Publié le 21 Mar 2018 - 08:16
TERRORISME

Burkina Faso: les terroristes étaient liés au président déchu Blaise Compaoré

 

 Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, s’est rendu au Burkina Faso pour évoquer avec le président Roch Kaboré la lutte contre le terrorisme. Deux semaines après le double attentat qui a frappé Ouagadougou, des témoignages rappellent les liens étroits que leurs auteurs avaient développés avec le pouvoir de Blaise Compaoré, ancien allié de la France et renversé en 2015.

 

Trois attentats spectaculaires et meurtriers. Depuis qu’il a été élu, fin 2015, le président du Burkina Faso Roch Kaboré est confronté à une situation sécuritaire d’une gravité sans précédent. Alors que les attaques de janvier 2016 et août 2017 ont ciblé des restaurants et un hôtel à Ouagadougou, la capitale, celle du 2 mars 2018 a pour la première fois visé des institutions, et pas n’importe lesquelles : l’état-major des armées et l’ambassade de France. Huit assaillants et huit membres des forces de sécurité ont été tués dans un affrontement qui a duré plus de quatre heures.

Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), une coalition réunissant depuis mars 2017 les entités terroristes Aqmi, Ansar Dine et Al-Mourabitoune, a revendiqué l’opération. Mais des membres et des soutiens du pouvoir burkinabè ont, comme après les deux premiers attentats, mis en cause l’ancien chef de l’État, Blaise Compaoré, 67 ans. Ce dernier, longtemps allié fidèle de la France, vit en Côte d’Ivoire depuis octobre 2014, date à laquelle, après 27 ans de règne, il a été chassé du palais de Kosyam et exfiltré par l’armée française.

Pour le Balai citoyen, mouvement issu de la société civile qui a milité pour son départ, « l’attaque du 2 mars » s’inscrit « dans un projet de restauration » de son régime, le GSIM ayant « clairement » affiché son soutien à l’ex-président et à sa politique. Dans son communiqué de revendication, le GSIM a en effet tenu à rappeler que le Burkina Faso avait toujours observé, sous la présidence de Blaise Compaoré, « une certaine neutralité à l’égard de la lutte des moudjahidines contre la France et ses alliés ».

C'est un doux euphémisme de la part du GSIM. À Ouagadougou, ce n’est un secret pour personne : certains des actuels chefs du GSIM ont longtemps fréquenté avec assiduité la capitale burkinabè et entretenu des liens étroits avec les plus hauts responsables du pays. Parmi eux, le Malien Iyad Ag-Ghali. Ce Touareg a dirigé, dans les années 1990, les rébellions MPLA (Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad) et MPA (Mouvement populaire de l’Azawad).

En 2012, alors que le Mali entrait en guerre contre les groupes terroristes, Iyad Ag-Ghali a fondé Ansar Dine. « Iyad Ag-Ghali et son entourage étaient comme chez eux à Ouagadougou. Ils avaient des villas à Ouaga 2000 [quartier huppé de la capitale – ndlr], des belles voitures... Le Burkina Faso était leur base arrière lorsqu’ils frappaient le Mali. Ici, ils étaient protégés », dit aujourd’hui un cadre du parti au pouvoir, le Mouvement pour le peuple et le progrès (MPP).

Un diplomate souligne que l’état-major des armées, frappé le 2 mars, était une cible facile et accessible pour les terroristes : « Iyad Ag-Ghali connaît par cœur le bâtiment de l’état-major. Ces gens s’y sont rendus sous l’ancien régime », assure-t-il.

Cette source diplomatique se souvient aussi des séjours d’Iyad Ag-Ghali dans la capitale, y compris après le départ de Blaise Compaoré : « J’ai vu plusieurs fois Iyad Ag-Ghali à l’aéroport de Ouagadougou. Une fois, il est venu voir le général Gilbert Diendéré au salon d’honneur de l’aéroport. C’était en 2015, lors de la transition, juste après la chute de Blaise Compaoré. Leurs familles étaient ici avec eux. »

Le général Diendéré a été l’un des piliers du pouvoir de Blaise Compaoré, son homme de confiance et son chef d’état-major particulier. À la tête du puissant Régiment de sécurité présidentiel (RSP) et contrôlant les services de renseignement, il a été en lien avec les groupes terroristes. Il a ainsi joué un rôle important dans les négociations pour la libération de plusieurs Occidentaux enlevés dans le Sahel, aux côtés de l’homme d’affaires mauritanien Moustapha Ould Limam Chafi, alias Mayaki. Ce dernier a été « conseiller spécial » de Blaise Compaoré et a souvent été présenté comme l’homme de ses « basses œuvres ».

D’après plusieurs sources, les tractations concernant les otages étaient d’un genre assez spécial, s’apparentant à une entreprise lucrative dont Blaise Compaoré était l’un des pivots. Les groupes armés s’emparaient d’Occidentaux, avertissaient le président burkinabè. Ce dernier, qui a toujours su jouer sur plusieurs tableaux, devenait alors l’intermédiaire entre le pays d’origine des otages et les ravisseurs ; à la fin du processus, il empochait une partie de la rançon. Les victimes étaient kidnappées au Mali et au Niger, jamais au Burkina Faso.

Pendant la période de transition, Gilbert Diendéré est resté à la tête du RSP. Mais tout a changé en septembre 2015 : avec ses hommes, il a tenté un putsch. Le plan a échoué, il s’est retrouvé en prison et le RSP a été dissous. Quelques mois après, l’élection présidentielle remportée par Roch Kaboré a mis fin à la transition.

Selon le cadre du MPP déjà cité, les groupes terroristes ont alors tenté de s’arranger avec le nouveau pouvoir pour bénéficier des mêmes services que sous Compaoré : « Il se dit que certains d’entre eux sont venus voir le président Kaboré juste après son élection, pour lui réclamer des garanties que leur avait promises l’ancien régime. Il leur a opposé une fin de non-recevoir. »

Est-ce la conséquence de ce refus ? À peine deux semaines après son investiture, Roch Kaboré a assisté, impuissant, au premier attentat contre des civils de l’histoire du Burkina Faso, le 15 janvier 2016. Cette attaque, qui a visé le restaurant Le Capuccino et le Splendid Hôtel, a été revendiquée par Aqmi et a fait 30 morts et 150 blessés.

Le procès des putschistes de 2015

Quelques mois après le second attentat, commis en août 2017, Roch Kaboré a pour la première fois évoqué les rapports de son prédécesseur avec les groupes armés. « L’ex-président Blaise Compaoré a joué un rôle de médiation au Mali, qui fait que, de façon constante, nous avons eu ces collusions avec les forces djihadistes au Mali », a-t-il expliqué le 5 novembre 2017. Il a ajouté : « On ne pouvait pas laisser le Burkina Faso devenir une plaque tournante où passent des armes, de la drogue et des trafics en tous genres. Nous sommes devenus un obstacle pour ces groupes-là et il est donc tout à fait normal que le Burkina Faso soit visé. »

Ces propos ont fortement déplu à Blaise Compaoré. Muré dans le silence depuis son éviction, l’ancien président, logé et nourri par l’État de Côte d’Ivoire dont il a acquis la nationalité pour éviter l’extradition, s’est exprimé à son tour, une douzaine de jours plus tard. Dans un communiqué transmis à l’hebdomadaire Jeune Afrique, il a démenti les accusations portées contre lui. Bien qu'impliqué dans de nombreuses opérations de déstabilisation en Afrique de l’Ouest, il a affirmé qu’il avait toujours recherché « la paix par la médiation et le dialogue » et que son action dans « cette région ultrasensible du Sahel et du Sahara » était reconnue « partout et par tous ».

Si certains ont établi un lien entre l’ex-galaxie Compaoré et les événements du 2 mars, c’est aussi parce que ces derniers se sont produits quelques jours seulement après l’ouverture du procès consacré à l’affaire du coup d’État manqué de 2015. En tout, 84 personnes sont dans le box des accusés, dont le général Diendéré et le général Djibril Bassolé, ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré.

Pour l'association Balai citoyen, il n’y a pas de coïncidence : « La stratégie des accusés du putsch est bien connue. Il s’agit de retarder au maximum le procès, dans l’espoir qu’un événement quelconque, disons une catastrophe de quelque nature, survienne » en faveur des deux principaux prévenus, Bassolé et Diendéré. Le nom de ce dernier est également cité à propos de l’assassinat du président Thomas Sankara en 1987 et du journaliste Norbert Zongo en 1998.

Dans ce procès, il sera également question des présumés complices ivoiriens des deux militaires, dont le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, qui a été le protégé de Blaise Compaoré lorsqu’il dirigeait la rébellion ivoirienne des Forces nouvelles et a lui aussi eu son quartier général à Ouaga 2000. L’ordonnance du juge chargé d’instruire le dossier évoque aussi le général Vagondo Diomandé, chef d’état-major particulier du président ivoirien Alassane Ouattara, arrivé au pouvoir en 2011 avec l’aide de l’ex-dirigeant burkinabè qui lui avait entre autres fourni armes et hommes. 

Certes, les groupes terroristes ont de nombreuses raisons d’être nostalgiques de l’ère Compaoré. Mais aucune preuve montrant que c’est ce qui motive leurs attentats n’a encore été portée sur la place publique. Et aujourd’hui, deux discours dominent à Ouagadougou. Le premier accuse le régime de l’ex-président et lui reproche ses collusions passées. Mais ceux qui le tiennent oublient que l’actuel pouvoir en est issu. Roch Kaboré a longtemps été un cadre du parti de Blaise Compaoré. Il a été premier ministre et président de l’Assemblée nationale pendant dix ans.

Le second discours reproche aux autorités leur incapacité à assurer la sécurité du territoire. La partie septentrionale, déjà défavorisée, est la cible d’attaques récurrentes ; des centaines d’écoles ont dû fermer et des milliers de personnes ont fui. Cependant, ces critiques ne tiennent pas compte du fait que la tâche est extrêmement compliquée.

« On est dans une période de réorganisation des services de sécurité, dans un contexte général difficile. La capacité opérationnelle ne peut pas être améliorée sans de grands investissements. Ce qui n’est pas simple dans un pays pauvre comme le Burkina Faso », souligne un juriste.

Les défis sont immenses, mais Roch Kaboré n’a pas forcément les bons réflexes pour restaurer la confiance, alors que le climat social est mauvais. La manière dont il a géré “l’après-attentat”, par exemple, a choqué une partie de ses concitoyens. Le premier ministre s’est rendu sur les lieux du drame le lendemain, mais lui-même a attendu trois jours et la venue du président nigérien Mahamadou Issoufou, président en exercice du G5 Sahel, pour le faire. En outre, il n’a pas assisté aux obsèques des militaires décédés.

Le déroulement du procès des présumés putschistes pose aussi des questions. À peine ouvert, il a été aussitôt suspendu, les avocats des accusés protestant contre l’illégalité du tribunal (les magistrats qui doivent siéger ont été désignés par décret présidentiel), ce qui n’est pas conforme à la Constitution. Il devrait reprendre ce mercredi 21 mars.

FANNY PIGEAUD ET KALIDOU SY (MEDIAPART)

 

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