Publié le 5 Jun 2018 - 23:37
THIERNO ALASSANE SALL (LEADER DE LA REPUBLIQUE DES VALEURS)

‘’L’Apr est en perte de vitesse à l’intérieur du pays’’

 

Accroché par ‘’EnQuête’’ au détour d’une tournée politique qui l’a conduit à Kolda avant-hier, l’ancien ministre de l’Energie, Thierno Alassane Sall, par ailleurs leader de la République des valeurs, est revenu sur les questions brûlantes de l’heure. Notamment sur l’appel au dialogue lancé par le président de la République Macky Sall qui, à l’en croire, est en perpétuelle perte de vitesse à l’intérieur du pays.

 

Après votre sorti du gouvernement, vous avez lancé votre propre mouvement. Pouvez-vous nous en dire plus par rapport à son implantation ?

Nous avons, après le lancement de notre mouvement, initié une tournée politique. C’est dans ce cadre que nous sommes d’ailleurs ici à Kolda. Dans cette région, nous avons des cellules qui existent et des responsables qui travaillent d’arrache-pied sur le terrain depuis des mois. Il était donc normal que je puisse venir les rencontrer pour les encourager, mais aussi stimuler et accélérer la mise en place du mouvement dans les profondeurs de la région de Kolda. Nous avons pu faire les départements de Vélingara, Kolda et Médina Yoro Foula. Nous sommes relativement satisfaits de l’état d’implantation du mouvement.

Quel est le constat fait dans ces départements ?

Nous constatons que le parti au pouvoir est très fortement en perte de vitesse. Par seulement ici à Kolda. Mais à travers le pays. Nous avons également constaté que l’opposition n’est pas significativement présente. Donc, il faut créer les conditions d’une véritable alternative au pouvoir. Pour y parvenir, cela demande des déplacements à l’intérieur du pays pour expliquer le message qui est le nôtre. La politique ne se résume pas aux débats dans les médias. C’est aussi la réalité du terrain pour rencontrer les populations, pour leur expliquer le message d’espoir de valeurs que nous portons, d’un changement profond d’un Sénégal nouveau. 

Pourquoi dites-vous que l’opposition n’est pas significativement présente ?

Il faut constater qu’après plusieurs décennies, il n’y a pas un parti d’opposition suffisamment leader et moteur. Ce qui est un mal pour la démocratie. Le parti au pouvoir croit pouvoir dérouler ses activités sans adversaire sur le terrain. Les leaders de l’opposition sont plus au moins éclatés ou en prison ou bien confrontés à des problèmes internes de réorganisation. Ce qui laisse un vide évidemment pour des structures comme les nôtres. C’est pourquoi nous invitons l’ensemble de nos militants à descendre sur le terrain où qu’ils soient, à y croire et à se mobiliser de toutes leurs forces pour occuper la place. Le parti au pouvoir a siphonné tous ses alliés, les a éclatés, les a phagocytés et étouffés.

Est-ce à dire que nous assistons à une situation inédite ?

C’est une situation inédite par rapport aux trois décennies passées. Cela laisse une place à un nouveau courant que nous espérons porter. C’est le courant du renouveau des valeurs démocratiques. Puisque la démocratie est en souffrance dans ce pays comme jamais. Tous ces mots vides comme ‘’l’émergence’’, ‘’le Sénégal prospère’’, ‘’le Pse’’... se sont évaporés face à la réalité de l’exercice du pouvoir.

Pourquoi vous le dites ?

Les populations sénégalaises se sentent aujourd’hui trahies. Toutes les promesses ont été trahies. Mais toujours est-il que ce n’est pas le moment de perdre espoir. Il n’y a aucune fatalité dans ce qui nous arrive. Ce sont nos erreurs et nos incompétences qui nous ont conduits à cette situation.

Pensez-vous sérieusement qu’on en soit arrivé à ce stade ?

Prenez par exemple l’agriculture de manière générale. On nous avait promis, à grand renfort de publicité, que l’autosuffisance en riz sera atteinte en 2017. Nous sommes en 2018 et nous sommes loin d’atteindre cet objectif. Pourtant, beaucoup de moyens ont été investis. Non seulement on n’a pas atteint l’autosuffisance, mais certaines zones productrices de riz sont guettées par la famine. Il s’agit de Podor, Matam et Bakel. C’est un paradoxe incroyable qui appelle à être décrypté et analysé. C’est un échec dû à une incompétence.

Si nous prenons l’éducation, la crise notée dans ce secteur est révélatrice d’un mal profond. Il ne faut pas croire que cette crise est close comme ça. Parce que l’éducation est la source de production de la première richesse que tout pays doit posséder : c’est le savoir. C’est la compétence qui nous permettra d’être parmi les meilleurs au monde. Le Japon, la Corée, Singapour n’ont pas souvent des ressources naturelles, mais ils ont les meilleures compétences au monde. C’est pourquoi ils excellent dans de nombreux domaines. Nous avons besoin d’une population extrêmement bien formée dans divers secteurs, pour pouvoir être au rendez-vous.

Comment appréciez-vous l’implication de la première dame dans ce dossier et quelle appréciation faites-vous de son immixtion dans la gestion étatique ?

Toutes les instances de prise de décisions du pays ont été neutralisées. L’Assemblée nationale n’existe plus parce qu’elle est devenue une chambre d’enregistrement des décisions du chef de l’Etat. L’Alliance pour la République au pouvoir est tout sauf un parti politique. Elle est une société unipersonnelle à responsabilité limitée (Surl) appartenant à Macky Sall. Dans un tel contexte absolument inédit dans l’histoire du Sénégal, les décisions sont prises par un individu avec ses conseillers occultes. Je ne peux pas identifier les conseillers occultes qui gravitent autour du président de la République. Mais la personnalité que vous nommez pourrait en faire partie certainement. Cela s’est confirmé parfaitement lors de la grève des enseignants. Quand le khalife général des tidianes s’est investi à juste titre, il n’a pas pu obtenir ce qu’il voulait. 

Mais d’autres l’ont obtenu en utilisant la diplomatie de la marmite. Jusqu’où le pays pourrait-il fonctionner sur cette base que je viens d’évoquer, qui dicte tous les choix d’investissements, des ministères, etc. ? Il y a beaucoup de choses qui sont faites dans ce pays sur un coup de tête. Le Centre international Abdou Diouf, qui a été construit à coups de milliards, et l’hôtel qu’on est en train de construire à côté n’ont été précédés d’aucune étude de marché sérieuse. Depuis quand un pays, qui a dû mal à construire des écoles et des hôpitaux dignes de ce nom, construit-il des hôtels pour les mettre ensuite, sur la base de dette, à la disposition de privés ? Il n’y a pas de mécanismes collégiaux de réflexion, d’inspiration et de prise de décisions. Il y a une personne qui croit tout savoir et le résultat le plus patent de cette omniscience, c’est encore une fois l’agriculture dans le nord du pays.

Le président Macky Sall a récemment invité l’ensemble des segments de la société à un dialogue autour du pétrole et du gaz. En tant qu’ancien ministre de l’Energie, quelle est votre position sur cette question ?

La concertation devrait commencer depuis 2014. Car nous ne savons pas, jusqu’ici, dans quelles conditions les permis ont été donnés. La concertation doit pouvoir mettre sur la table le rapport de l’Inspection générale d’Etat sur les permis qui ont été exploités et donnés à Timis Corporation ainsi que tous les autres documents pertinents. Les concertations doivent lever définitivement le doute là-dessus. Est-ce que tous les permis actuellement octroyés l’ont été dans les conditions conformes à la loi ? Qu’est-ce qu’on va faire de notre pétrole et de notre gaz pour l’avenir ? Quand on aura fait le point, s’il est possible de se rattraper, on pourra donner naturellement notre point de vue.

Quand j’étais ministre de l’Energie, la première chose que j’ai voulu faire, c’était d’élaborer une feuille de route avec l’ensemble des segments du pays pour voir comment se préparer à l’arrivée du pétrole et du gaz, et définir les formations nécessaires, les investissements à mener. Cela appelle à une préparation qui relève de l’autorité, qui demande du temps et de la réflexion en amont. Au-delà de ces concertations auxquelles appelle le chef de l’Etat, je pense qu’il faut une commission d’enquête indépendante composée de citoyens compétents qui puissent faire le travail de recherche sur le passé, le présent et l’avenir de notre pays sur la question du pétrole et du gaz qui n’est pas une question de mandat et qui dépasse la compétence d’un seul gouvernement.

Etes-vous candidat à la présidentielle de 2019 ? Et si jamais le président Macky Sall vous tend la main, êtes-vous prêt à revenir dans son parti ?

Nous sommes ici pour offrir une autre alternative. Parce que, naturellement, sans aucune rancune, ni méchanceté ni forme d’interprétation aucune, je constate un échec patent dans de nombreux secteurs qui ne relèvent pas du hasard ou de la fatalité ou d’une situation exceptionnelle de crise ou de guerre du pays. Mais qui relève d’une incompétence de l’équipe gouvernementale et d’erreurs tragiques de choix. Il y a des difficultés alimentaires dans des zones productrices de riz. Ce qui est un paradoxe. Beaucoup d’argent a été investi dans des infrastructures à Diamniadio.

Mais dans le Sénégal des profondeurs, malgré le Pudc, le Pse, l’électrification rurale…, les jeunes sont désespérés. Parce que trouver un stage ou un emploi y est devenu un véritable problème. Les jeunes qui ont 30 ans, qui ont des diplômes ou qui ont terminé leurs études, passent leur temps à demander des stages. Au bout d’un mandat de sept ans, je ne crois pas qu’on puisse nous dire que nous pouvons faire quelque chose pour notre cher Sénégal. Vous avez un président de la République qui n’écoute personne et croit détenir la science infuse. Face à cela, nous disons à la jeunesse sénégalaise de ne pas désespérer, parce qu’il y a une autre voie possible. Nous ferons tout notre possible pour que notre voix soit audible lors des prochaines joutes électorales.

La coupe abusive de bois décime la forêt casamançaise et provoque souvent des tensions entre populations sénégalaises et gambiennes. Quel est votre avis sur la question ?

La coupe du bois est d’autant plus complexe que les populations, face à une pauvreté généralisée, se disent que la forêt leur appartient et qu’elles ont le droit  de se servir. L’Etat a aujourd’hui l’obligation de préserver notre forêt. S’il met tous les moyens sécuritaires qui sont déployés pendant les déplacements du président de la République, je pense qu’on n’en serait pas là aujourd’hui. 

PAR EMMANUEL BOUBA YANGA (KOLDA)

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