile. Moi, je pense que ce n’est pas compatible’’, a-t-il expliqué en octobre dernier en annonçant son retrait de la candidature. Deux mois après, malgré les 67 591 parrainages que le mouvement Agir dit avoir collectés, le leader Thierno Bocoum se sacrifie pour la ‘‘collectivité’’. ‘‘Pour notre part, nous avons considéré que nous devons constituer l’un des premiers maillons de cette mutualisation devant permettre de lancer un signal fort à nos compatriotes qui se désolent de la multiplication des candidatures, alors que des offres programmatiques sont quasi identiques’’, a-t-il expliqué dans sa déclaration de retrait.

Mais cet altruisme est-il authentique ou est-ce une issue de secours devant les obstacles insurmontables du dossier de candidature ? Pour l’enseignant en sciences politiques de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw, la seconde option est la bonne. Le paramètre nouveau et déterminant de ces élections est déjà opérant, d’après son analyse. ‘‘Le renoncement à la candidature est lié au parrainage, qui a manifestement fait son effet. Ça évite la candidature d’hommes politiques qui n’ont pas d’envergure nationale, qui ne se sont pas positionnés dans l’espace politique aux dernières législatives (...) Ce renoncement est preuve de lucidité politique. Ils ne vont jamais dire que c’est parce qu’ils n’ont pas rassemblé le nombre de signatures requises. Ce serait accepter une défaite’’, explique-t-il au téléphone d’’’EnQuête’’.

Ce dernier met en doute sérieusement le parrainage avancé par Thierno Bocoum et estime même que ce défilement à se poser comme rassembleur est une dérobade à cet échec aux parrainages. ‘‘C’est le discours politique qu’ils utilisent pour masquer l’échec. Comme ils n’ont pas réussi, on préjuge, ils utilisent un terme politiquement correct pour valoriser leurs actions au sein de l’opposition. Mais on voit bien que c’est le parrainage qui fait son effet. Pour eux, il s’agit d’aller dans un sens positif’’, estime Moussa Diaw.

Au lendemain de la razzia de Bby aux législatives de 2017 (43 départements remportés sur les 45) l’opposition, groggy, constate que son atomisation est pour quelque chose dans la perte de bastions symboliques électoraux, comme Dakar et Pikine, qui leur étaient acquis a priori. Quoique l’organisation de ce scrutin ait été chaotique, Manko Taxawu Senegaal et la Coalition gagnante Wattu Senegaal sont au regret de constater que leur union aurait pu équilibrer les débats. Ou renverser même totalement la tendance, si les autres partis ou coalitions de partis (47 au total) s’étaient greffés à une union sous leurs ordres. 

A un trimestre de la présidentielle de 2019, c’est le statu quo ; la situation n’a pas tellement évolué depuis et les chances pour Thierno Bocoum et Mame Adama Guèye de réussir ce pari ne sont pas si grandes. Pour l’opposition dite significative, il y a les pôles réunis autour de Khalifa Sall, celui d’Idrissa Seck, celui de Malick Gakou, celui de Karim Wade, ainsi qu’un autre pôle sous la houlette de Me Madické Niang. ‘‘A mon avis, c’est très difficile de rassembler tout ce beau monde.  Je pense qu’ils (Bocoum et Guèye) vont en choisir un et l’intégrer. Ils vont s’aligner. Toutes les entreprises d’unification, de rassemblement de l’opposition ont toutes échoué jusque-là. Pour la bonne raison qu’il y a une personnalisation de la candidature de telle sorte qu’on ne regarde pas l’intérêt ou les enjeux pour l’opposition de se rassembler et de gagner. Chacun y va pour savoir ce qu’il pèse sur l’échiquier politique et ne veut pas s’aligner derrière ou s’allier à d’autres pour jouer les seconds couteaux’’, explique Moussa Diaw.

Cette multitude des pôles de l’opposition déjà constitués pourrait même changer le sens de l’engagement de Me Mame Adama Guèye et de Thierno Bocoum, passant du ‘‘rassemblement’’ à ‘‘l’alignement’’, pense le Pr. Diaw. Ceci, sans compter la composition cosmopolite et les aspirations fortes d’une nouvelle frange qui tient également à vivre sa première expérience politique dans la conquête de la magistrature suprême. La révélation Pur, le Parti de l’unité et du rassemblement, voudra sans doute confirmer les bonnes dispositions qu’il a démontrées en juillet 2017 (4 députés) et, tout autant qu’Ousmane Sonko du parti Pastef les Patriotes cherchera à faire cavalier seul pour déterminer sa véritable portée électorale.  

Au moins une dizaine de coalitions d’opposition depuis 2014

Résultats ? Les opposants continuent de surnager dans leurs antagonismes et se neutralisent mutuellement.  Cependant, faisable ou pas, la volonté de ces opposants reste intacte. La conjoncture leur semble favorable, puisqu’un autre parmi les opposants, très médiatisés, le juge Hamidou Dème, a aussi rendu public le retrait de sa candidature, avant-hier. Thierno Bocoum exclut toute alliance avec Macky Sall et Me Guèye est dans cette logique, depuis bien assez longtemps. Lot de consolation momentané, ce désir d’unité est concrétisé par un cadre institutionnel qu’est la Plateforme opérationnelle de sécurisation des élections (Pose) lancée le 13 décembre dernier.

Cette structure, via une sorte de pétition en ligne, s’engage déjà à déceler et à recenser les carences et dysfonctionnements qu’elle croit délibérés, dans l’organisation du prochain scrutin. Une tare congénitale a toutefois accompagné sa mise en place : le parti moteur de l’opposition, le Pds, n’y avait pas pris part. Une absence qui rappelle la hantise des divergences qui ont jusque-là eu raison des tentatives d’unification d’une opposition, certes consciente de cette nécessité, mais trop tatillonne sur les modalités. Ces six dernières années, elle s’est décomposée une bonne dizaine de fois au moins et s’est recomposée presque aussitôt dans des coalitions ou cadres, de taille, d’orientation et de durée variables.

Le Front patriotique pour la défense de la république (Fpdr), le Front pour la défense du Sénégal/Mankoo Wattu Senegaal (Fds/Mws), la coalition du Non/Gor Ca Wax Ja, Manko Taxawou Senegaal, Entente des forces de l’opposition (Efop), Cadre de l’opposition pour la régularité, la clarté et la transparence des élections (Correcte), l’Initiative pour les élections démocratiques (Ied), Pencum Askan Wi, Fippu Jog Jotna... Autant de rassemblements qui sont jusque-là passés à la trappe ou ont été réduits à leur plus simple degré d’efficacité, par un pouvoir qui est loin d’être inactif.

Certains initiateurs (Modou Diagne Fada, Abdoulaye Baldé) ont même rejoint le camp de la majorité présidentielle, confirmant les soupçons de cheval de Troie et minant dangereusement la confiance des membres de l’opposition restante. ‘‘De toute façon, il est trop tard pour se constituer, pour se rassembler. Le défi, pour elle, est de ne pas se disperser davantage, car c’est se fragiliser et ouvrir un boulevard à la majorité. Ces pôles qui existent doivent être solides et peuvent imaginer une future alliance par la suite. Toute autre dispersion pourrait faire passer le futur président sortant au premier tour. Lui également est dans des stratégies pour les fragmenter’’, conclut Moussa Diaw.

OUSMANE LAYE DIOP

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