Publié le 15 Jun 2016 - 00:21
TOUBA ET TIVAOUANE DANS LA CRISE SCOLAIRE

Dans la lignée d’une tradition de médiation

 

Le rôle de médiateur ou pacificateur social s’est manifesté à plusieurs occasions de la vie politique et sociale du Sénégal. A chaque fois qu'une crise commençait à atteindre des proportions inquiétantes, les chefs religieux se sont impliqués pour un dénouement heureux.

 

Année blanche en 1988, année invalidée en 1994, année presque blanche en 2015..., la crise scolaire est ce que les différents gouvernements sénégalais ont en commun depuis presque 30 ans. La détente amorcée avant-hier par les deux porte-parole, de Touba et de Tivaouane, a permis d’éviter le pire. Les bons offices de Serigne Bass Abdou Khadre et Serigne Abdou Aziz Al amine ne sont pas une première. Selon le professeur Mamadou Fall, historien et enseignant chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) le statut des marabouts dans l’histoire du Sénégal a toujours été déterminant.

Leur intervention dans l’espace politique date de longtemps en temps qu’arbitres du jeu politique. ‘‘Nous avons une aristocratie qui a une tradition belliqueuse. Les marabouts sont la seule classe sociale capable d’arbitrer ou de servir de bouclier à la majorité de la population par rapport à la répression ou dérive de l’aristocratie. C’est un phénomène qui n’est pas nouveau. Ils ont été le fer de lance d’une culture de paix. Historiquement ils ont eu un héritage de ce rôle de bouclier depuis le 16ème  siècle’’, explique l’enseignant-chercheur. Pourquoi ces hommes de Dieu sont toujours écoutés par les deux parties en conflit ? ‘‘Les marabouts ont une légitimité sociale. En l’absence de légitimité traditionnelle des élites, la légitimité politique et sociale a toujours été réservée aux marabouts car ils ont été des champions de la paix, de l’éducation  et même de la production’’, estime l’historien. 

Les deux figures de proue dans le domaine de la médiation sociale sont Serigne Fallou Mbacké et Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh. ‘‘Dans l’histoire récente du Sénégal, nous nous souvenons tous de mai 1968. Au fort de la crise entre le mouvement estudiantin et le président d’alors Léopold Sedar Senghor, les marabouts ont joué un rôle crucial de facilitateur et d’intermédiation. C’était le cas de Serigne Fallou. On se rappelle aussi de la figure de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh qui faisait des sorties récurrentes pour hausser le ton et amener les sénégalais à la paix et à la concorde’’, rappelle Mamadou Fall.

C’est ce qui a fini de définir le marabout comme une figure de paix au Sénégal. Une légitimité qui découle également du fait que l’intervention de la classe maraboutique dans le corps social est essentiellement pacifique. ‘‘Je ne parle pas pour faire de la politique, ni pour recueillir des applaudissements’’, déclarait Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh à l’enterrement du Président Lamine Guèye. Un viatique de la vérité doublée de charité qu’il s’est évertué à mettre en pratique tout son califat durant. Ce qui lui a valu, d’être crédité du médiateur le plus influent et le plus respecté lors de ces dernières années

Sortie honorable

De ‘’Ubbi tay grève tay’’  (démarrer la grève le jour de la rentrée, Ndlr) au dénouement de la crise scolaire obtenu dans la nuit de dimanche à lundi, grâce à leur  médiation beaucoup de temps a été perdu. Pour arriver à cette solution salutaire, mais tardive, il a encore fallu l’intervention des religieux comme ce fut le cas à plusieurs reprises en cas de crise sociale majeure. Mais est-ce la réelle influence de ces marabouts qui est vraiment déterminant ou profitent-ils d’un contexte favorable avant de décider de s’impliquer ? Le recours aux hommes religieux est plus un moyen de sortie honorable pour le perdant de la confrontation.

L’on se rappelle que durant le mouvement du 23 juin (2011), au moment du vote du quart-bloquant, le président du groupe parlementaire libéral Doudou Wade s’était cramponné à la sagesse des grandes autorités religieuses pour justifier le retrait du ticket président- vice-président. En réalité, c’est le rapport de forces sur le terrain (violentes émeutes, menaces sur l’Assemblée et sur certains députés libéraux) qui a été décisif. Autre cas d’attentisme de la sphère maraboutique, la troisième candidature vivement contestée d’Abdoulaye Wade. De toutes les grandes capitales religieuses aucune voie, ne s’est élevée pour se prononcer sur un climat insurrectionnel dans les grands centres urbains, Dakar plus particulièrement, qui menaçait la stabilité du pays. Seule Léona Niassène a ouvertement demandé au président Wade de quitter le pouvoir.

Pour en revenir à cette crise scolaire, l’intervention des marabouts, bien que salutaire, s’est fait désirer. ‘‘C’est la question elle-même qui avait atteint un degré de pourrissement. Personne n’avait intérêt à ce que le rapport de force perdure. Mais dans ce cas précis on ne peut pas parler de tentative de sauver la face. C’est tout à fait normal que les marabouts obtiennent la levée du mot d’ordre des enseignants car la tradition dans notre pays fait qu’ils jouent un rôle essentiellement de pacificateur’’, fait savoir le professeur d’histoire Mamadou Fall.

Les syndicalistes avaient bien annoncé la couleur dès la rentrée, en octobre,  avec le concept ‘‘ ubbi tey, grève tey’’ avant un chassé-croisé de pourparlers infructueux avec le Gouvernement et d’autres structures durant l’année. La première intervention des religieux, de Touba en l’occurrence, date d’il y a moins de deux semaines. Mais les syndicalistes étaient restés sur leurs positions malgré une l’implication personnelle du porte-parole du khalife des mourides. Entre-temps la ligne gouvernementale s’est durcie jusqu’à la conférence de presse annoncée hier, mais finalement annulée, du Premier ministre où des mesures plus draconiennes que les réquisitions allaient être prises.

Radiations ? L’on ne saura jamais puisqu’après les bons offices de Touba et Tivaouane, les syndicats d’enseignants sont revenus à de meilleurs sentiments. ‘‘On était arrivé à un point où il était nécessaire que quelqu’un provoquât un déclic pour ramener les deux parties à la raison’’, analyse Mamadou Fall. ‘‘Le gouvernement n’était pas dans son rôle en adoptant cette attitude jusqu’au-boutiste. Les syndicats non plus. Il y a un moment où il faut privilégier la négociation à tout prix et pas la confrontation’’, analyse-t-il. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, seule une solution sur la durée permettra d’éviter une configuration similaire l’année prochaine.

 ABDOURAHIM BARRY & OUSMANE LAYE DIOP

 

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