Publié le 4 May 2016 - 22:52
TRANSVERSALE

Inc(l)assable

 

C’est une énième saillie qui agite encore la mémoire, qui entretient une légende vivante qui court encore et encore les prés de France sans que le temps ne vienne chahuter sa tête chercheuse. Samedi, une ‘’noix de coco’’ est tombée de la nuit héraultaise pour fracasser les dernières illusions rémoises de maintien en Ligue 1 française. Souleymane Camara, crâne d’œuf et physique de baba cool, est un drôle de bonhomme qui joue comme il vit : en faisant son trou, de petits trous qui portent sa signature ringarde et entretiennent son rapport singulier au ballon. Une vie de footballeur de l’ombre, vide de louanges et de superlatifs, mais nantie des plus pures valeurs du sport le plus aimé des Hommes.

L’histoire du football célébrera sans aucun doute des attaquants plus créatifs, plus adroits et…plus bavards que cette star du muet, un ‘’ferme sa gueule’’ qui ouvre plus son pied droit que sa bouche. Il n’en saluera difficilement plus constant dans l’effort, plus intransigeant avec lui-même, plus connaisseur de son corps et de sa personne. Pas de plus altruiste, pas de plus sacrificiel que ce maraudeur des surfaces qui rejoindra un jour le panthéon des paillassons célestes, ces footeux besogneux couverts de sang et d’un peu de gloire…dont on ne magnifie le statut souvent dénié d’’’indispensable’’ que les soirs de leur absence ponctuelle ou définitive.

L’enfant de la Médina, ultra-lucide sur son peu de bagage footballistique, a bâti sa carrière dans la peur de l’échec, dans la trouille. Cette sainte trouille qui aiguille l’homme, révèle le caractère, donne la cervelle au plus mulet et des tripes au petit malin. Ce pari sur l’exigence personnelle et l’intelligence de son milieu lui a réclamé 15 ans d’inlassable sueur pour que la critique chipe du formol l’ingrate étiquette de ‘’Supersub’’ (1) pour habiller ce garçon au physique indifférent et au verbe transparent, là où il a fallu 24 mois (2001-2002) à El hadji Diouf pour se forger une légende à l’épreuve du temps…Injuste ? Sans doute…

Sans doute parce que ce Jules n’est pas sexy. Ni sur ni en dehors du terrain. Son sillon, sans cesse tracé et chaque jour effacé, est comme un serment de fidélité au joueur et à l’homme qu’il est : un humble, un silencieux, un discret qui pèse chaque mot, chaque acte comme il pèse chaque course, chaque appel, chaque match…Le garçon est d’un bois noble mais neutre, une âme princière dans une dégaine roturière. Son football à lui n’entraîne pas une farandole de sentiments extasiés, ne roule pas de certitudes enivrées, il s’étire sans chichi et sa fin dans un jeu du plus malin, de cache-cache avec les garde-chiourmes de derrière. Match après match, saison après saison. Sans rien exhiber de ses sentiments, ni de ses émotions. Impassible dans la rumeur de la grogne et le désarroi qui houspillent les trajectoires improbables de ses frappes, ses contrôles hasardeux et ses déficiences de buteur flou…Imperturbable dans l’effusion momentanée et le soufflé vite retombé qui épicent ses buts miraculeux, ses entrées en jeu productives et ses passes décisives salvatrices…

Souleymane Camara est un footeux à part, inc(l)assable et anachronique. Un indécrottable patient dans un monde survitaminé, une  icône du ‘’prends ton temps’’ presque en porte-à-faux avec un présent trop speed qui laisse le ballon promener sa rondeur jouissive et ses rebonds capricieux à l’instinct.  Soul a fait son business en faisant strictement ce qu’il sait faire, à ne faisant absolument rien de ce qu’il ne sait pas faire…Dans un pays qui goûte la magie des Aladin du ballon rond, ces esthètes aux pieds desquels le ballon devient papillon, cette ‘’crème’’ d’Aldo Gentina n’a jamais émergé dans l’écrin des mâles aimés. Jules n’a jamais su faire éclore une rose sur le fumier des contradictions dans lequel le Lion a longtemps eu le croc planté.

La chronique sélective retient majoritairement de sa trace en Equipe nationale deux instantanés aux angles opposés qui résument l’ambivalence des sentiments qui escortent sa carrière : l’un est un but majuscule lors d’un mémorable Sénégal-Zambie étouffant de la Can 2002 au Mali ; l’autre est un magistral loupé en plein stade de Daegu (Danemark-Sénégal, Mondial 2002), après une sublime accélération de Henri Camara.  Ni héros ni zéro, ‘’Soul’’ a campé sans esbroufe ‘’le joker de luxe’’ dans une ‘’Tanière’’ qui passe sa vie à entretenir cette ‘’exception sénégalaise’’ où la brillance de l’instant le dispute à la douceur élégiaque du regret. Et sa science du silence implique que l’on ne saura jamais si c’est lui qui a laissé tomber les Lions ou ce sont les Lions qui l’ont laissé tomber…

La trajectoire maitrisée du voyage en ballon de l’inusable buteur d’occasion a un sens, porte un message que les footballeurs d’aujourd’hui et de demain auront tort de ne pas saisir : l’infini respect du football dans son sens collectif le plus absolu, un effacement total de l’ego au profit de la collectivité. Un génie rare pour un garçon rare.

ABDALLAH DIAL NDIAYE

abdallahdialndiaye@yahoo.fr

(1) Super remplaçant

 

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