Publié le 19 Sep 2017 - 00:17
TER RASE WAKHINANE

La détresse des déguerpis 

 

Le traumatisme est profond à Wakhinane, quartier jouxtant le pont de Colobane. Depuis jeudi dernier, il est en train d’être rasé pour les besoins du projet Train express régional (TER). Déboussolés, ses habitants et les acteurs des différents corps de métiers basés sur ce site ne savent plus à quel saint se vouer.

 

Natte à la main gauche, foulard blanc autour de la tête, Fatou Faye déambule sur un tas de carcasses de véhicules, de bois calcinés, de tentes rasées par des bulldozers… Mère de famille, elle fait partie des populations de cette localité impactées par le projet Train express régional (TER) dont le tracé doit passer sur le site de cette zone. Sa maison démolie, Fatou Faye, qui ne pense pas trouver de local à proximité dudit site, faute de moyen économique, passe la nuit dans un magasin de la place. Nombreuses sont les familles affectées qui y sont accueillies temporairement. Depuis jeudi dernier, elles vivent le calvaire. ‘’Certaines familles n’ont pas encore trouvé de local. Conséquence : elles dorment à la belle étoile. Nous n’avons pas les moyens financiers de payer la location dans certaines localités, à part celle-ci. Pour les dédommagements, ceux qui payaient 10 mille par mois ont reçu 75 mille francs CFA. C'est-à-dire sept mois de location. Actuellement, il est impossible de trouver une chambre à 10 mille francs dans la capitale sénégalaise’’, se désole-t-elle, le visage triste, le regard orienté vers un groupe de femmes assises sur un banc, devant un tas de planches et de poutrelles.

Taille moyenne, Bounama Dionne, électromécanicien de formation, est traumatisé par ces événements qu’il juge ‘’malheureux’’. Même si, par ailleurs, il reconnait qu’ils ne sont pas propriétaires de cet espace. ‘’Ils ont tout démoli, des maisons, des lieux de travail… Les responsables de l’APIX et le préfet sont venus nous dire que le délai avait déjà duré plus de trois mois. Qu’ils allaient passer à l’action. Certains ont reçu des compensations, d’autres non. Les locataires ont reçu entre 75 mille et 150 mille francs CFA. Les détenteurs de conteneurs ont perçu entre 800 mille et 1,5 million de francs. Pour les maisons, la compensation varie entre 1 et 2 millions. Tout dépend de la dimension’’, détaille-t-il le cœur lourd, chargé de craintes et de tristesse. Avant d’annoncer qu’il a passé 30 ans dans cette zone qui, dit-il, appartient à l’Etat.

Il salue, pourtant, la portée dudit projet, à condition, ajoute-t-il, qu’il fédère l’intérêt général. ‘’Si tel est le cas, je n’y vois aucun inconvénient. Ce qui nous préoccupe, pour le moment, c’est de faire en sorte que toutes les victimes soient indemnisées. Je connais les pratiques de nos Etats, pour avoir été dans un projet foncier avec les Etats-Unis. Dans cette situation, si vous tournez le dos, c’est fini. Il y a des gens qui n’ont pas été informés de cette affaire parce qu’ils sont allés passer la Tabaski au village. Et ils se permettent de raser leurs maisons, alors qu’ils ne sont pas là’’, déplore-t-il.

La colère du délégué de quartier 

En ce dimanche matin, vers 12 h, le soleil darde des rayons   accablants sur tous ceux qui osent s’aventurer dehors et sur les débris des maisons de Wakhinane. Elles ont été construites en bois, avec de petites hauteurs, présentant une architecture mosaïque. Avec de petites ruelles encadrées par des zincs. Noirâtre, poussiéreux, le vent balaie ce petit quartier. Il est malaxé de fumée provenant de la place des forgerons fabricant de marmites.

Le technicien-dessinateur de bâtiment est loin d’être surpris par cette situation. Pile de papiers entre les mains, Ibrahima Keïta est venu s’enquérir des nouvelles de ses anciens voisins sur ce site, zone qu’il a fréquentée de 1990 à 2013. ‘’Je ne suis pas étonné par ces démolitions. Depuis deux ans, ils sont venus identifier les populations dans le but de les dédommager. Donc, elles auraient dû se préparer à ça, parce qu’elles étaient averties. Maintenant, je pense qu’il faut progresser. Je suis de tout cœur avec l’Etat, surtout quand il s’agit d’un projet d’intérêt national’’, applaudit-il.

Actif, sueur au front, le délégué de quartier est dépassé par les démolitions. Issakha Diop, qui collecte des débris de bois et de zinc éparpillés, est remonté. Il se défoule : ‘’Monsieur, je ne vais jamais vous parler de mon malheur. Vous les journalistes auriez dû être à nos côtés, dès le début de cette affaire, pour nous appuyer, nous soutenir… afin que toute la population soit informée de cette situation.’’ Pourtant, il y a quelques semaines, le reporter de ‘’EnQuête’’ s’était rendu sur les lieux. Déjà, il était question de déguerpissement. Il faut dire qu’Issakha Diop vit un cauchemar.         

Il n’est pas le seul. Ici, les populations et les travailleurs ne veulent pas entendre parler de Diamniadio et de Sébikotane, deux sites prévus pour les accueillir. Parce qu’ils ne veulent pas s’éloigner de leur lieu de travail. Dans ce quartier qui, visiblement, semble être bâti dans un ‘’trou’’, les principales activités tournaient autour de la collecte et de la vente de la ferraille, de la mécanique, de la tôlerie, de l’élevage, etc. Ils étaient nombreux à converger vers Wakhinane pour écouler leurs produits ou y faire des achats. Malgré son image peu reluisante, ce quartier était attrayant pour ces travailleurs. C’était un ‘’grenier d’emplois’’.

Sa proximité avec la zone industrielle a de tout temps été bénéfique aux ferrailleurs. Une bonne partie de leurs produits provient des industries de la zone et du Port autonome de Dakar, confient-ils. De ce fait, s’éloigner de ce site signifie pour eux perdre des revenus irremplaçables et tous les avantages qu’ils tirent de leurs différentes activités. Donc, cette proximité géographique, selon eux, contribue à leur épanouissement socioéconomique. C’est la raison pour laquelle ils se disent traumatisés par le projet du Train express régional.

‘’Le TER a impacté négativement sur nos activités’’

Loquace, tenue noircie, Djiby Diouf est un jeune ferrailleur originaire de Toubatoul. Il informe avoir passé plus de 15 ans sur ce site. ‘’Le projet a impacté négativement sur nos activités. A cet égard, nous demandons à l’Etat de faire tout pour nous recaser. S’il ne le fait pas, je dis que le banditisme va prendre plus d’ampleur. Parce que plus de 2 000 personnes s’activent autour de ce parc. Des gens sont venus ici pour faire le recensement des places dans le but de dédommager ceux qui seront impactés. Malheureusement, ils n’ont pas pris en compte les travailleurs qui n’ont pas de place sur ce site. Pourtant, eux aussi tirent l’essentiel de leurs revenus ici’’, regrette M. Diouf. Disponible, il prend son temps pour disserter sur ce sujet qui lui tient à cœur. Le plombier de formation, reconverti en ferrailleur, se pose beaucoup de questions sur son avenir.

L’adjoint au chef de quartier annonce avoir dénombré 37 garages valables (mécaniques et tôliers) sur le site, 15 vendeurs de pièces détachées, de pièces de recharge (pièces détachées). Présent à Wakhinane depuis plus de 35 ans, Mamadou Ndiaye, contrairement au jeune ferrailleur, est modéré dans son discours relatif au déguerpissement. Parce que, justifie-il, ledit site leur a été prêté pour qu’ils puissent y travailler. ‘’Le gouverneur de l’époque, Thierno Birahim Ndao, avait plaidé pour qu’on nous le prête dans le but d’y mener nos activités professionnelles et non pour y construire des maisons. Donc, si l’Etat se trouve dans le besoin de le reprendre, nous serons obligés de quitter les lieux. D’ailleurs, j’ai eu un entretien avec les autorités étatiques qui sont dans cette perspective, c'est-à-dire de nous déloger’’, informait-il, il y a quelques semaines à ‘’EnQuête’’, lors d’un premier reportage.

Faisant l’historique de cette localité, il avait révélé que les premiers habitants du quartier avaient été délogés pour être recasés à Guédiawaye. ‘’A cette époque (1976), racontait-il, il y avait beaucoup d’inondations. Et les actuels quartiers de Guédiawaye, c'est-à-dire Wakhinane, Nimzatt, Baye Laye, etc., étaient ici, tout au long du ‘’parc’’. Donc, c’est notre localité qui a donné naissance à ces quartiers’’. ‘’Mbeubeuss était derrière Sotiba, Yarakh’’, ajoutait-il, des papiers du site dans les mains.

‘’Double discours’’

N’empêche qu’ils sont, aujourd’hui, des dizaines d’ouvriers à dénoncer le projet TER, parce que le tracé passe sur ledit site. Cheikh Diop, porte-parole du jour, et ses camarades de déplorer le ‘’double discours’’ des autorités en charge de ce chantier. ‘’Ces mêmes autorités qui théorisent la préférence nationale, nous avaient notifié, dans un premier temps, que seulement 50 mètres de notre site allaient être utilisés pour le projet. Ils sont revenus pour nous notifier que tout le site, large de plus de 7 hectares, sera pris dans le but de servir de garage de maintenance. Donc, nous disons qu’il y a bel et bien anguille sous roche’’, soupçonnait M. Diop lors d’une de leurs conférences de presse. Avant de faire savoir qu’ils assurent la formation et le ‘’recyclage’’ de bon nombre de jeunes dont certains ont échoué à l’école. Il s’y ajoute, dit-il, qu’ils s’activent au grand bonheur de leurs parents. ‘’Des hommes et des femmes gagnent leur vie sur ce site à la sueur de leur front’’, rappellent-ils. A leurs yeux, malgré l'insécurité qui a toujours caractérisé ce site, aucune mesure n'a été prise pour les protéger.

PAPE NOUHA SOUANE

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