Publié le 24 May 2016 - 11:37
TRANSVERSALE

Honni soit qui mâle y pense…

 

La toute puissance du rêve populaire a une nouvelle égérie : Fatma Samba Diouf Samoura, 54 piges au royaume de l’excellence, Sénégalaise jusqu’aux bouts des ongles. Au soir de sa sélection surmédiatisée au poste gratiné de Secrétaire général de la Fifa, la smala de la Samoura l’a portraitisée au fusain d’une machine à louanges : «fille prodige» ; «technocrate prodigue» ; «femme pragmatique épousant comme personne les contraintes de son temps» ; «Haut fonctionnaire habile à manœuvrer dans les marges».

«La bonne personne à la bonne place et à la bonne période», a-t-on tonné dans des vocalises collectives parfois suspectées de romancer la vie de la nouvelle meneuse du jeu. On attend de voir l’état de ses mains quand elles sortiront du cambouis de la «cash machine» de Zurich pour se faire une idée… Son prédécesseur, le Français Jérôme Valcke, s’en est allé piteusement, le pas lesté de casseroles et le corps souillé de taches indélébiles.

Cette Fatma-ci, produit aujourd’hui célébré de la méritocratie sénégalaise, qui a écrit d’une encre déterminée sa magnifique trajectoire personnelle, n’a rien de “La Bonne particulière”. Mais, sans choir dans un salissant sexisme, la fille de Gilbraltar (Dakar) doit métaphoriquement se faire à la manipulation du balai pour nettoyer la Fifa des souillures et pourritures de l’ère Blatter. La maison du football a besoin d’être manucurée, de se laver de ses péchés…capitaux, d’ouvrir ses fantasmatiques rideaux fumés pour laisser passer la lumière du jour et respirer l’ère d’une aube nouvelle.

La Samoura(ï) a mis pied dans un drôle de “footoir”, un monde longtemps piégé et tourmenté où le ballon n’a, jusqu’ici, été  rond que pour les cons. Où  le quotidien lambine depuis la fin du Blattérisme dans une sorte de Bardo du Bouddha, un état transitoire qui tarde à dégager le cap de la mandature de Gianni Infantino. Parce qu’il va falloir suer plus que de saison pour chasser les derniers fantômes qui hantent la maison du jeu, naguère creuset de toutes les délinquances, de toutes les perversités de “serviteurs” qui, travaillés au plus profond de leurs tripes par la course aux gains, ont longtemps joué avec la noble incertitude du sport. Mais la nomination d’une femme à ce poste hautement stratégique - une première dans l’histoire de l’institution - participe à l’idée qu’il y a quelque chose qui commence, quelque chose qui mêle un sentiment d’espoir à une lumière d’aurore. Parce que la nuit des longs couteaux a été longue, trop longue, interminable…

Dans une décrépitude de soleil couchant, un tsunami a fini de renverser la table des Saigneurs. Ces oligarques gâteux qui, derrière l’écran de fumée des cigares et les boutons de manchette, ont sucé l’âme du jeu avec une sophistication inégalée et une boulimie inégalable. La force impitoyable de la Dame justice américaine a valdingué la “Sepp opéra” pour y opérer un grand ménage et rompre avec les temps héroïques des prébendes et des droits télé qui valsent sur des comptes aux Bermudes.

Fatma Diouf Samoura sera donc la co-pilote du job du siècle : redonner à la Fifa sa dignité de garante d’une idée universaliste, celle d’une fédération internationale dépositaire du jeu préféré des hommes, posée au-dessus des calculs des Etats et de la folie des peuples. La Fifa veut changer d'air. Et d’ère. Fatiguée des appétits de la bordée de voraces, lassée des guerres de coulisses, usée par les conflits larvés, elle cherche de nouvelles têtes pensantes, une nouvelle politique, une nouvelle gouvernance qui la sorte enfin du carcan mafieux, de la gangrène corruptrice et du cynisme qui ont pollué l’aire de jeu ces deux dernières décennies.

Et le renouvellement du personnel est l’étape pionnière qui conditionne tout recouvrement de crédibilité. La fine fleur sénégalaise s’avance donc, bardée de ses compétences et de son intouchable pedigree de fonctionnaire onusienne au long cours, dans un monde longtemps abandonné aux mâles façons et aux malfaisants. Pour qui le football n’était plus une guerre «euphémisée» où le sang ne coule que des arcades sourcilières entrechoquées…

Dans un Sénégal qui sert de rien pour s’inventer un bien, prompt à ergoter sur des vétilles, la nomination de la Samoura a renchéri l’argutie nationalo-nombriliste d’«petit pays au grand peuple», d’un lopin de terre scandaleusement riche de ses ressources humaines. Dans cette sorte d’emballement touchant, cette piégeuse manie très sénégalaise de se caresser le ventre, la «numéro 2» de la Fifa se voit ainsi lestée d’un statut d’ambassadeur itinérant, d’une mission de porter haut et beau l’étendard d’un pays dont l’honorabilité a été mondialement amochée par les présumés jeux d’argent des Diack sur les pistes de l’Iaaf.

C’est sans doute trop prêter au jeu de pousse-ballon et à sa logique expansionniste plutôt réussie – la Fifa compte plus de membres que l’Onu-  que de nourrir l’illusion que le football peut changer le monde, son organisation géopolitique et ses «logiques» diplomatiques. C’est sans doute occulter que le job de Secrétaire général de la Fifa est plus bureaucratique que politique. Que Fatma Samoura, outre sa science technocratique, sera plutôt jugée dans sa capacité à laisser éclore sa sensibilité féminine là où ce vieux gâteux d’Issa Hayatou a planté ses inconstances et ses incompétences : enfin mettre de l’africanité dans le mécanisme de prise de décision d’une Fifa trop longtemps engluée dans une bataille sans fin entre le messianisme latin et l’entre-soi anglo-saxon.

ABDALLAH DIAL NDIAYE

abdallahdialndiaye@yahoo.fr

 

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