Publié le 17 Jun 2016 - 17:29
TRANSVERSALE

Lutte des clashes

 

Mettre Marley minable ! Il a donc osé l’impensable : coucher par terre un nom que l’on croit debout pour l’Eternité. Ama Baldé a commis l’outrecuidance de couper le son et la lumière à l’artiste de l’école de lutte Papa Kane. Depuis, c’est un concert de casseroles qui marque chaque pas de ses jambes-troncs.

 

Par un temps d’un soleil fatigué, d’une lucidité lasse, d’une pâleur qui fait la quille au self-control, Ama Baldé a vu son animalité tanner sa peau de diable de lutteur toujours renvoyé à ses démons, à ses provocations, à la quotidienneté trahie et à l’acuité des abandonnés du savoir-être. Une sorte de surgissement d’une inclinaison chaque jour refoulée, une éruption de violence qui fait le poing sur les inconstances d’un champion des problèmes. S’il reste encore le poulain chéri de ces dames de banlieue, on le sait parfois mulet, sujet d’effusions insoupçonnées et insoupçonnables qui torpillent l’esthétisme global de son très prometteur début de carrière.

Le fils de Falaye a rechuté dans la bestialité, ressortant de la boue sa face hideuse de démon piégé dans le maelstrom du paysage saccagé de l’arène sénégalaise. Le passé récalcitrant a fini une énième fois par tirer par la manche ce chercheur de noises, assoiffé d’affect et fouteur de merde. L’indélicat s’enorgueillit d’être ‘’d’une famille de guerriers’’, d’une cité pikinoise qui sait ‘’aller au grabuge’’, lui qui apparaît d’un abord discret, en dedans, enfermé dans sa nasse, mais toujours prompt à uppercuter les interdits, à se laisser terrasser par les ‘’plaisirs’’ de la castagne gratuite.

L’arène sénégalaise est ainsi : virile, sauvage, mystique, mystérieuse. Et le monde survitaminé qui tourbillonne autour est rarement éclairé de fair-play : un puits aux maléfices, un hymne à la surexcitation ravageuse. Ama Baldé s’érige peu ou prou comme un symbole déchirant de ce différentiel entre la propagande du plus grand sport populaire du pays et sa réalité brute de microcosme miasmé, piégé par trop d’argent, vicié par trop de violence, trop de tricherie, trop de combines. Une énième affaire qui s’offre à ses contempteurs, bouffis de complexes et de condescendance, comme un poil à gratter, une démangeaison à triturer jusqu’au sang, afin d’écorcher le visage et d’écorner l’image d’une discipline clivante, vouée aux critiques faciles, souvent stériles, parfois débiles.

‘’L’affaire Ama’’, par son aspect caricatural et son swagg médiatique, a provoqué une émotion populaire dont l’ampleur rassure sur la santé mentale d’une arène qui, par la répétition de ses coups de sang qui disait d’une espèce de je-m’en-foutisme, a parfois été soupçonnée de s’être convertie à la religion de Topor : ‘’Au lieu de discourir continuellement sur la violence, on ferait mieux de se cogner’’. Le laxisme, l’acceptation plus ou moins silencieuse des déviations ont fini par déborder des limites de l’enceinte. Et la décision du Comité national de gestion (Cng) de suspendre (pour 6 mois) le récidiviste n’a provoqué ni indignation sélective ni appel à la clémence. Seulement des commentaires tordus et tordants sur le décalage entre la lourdeur de la sanction et le constat de banal coup dont a semblé faire part la défense aux premiers heurts de ‘’l’affaire’’.

Parce que les maîtres du jeu sont dans l’urgence de sortir le martinet pour rappeler sur le droit chemin les quelques mouflets égarés qui discréditent une enceinte cernée par des critiques véhémentes et récurrentes qui fleurissent dans chaque coin de l’arène. Dont le quotidien larvé est le terreau des mille et un péchés. Et au sommet de la montagne de complaisances de tout acabit, d’actes peu sortables et des manigances peu avouables, trône, intouchable et inaccessible, le Dr Alioune Sarr qui, saison après saison, reprend son rôle récurrent de président du Cng, cette statue du commandeur qu’il investit avec un certain style. Mais, depuis un certain temps, dans une sorte de train-train, de statu quo un peu trop piégeux pour un monde de la lutte en pleine ébullition.

La double décennie de mandature du Dr Sarr a magnifiquement contribué à formaliser et formater une arène plus compatible avec les vertus du sport. Mais elle semble aujourd’hui un peu trop routinière, un peu trop figée pour (ap)porter ce sang neuf, ces petits riens de codification et de réglementation qui feront beaucoup dans l’érection d’un panorama davantage aseptisé, propice à la modernisation continuelle de la lutte avec frappe au Sénégal.

L’Euro 2016, sali par les barbaries inqualifiables des rixes de Marseille, a laissé rouler sur le gazon la preuve, si besoin en était, que tout sport populaire colporte des passions exacerbées, nourrit les excès, cristallise la bêtise humaine.  Mais le fort des instances dirigeantes du football, qu’elle soit nationale ou supra-nationale, est, en concertation des pouvoirs publics, dans l’affinement continuel des règlements, lois et dispositifs organisationnels afin de purger autant que possible les terrains de jeu des fauteurs de trouble et des potentiels germes de violences. La perfection n’étant pas âme qui vive dans ce monde changeant, il y aura toujours quelques manquements dans lesquels s’engouffreront quelques rétifs à l’ordre établi, mais la faitière de l’arène sénégalaise gagnerait à remettre son ‘’nguimb’’ sur le métier dans l’objectif final d’une plus respectabilité de l’arène et de ses commandements. Même s’il y aura toujours un Ama…

ABDALLAH DIAL NDIAYE

abdallahdialndiaye@yahoo.fr

 

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