Publié le 17 Apr 2019 - 03:45
THEODORE CHERIF MONTEIL, DEPUTE MAJORITE

‘’En l’état actuel des choses, il est impossible, pour l’Assemblée nationale, de faire son travail’’

 

Homme politique certes, le leader de l’Union citoyenne Bunt Bi, Théodore Chérif Monteil, n’en est pas moins un acteur économique clé, qui a fait et qui continue de faire les beaux jours de plusieurs entreprises au Sénégal et bien au-delà. Au président Macky Sall, il réaffirme le soutien ‘’sans condition’’ de son parti. Mais, comme à son habitude, le député n’hésite pas à cracher sur les mauvaises politiques du régime. Industriel de formation, il revient également sur les misères des investisseurs sénégalais, des parlementaires, le gaspillage à l’Assemblée, la politisation de l’Administration… Ancien cadre de la Sonacos, il estime que l’entreprise est aujourd’hui ‘’agonisante’’ et il faudrait une alternative.

 

Lors de la prestation de serment du président de la République, certains de vos collègues députés avaient déploré le manque de respect à l’endroit de l’Assemblée nationale. Pouvez-vous revenir sur ce qui s’est exactement passé ?

L’Assemblée nationale, en tant qu’institution, a été invitée à la prestation de serment, par le Conseil constitutionnel. Nous avons reçu une note demandant aux parlementaires un port obligatoire de l’écharpe. Ce qui montre que c’est un moment solennel, aussi bien pour le pays que pour les institutions et l’ensemble des Sénégalais. Nous sommes arrivés à l’heure au Centre d’exposition de Diamniadio et avions constaté qu’au niveau de l’accueil, il n’y avait rien pour les députés. D’abord, on nous a fait descendre à peu près à 1 km de l’entrée. Nous avons marché le reste du trajet. Arrivés devant le centre, on nous a indiqué la porte par laquelle on devait entrer. Il n’y avait aucune prise en charge. Et à notre grande surprise, nous avons constaté qu’aucune place n’a été réservée pour nous les députés. Les gendarmes nous ont signifié que nos cartes d’invitation ne donnaient pas lieu à des places particulières.  En tant que députés, ce que nous exigeons, ce n’est pas de places particulières, mais simplement plus de respect et de considération pour le Parlement. L’Assemblée nationale est quand même la deuxième institution de ce pays et les députés ont la légitimité de l’élection. Ils ne peuvent donc pas être traités n’importe comment. Aussi, il faut souligner que le manque d’organisation ou la mauvaise organisation n’augurent rien de bon dans un pays qui veut émerger...

Cette situation n’est pas une première. Est-ce que les parlementaires que vous êtes n’ont pas une part de responsabilité, si l’on sait que, parfois, on a même l’impression que les ministres sont plus respectés ?

Moi, je ne fais de reproches ni à la Présidence, ni au président de la République, ni au Conseil constitutionnel, ni même aux organisateurs de l’évènement.  S’il y a des reproches, c’est à nous députés qu’il faut les faire. C’est à nous de nous respecter et de nous faire respecter. Et pour cela, il faut qu’on prenne très au sérieux notre rôle.  On ne peut pas se permettre, quand on est député, de se comporter n’importe comment. Je pense que si le député a un comportement qui sied à son statut, il  sera traité comme il se doit. Aujourd’hui, nous sommes considérés comme une simple boite d’enregistrement, et c’est le fond même de tout ce problème.

Etes-vous en train de nous dire que l’Assemblée nationale n’assume pas la plénitude de ses prérogatives ?

En tout cas, personnellement, malgré le haut niveau de formation que j’ai, malgré les nombreux efforts que je fais pour lire les budgets des ministères, je pense que personne ne peut faire ce travail correctement. Il faut être honnête et reconnaitre qu’en l’état actuel des choses, c’est impossible. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale du Sénégal, malgré notre longue expérience du parlementarisme, ne joue pas toujours son rôle, comme il se doit. Mais nous ne pouvons en vouloir qu’à nous-mêmes. Nous ne nous sommes pas donné les moyens d’exercer notre mission avec toute la rigueur qui sied. Nous n’avons ni la formation ni les outils qu’il faut pour analyser un projet de loi du gouvernement. Entendons-nous bien, cela ne veut pas dire que le député doit forcément être un spécialiste. Vous savez, le ministre peut ne pas être un spécialiste dans le domaine qui lui est confié. Mais il est encadré par des experts qui vont débroussailler le terrain pour lui. Le député, comme le ministre, devrait pouvoir se doter d’assistants parlementaires, des experts qui l’aident dans le travail. L’exemple le plus éloquent, c’est la loi de finances.

D’abord, en 2019, on n’est pas encore capable de transmettre des formats électroniques ; on les reçoit sous formats papiers, et c’est des dizaines de cartons, tout un coffre d’un véhicule ; et on nous demande de le lire en 10 jours pour commencer le marathon budgétaire. C’est impossible, même pour le plus grand spécialiste. Mais ces outils et ces moyens, personne ne les donnera à l’Assemblée nationale, si elle ne les réclame pas. Comme j’ai l’habitude de le dire à mes collègues, nous n’avons pas à demander quelque chose à la présidence, au gouvernement. Nous avons le budget de l’Assemblée nationale. C’est nous qui l’élaborons, c’est à nous de dire,, dans ce budget de l’Assemblée nationale, nous allons mettre telle rubrique pour permettre au député de faire son travail correctement. Voilà pourquoi je dis que si le député se respecte lui-même, il pourra se faire respecter.  Dans le cas contraire, on ne pourra jamais se faire respecter.

N’est-ce pas là un aveu d’impuissance ?

C’est même de la frustration (il se répète). On aurait pu faire d’excellentes choses au bénéfice de la nation. Aujourd’hui, avec la 13e législature, on a d’excellents intellectuels, des députés qui savent mener une réflexion critique, et je ne parle pas des gens qui sont allés à l’école. Je parle d’intellectuels au sens large. Mais pour le faire, il faut un travail d’expert pour aider le député qui a sa connaissance du terrain et qui a de l’empathie pour les populations qui l’ont mandaté. Si l’expert lui débroussaille le terrain, il peut donner son avis politique pertinent sur un dossier technique soumis à son examen.

Quels sont, à votre avis, les réformes urgentes qu’il faudrait mener pour permettre à l’Assemblée d’exercer sa mission convenablement ?

D’abord, il faut réformer profondément le règlement intérieur. Le règlement en vigueur est désuet. Il faut qu’on se penche dessus sérieusement. Il faut aussi que le vrai débat parlementaire s’instaure au Sénégal. Aujourd’hui, les débats sont tronqués. On a 2 minutes de temps de parole, 3 minutes de temps, quelquefois. On ne peut même pas revenir pour discuter sur certaines choses qui sont très, très sérieuses. Quand les Sénégalais élisent des gens pour aller à l’hémicycle, c’est pour qu’ils réfléchissent de façon profonde sur ce qui leur est présenté.

Aujourd’hui, on nous dit qu’une séance ne peut pas aller au-delà de minuit ; donc il faut se précipiter pour terminer avant l’heure. Ce qui amène les votes sans débats, les débats tronqués… Il faut savoir que l’Assemblée est le lieu par excellence du débat. On parle du dialogue, mais cela devrait se faire à l’Assemblée nationale où on peut discuter de tout dans l’intérêt du peuple. En deuxième lieu, il y a la question de la questure. Confier la questure à un député, c’est ralentir fortement le fonctionnement financier de l’Assemblée nationale. En plus, le député est censé être dans l’hémicycle. Pourquoi on ne met pas la questure, qui relève de la logistique, à l’administration de l’Assemblée nationale ? Cela permettrait d’aller beaucoup plus vite et mieux. Car, il y a dans cette administration de vrais spécialistes.  Aussi, il faut arrêter avec les tonnes de papiers qu’on donne aux députés.

Mais il y a un gaspillage extraordinaire à l’Assemblée nationale : convocation dans le casier, convocation sous la porte du bureau, convocation quand on est à l’hémicycle, alors que c’est la même chose. On imprime, on imprime, on gaspille de l’encre, on gaspille du papier, on gaspille le temps du fonctionnaire. Quand on est dans un pays pauvre, on ne doit pas se permettre de gaspiller de l’argent. Toutes les économies sont bonnes. Il faut regarder les poches où on peut faire des réductions. Très souvent, on fait des dépenses, pas somptueuses, mais inutiles. Des dépenses dont on peut se passer. Aussi, il est temps de moderniser cette Assemblée. Et cela doit se faire avec les jeunes qui sont nombreux à l’hémicycle. Certes, la moyenne d’âge est assez élevée, mais il y a beaucoup de jeunes compétents qui aiment le pays et qui sont très motivés. Mais on ne les voit pas. Dans ce pays, il faut apprendre à mettre les jeunes devant, comme le souligne assez souvent le président de la République. Ce sont eux qui maitrisent les outils modernes et qui peuvent nous mener vers la rapidité et vers l’efficience.

La question du manque de transparence dans la gestion des fonds de l’Assemblée revient aussi très souvent. Qu’en pensez-vous ?

Ce que je peux dire, c’est que dans tout pays qui se respecte, on ne peut pas confier  de l’argent public à des gens sans leur demander des comptes. Ce n’est pas éthique, ce n’est pas juste. Je pense donc que l’Assemblée nationale doit être contrôlée, au même titre que toutes les institutions de ce pays. En ce moment, ce n’est pas le cas. Pour ce qui est des fonds politiques, je n’ai pas une position figée. Je pense juste qu’il faut trouver un moyen de rendre les fonds traçables.

Actuellement, il est agité la question du dialogue politique. Quels doivent en être les contours ?

Vous savez, au Sénégal, le dialogue est permanent. C’est le dialogue qui nous a permis d’avoir le Sénégal tel qu’il est. Le Sénégal est le fruit de la concertation entre nos parents, nos grands-parents, nos ancêtres. Nous ne sommes pas Sénégalais parce que nous sommes génétiquement liés, pas parce que nous sommes ethniquement liés, pas non plus parce que nous avons la même religion ou sommes originaires de la même région… mais parce que nos anciens ont pu établir un pacte social très fort. Ce qui nous permet de vivre ensemble dans la paix, l’harmonie et la cohésion nationale. C’est ça qui fait la beauté de ce pays. Le pacte social que nos anciens ont signé est un pacte fort, basé sur des échanges, sur le dialogue.

La rupture du dialogue ne devrait donc jamais avoir lieu. Et je pense qu’il n’aura jamais lieu. C’est pourquoi, moi, j’estime que quand le président de la République appelle les gens autour d’une table, c’est parce qu’il est conscient que, même s’il a été choisi par plus de 58 % des Sénégalais, il y a quand même 42 % qui lui ont dit non et il l’a lui-même dit. C’est ça qui est important. Il faut donc que l’opposition réponde et parle avec le chef de l’Etat de l’essentiel. Et puis, de toute façon, il faut que l’on apprenne à arrêter de faire de la politique dans ce pays. La politique, ce n’est pas tous les jours. Il y a un moment pour faire de la politique, un moment pour aller à l’élection et un moment pour travailler. Aujourd’hui, on est dans le temps du travail. Il faut retourner au travail.

Vous avez parlé de cohésion nationale. Mais, justement, au sortir de la dernière élection, il a beaucoup été soulevé un vote communautariste. Que vous inspire un tel débat ?

Fermer les yeux sur ce vote communautaire, c’est fermer les yeux sur des choses qui peuvent fragiliser notre pacte social. Il faut se rendre compte de l’évidence. Le 24 février dernier, il y a eu un vote communautaire. Il faut comprendre le pourquoi et essayer d’en éliminer les causes. Nous n’avons pas besoin de ça. La cohésion nationale est jusque-là basée sur un pacte social fort. Nous n’avons pas le droit de le fragiliser. Dire que c’est un épiphénomène, c’est se voiler la face, faire la politique de l’autruche. Je pense que ce n’est pas la bonne attitude. Quand on est en face d’un problème, il faut oser l’affronter, sinon ça va se complexifier et finir toujours par vous rattraper. C’est un phénomène social, nous devons en discuter et c’est le rôle des partis politiques. Nous devons prévenir ce vote communautaire, en éduquant davantage nos militants.

Un nouveau gouvernement vient d’être nommé par le président de la République. Quelles doivent être les priorités de cette équipe gouvernementale ?

Pour répondre à cette question, je vous renvoie au discours même du chef de l’Etat. Le président Macky Sall, lors de sa prestation de serment, a avancé un certain nombre d’axes. Ce que j’ai retenu, c’est surtout la notion de ‘’fast-track’’, c’est-à-dire aller vite. Nous sommes dans un monde de compétition. Il faut aller vite. Apporter les bonnes réponses, le plus rapidement possible. Aujourd’hui, nous constatons que ce n’est pas le cas. Il faut mettre en place l’environnement qu’il faut pour matérialiser nos intentions. Quel que soit le programme, sans les bons outils et les bons hommes, on n’aboutira à rien. Aussi, j’ai retenu l’idée de moderniser notre Administration. Ceci est l’élément percutant. Pour aller vite, il faut une administration efficace, pas une administration où les gens n’ont même pas la notion du temps. A ce niveau, j’estime que l’Etat doit s’inspirer des entreprises. L’Etat doit, en effet, fonctionner comme une entreprise, c’est-à-dire en mode projet. Nous avons des objectifs, nous mettons les moyens et les hommes qu’il faut pour y arriver, et à partir d’un moment, il faut arrêter pour évaluer. Qu’est-ce qui a été fait ? Qu’est-ce qui ne l’a pas été ? Pourquoi cela n’a pas été fait ? Il y a aussi la durée d’exécution des projets qui est extrêmement importante.

Par exemple, on dit qu’on va réaliser une route. On emprunte de l’argent pour le faire et on doit rembourser dans une échéance d’un an, deux ans, trois ans… Quand on met cinq ans à terminer la route, ça veut dire qu’on va commencer à payer sans avoir la route. Or, c’est l’exploitation de la route qui devait permettre de rembourser la dette. Voilà les problèmes qu’il faut voir… Et c’est la raison pour laquelle, je pense, que le nouveau gouvernement devra tout mettre en œuvre pour donner corps à la volonté du président de la République d’aller beaucoup plus vite dans son 2e mandat. Dans notre pays, on parle trop des objectifs, pas assez des résultats. Or, la seule mesure valable, ce sont les résultats. Et le résultat, ce n’est pas, par exemple, d’avoir construit des salles de classe, mais la réduction, à terme, du nombre d’analphabètes. C’est à ce niveau que j’attends le gouvernement.

Certains décrient une politisation à outrance de notre Administration. Ils se basent sur le fait que beaucoup de cadres s’engagent en politique, dès qu’ils sont nommés quelque part. Etes-vous d’avis ?

Pour moi, on ne peut pas demander à quelqu’un de s’engager en politique, juste parce qu’on lui a donné un poste. Ce n’est pas bien. Ce n’est pas normal. On ne l’a pas mis à ce poste pour faire des réalisations politiques, mais pour des raisons techniques, dans l’intérêt de tout le pays. Je ne souscris pas à ce genre de pratique. Par contre, ce qui est aussi clair, c’est qu’on ne verra dans aucun pays au monde un opposant occuper certains postes. L’essentiel est que les personnes choisies doivent, en plus d’avoir la confiance du président, remplir les critères de compétences.

Vous êtes expert en matière de transport. Le président a aussi parlé des encombrements à Dakar. Que vous inspire cette image que présente la capitale ?

C’est ce qu’il y a de plus terrible dans cette ville. C’est arrivé à un niveau insupportable. Tout le monde étouffe. La circulation est difficile, les gens sont nerveux… Dakar est polluée, elle est encombrée… Quand on construit une ville, il faut la réfléchir. Dakar n’a pas été réfléchie. C’est une ville champignon où on a accumulé les solutions les unes après les autres. Et à chaque fois qu’on pose une solution, on crée des problèmes et on essaie de rabibocher. Ça ne doit pas marcher comme ça. Dans les pays modernes, on trace la ville, on la conçoit avec des historiens, des spécialistes de la culture, des urbanistes, des architectes, des aménagistes, des écologistes, des environnementalistes… Tous les spécialistes sont réunis et ils réfléchissent la ville. Parce que la ville, c’est un creuset de socialisation. Les gens viennent d’horizons divers, ils se rencontrent et doivent être en mesure de vivre en harmonie, avec des espaces de loisirs, des espaces communs, de commerces, bref de toutes les commodités… Chez nous, on a toujours opté pour des solutions de facilité. Et c’est ce qui nous a menés vers ce désordre indescriptible.

Est-ce trop tard pour remédier à la situation ?

Il n’est jamais trop tard. Le développement de Dubaï ne date pas de plus de 50 ans. Celui de la Chine ne date pas de plus de 100 ans. Pour corriger ça, comme je le dis souvent, il ne faut pas s’attaquer au problème, mais à la source du problème. Quand on fait de l’analyse en industrie, ce sont les méthodes utilisées par les grandes entreprises comme Toyota pour résoudre les difficultés. On analyse la situation, on voit quel est le problème le plus difficile, quelles en sont ces causes, et on s’attaque à la cause la plus difficile. Après l’avoir réglée, on prend la cause suivante… Mais notre vrai problème, au Sénégal, c’est d’ordre culturel. C’est mon avis. Je peux me tromper. Quand un Sénégalais jette son gobelet de café dans la rue, c’est instinctivement, parce qu’il ne sait pas qu’il ne faut pas le jeter. Il faut donc prendre nos enfants à la base, leur apprendre autre chose que ce qui se fait actuellement. On ne peut plus continuer à laisser les gens faire ce qu’ils veulent. Sinon, c’est l’anarchie. C’est d’ailleurs ce qui crée des tensions un peu partout.

Nous ne pouvons vivre ensemble que si nous respectons le code que nous nous sommes fixé. Si quelqu’un viole ce code, il doit être sanctionné. Mais pour sanctionner quelqu’un, il faut au moins qu’il sache qu’il est en faute. C’est pourquoi l’éducation des gens est fondamentale. Je pense que les Sénégalais méritent de vivre mieux, dans un cadre de vie sain. On ne peut pas continuer de laisser les gens vivre n’importe comment. Chaque Sénégalais mérite de vivre dans des conditions décentes. C’est cela la mission première d’un Etat digne de ce nom. Ici, le Sénégalais n’est même pas en mesure de trouver son propre logement. Mais pourquoi diantre on ne parle presque jamais de ces questions ? C’est pourquoi je dis que nous nous trompons souvent de débats.

Justement, parlons du logement. Quand on est natif de certaines villes comme Dakar, il est presque interdit de rêver d’avoir son propre terrain, sa propre maison. A ce niveau, est-ce que l’Assemblée nationale ne devrait pas faire des propositions audacieuses pour une démocratisation de l’accès au foncier ?

Le foncier, c’est un grand problème au Sénégal. Beaucoup de travaux ont été faits dans ce domaine, il faut maintenant prendre des décisions. Il faut qu’on sache comment gérer la terre. C’est bien beau de dire : la terre appartient à l’Etat. Aujourd’hui, l’Assemblée nationale doit absolument travailler sur la question, pour proposer des solutions. Si on ne règle pas le problème du foncier, on va vers des catastrophes. Parce que ce n’est pas possible que quelqu’un vive toute une vie et reste locataire jusqu’à la mort. A moins que ça soit une option. Pour moi, un Etat fort qui veut émerger, repose sur ces trois piliers : l’éducation, le droit à un environnement sain et des soins de qualité pour ses populations. Quand on n’a pas ces choses-là, on ne rêve pas. On va gérer du quotidien et tant qu’on passe notre temps à gérer le quotidien, on ne peut pas être créatif. Sans ces trois choses, on ne peut rien faire. Je souhaite que ces problématiques soient résolument prises en compte par le prochain gouvernement. Ça fait partie des choses pour lesquelles j’ai soutenu le président de la République Macky Sall.

En tant que spécialiste en matière industrielle, que pensez-vous de la politique du gouvernement dans ce domaine ?

Il y a des débats d’école. Certains disent qu’au Sénégal, on n’a pas de politique industrielle. Il faut savoir que ce n’est pas obligatoire d’avoir une politique industrielle. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas une politique industrielle que l’industrie ne marche pas. Certains pays ne veulent même pas de politique industrielle, parce que considérant que c’est le marché qui règle tout. Le problème fondamental dans ce pays, c’est qu’on n’écoute pas les industriels sénégalais.  Et Dieu sait qu’il y en a de très grands. On peut prendre l’exemple de Babacar Ngom avec la Sedima, Ablaye Dia avec Senico, Ameth Amar avec Nma… J’en passe. Il y a de grands capitaines d’industries sénégalais qui se sont faits eux-mêmes. Qui ont travaillé à force de bras pour monter des empires. Et le plus extraordinaire, c’est que ces gens-là, généralement, ne sont pas des produits de l’académie. Ils ne sont pas sortis de l’école. On doit donc réfléchir sur c’est quoi le métier d’entrepreneur ? Qu’est-ce qu’on veut faire dans ce pays ? Certains vont dire : oui, il faut des usines modernes automatisées… Je signale que l’automatisation en Chine a mis au chômage 50 millions de personnes, en moins de 20 ans.

Aujourd’hui, si nous voulons développer l’industrie, il faut mettre, dans une liste très claire, tout ce que consomment les Sénégalais et on se donne les moyens de les produire. Nous importons le médicament, le lait, la voiture… Personne ne dit que le Sénégal peut, du jour au lendemain, produire des médicaments, des véhicules… Mais je suis persuadé que si on se donne les moyens, si on décide que tous les véhicules Toyota qui roulent au Sénégal devront être fabriqués ici, je suis sûr qu’il y aurait une usine de Toyota au Sénégal. Ils font un chiffre d’affaires non négligeable, donc, ils ont intérêt à le préserver. C’est ce que les autres pays ont fait. Quand vous allez en Chine, on roule avec des véhicules français, japonais, américain… mais ce sont des voitures fabriquées sur place avec une main-d’œuvre chinoise par des entreprises étrangères. Au bout de quelque temps, il y a un transfert de la technologie. Aujourd’hui, on fabrique des ailes d’avions au Maroc. Ils se sont donné la volonté de le faire. Nous avons-nous aussi les moyens de réussir la même chose. Il faut juste se donner la volonté.

Vous avez tout à l’heure fait état des champions nationaux. Pensez-vous que l’Etat fait assez pour les soutenir ?

Je ne le pense pas. Vous savez, moi, je ne suis ni socialiste encore moins communiste. Je pense que le marché doit être libre, mais un pays ne se développe pas sans un certain niveau de protection. Il n’y a pas de pays au monde qui accepte de laisser la concurrence étrangère détériorer son tissu économique national. Il ne faut pas se faire d’illusions. Tout le monde protège. Nous devons aussi protéger nos champions nationaux. L’Etat doit les aider à sécuriser leurs investissements. On doit non seulement les favoriser dans les marchés publics, mais aussi les citer en exemple dans les écoles… On ne peut pas les laisser à la merci des multinationales étrangères. Je peux vous garantir qu’avec peu, ces champions ont battu des multinationaux dans certains domaines. Imaginez donc ce qu’ils pourraient faire, s’ils avaient plus de moyens !

Il y a aussi la Sonacos que vous avez fréquentée et qui a été un fleuron de notre économie. Aujourd’hui, comment entrevoyez-vous son avenir ?

La Sonacos est une entreprise mourante. Cela me fait d’autant plus mal que c’est dans cette entreprise que j’ai appris à travailler. C’est une entreprise agonisante qui a besoin d’être aidée. Et tout ça, c’est la somme de mauvaises décisions qui ont été prises la concernant. La Sonacos était dans un domaine où elle gagnait de l’argent sans trop d’efforts. On n’en a pas fait une véritable entreprise, mais un gagne-pain politique. Et il n’y a pas de plan de sauvetage. L’équipement est désuet. En fait, le problème, avec la Sonacos, c’est surtout qu’elle n’a pas su se diversifier. Elle s’est basée principalement sur l’arachide qui est saisonnière. C’est pourquoi c’est un gros échec. Je crois qu’il faut recréer l’industrie huilière. Une véritable industrie huilière doit reposer sur des spéculations maitrisées. Si vous prenez l’exemple de la Malaisie, au début des années 1970, ils n’avaient pas de palmiers à huile. Ils venaient le chercher en Afrique. Aujourd’hui, c’est le premier pays producteur d’huile de palme. La situation de la Sonacos me fait mal au cœur, mais je ne suis pas sûr qu’on puisse la redresser. Il faudrait aider les investisseurs sénégalais à investir dans la filière et à créer d’autres Sonacos.

Est-ce que votre engagement dans Bby ne constitue pas un frein à l’évolution de votre parti, l’Union citoyenne Bunt Bi ?

Non, pas du tout ! Nous avons participé à toutes les élections. Parfois, sous notre propre bannière, comme aux dernières législatives ; souvent avec le président de la République. Notre soutien au président Macky Sall est inconditionnel et il le restera. Parce que ce qui nous lie à lui, ce n’est pas de la politique. Nous pensons que c’est quelqu’un qui a lancé un vrai programme pour le Sénégal, même si nous considérons que ce n’est pas suffisant. L’Union citoyenne Bunt Bi réfléchit sur de nouveaux axes.

C’est le Sénégal entreprenant. Pour nous, au-delà de l’émergence, il faut entreprendre, de façon volontaire et rigoureuse, pour que le Sénégal puisse aller de l’avant. Il faut que les gens aient du travail et pour ça, il faut de l’industrie. C’est le vrai engrenage qui va déclencher l’action et mettre en mouvement la machine. Nous devons avoir l’audace de dire : ce produit que j’importe, je vais le fabriquer. Il est indécent, pour nous, d’importer des brosses à dents, des épingles à cheveux… Nous devons même aller plus loin. La technologie existe pour faire même les médicaments et beaucoup d’autres choses que nous utilisons. Nous sommes sortis de la même école que ceux-là qui le font ailleurs. On peut tout faire dans ce pays. Il suffit d’avoir la volonté et d’y mettre les moyens. Et c’est ce que nous proposons au sein de l’Union citoyenne.

Avez-vous les moyens de défendre cette vision dans la majorité présidentielle, parce qu’on a l’impression que vous vous fondez dans la masse ?

C’est que l’Union citoyenne est un parti particulier. C’est une force de proposition. Nous pensons fondamentalement que notre œuvre va en direction des Sénégalais. Nous ne sommes pas des gens à la recherche de prébendes politiques. Ce n’est pas ce qui nous motive. Ce qui nous motive, c’est cette volonté constante de faire avancer ce pays. Nous ne pouvons donc pas être dans la critique facile, la dénonciation, nous sommes dans le constructif.

L’œil du spécialiste

‘’J’aurais souhaité que ce soit un gouvernement restreint. Maximum 25 ministres... Si on réfléchit bien, il y a beaucoup de départements qu’on pourrait mettre ensemble. Vous savez, quand on veut aller vite, il faut commencer par les prises de décision. Et si on veut prendre les bonnes décisions, il faut avoir des vues globales. Quand on a 50 ministres, on a 50 cloisons.

L’information va circuler avec beaucoup de lenteurs et on ne peut pas prendre les décisions rapidement dans ces conditions. Quelquefois même, on peut prendre des décisions sur la base d’informations erronées. Parce qu’à chaque fois qu’une info passe d’une source à une autre, elle est déformée. C’est connu en logistique. Si vous voulez prendre la bonne décision, il faut aller la prendre à la source. Plus le gouvernement est restreint, plus il est agrégé, plus l’information circulera rapidement, plus on prendra les meilleures décisions et on aura les meilleurs résultats.’’

PAR MOR AMAR

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