Publié le 15 Jan 2018 - 12:52
TRAQUE DES ‘’CRIMINELS’’ DE BOFFA-BAYOTTES

Toubacouta, le village du ‘’refus’’, dans la tourmente

 

L’étau se resserre sur Toubacouta. Vingt habitants de ce village situé à vol d’oiseau de Boffa-Bayottes, ont été arrêtés. L’interpellation entre dans le cadre de l’enquête et de la recherche des auteurs du massacre du 6 juin ayant fait 14 morts et 7 blessés parmi les exploitants de bois.

 

Très tôt dans la matinée d’hier, précisément vers 5 h du matin, des éléments du Groupement d’intervention  de la gendarmerie nationale (Gign) ont encerclé le village de Toubacouta, dans le cadre d’une opération ‘’particulière’’, pour reprendre les termes du général Cheikh Guèye, Chef d’Etat-major général des armées (Cemga). Sur place, ils ont interpellé 20 habitants du village dont une femme. Parmi les personnes arrêtées et conduites à la gendarmerie de Ziguinchor, figurent 4 jeunes qui, récemment, ont été condamnés à un mois de prison puis libérés dans le cadre de la bataille rangée ayant opposé des membres du Comité inter-villageois de surveillance de la forêt des Bayottes et un groupe de coupeurs de bois. Cette interpellation a été confirmée par Abdou Sané, le président de l’Association des jeunes de Toubacouta.

Samedi 6 janvier, 14 jeunes dont 3 d’origine bissau-guinéenne, exploitants forestiers, ont été tués dans la forêt de Boffa par des éléments supposés appartenir  a ‘’Atika’’, la branche armée du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc). Le bilan faisait état  aussi de 7 blessés dont un grièvement. Depuis, l’armée, qui s’est déployée sur le terrain, mène des opérations pour ‘’rechercher, traquer et neutraliser les  ‘criminels’ qui ont commis cet acte. Cette opération ‘ciblée’ consiste également  à nettoyer cette zone pour que les populations puissent faire normalement leur travail’’, avait  précisé le Cemga. Des tirs à l’arme lourde sont souvent  perceptibles à partir de Ziguinchor, mêlés au ronronnement d’hélicoptères militaires.

Cette expédition militaire, selon les acteurs de la crise en Casamance, peut compromettre l’énorme travail accompli par les uns et les autres, notamment le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (Grpc) conduit par l’ancien maire de Ziguinchor et ancien ministre Robert Sagna. ‘’Si l’armée sort de son objectif premier qui est de mettre la main sur les auteurs de ce massacre et vise d’autres objectifs tels que la destruction des bases rebelles situées dans cette zone, il est évident que cela pourrait raviver le conflit’’, estime un observateur de la crise en Casamance qui a requis l’anonymat.

Selon lui, ces arrestations ‘’arbitraires’’ ressemblent fort bien à celles menées tout au début du conflit, alors que la logique voudrait, en l’espèce, qu’il s’agisse d’opérations de ‘’simple police’’ ou ‘’d’enquêtes’’ de la part de la gendarmerie. Du point de vue de cet interlocuteur, la piste bissau-guinéenne n’est pas à écarter dans ce massacre de Toubacouta.

‘’Nous n’avons jamais été aussi proches de la paix…’’

Quoi qu’il en soit, le Collectif des imams de Ziguinchor a, ce dimanche, organisé une journée de lecture du Coran et de prières pour le repos de l’âme des 14 morts de cette ‘’barbarie’’ et le retour de la paix en Casamance. La grande mosquée de la capitale méridionale du pays a servi de cadre à cette rencontre où plus d’une cinquantaine d’imams et de nombreux fidèles ont répondu présents. "Nous avons connu une longue accalmie. Nous n’avons jamais été aussi proches de la paix. Mais l’incident de Boffa est survenu, malheureusement. C’est pourquoi nous avons pris la décision de nous rassembler pour prier pour la paix et pour les 14 victimes", a expliqué l’imam Djibril Dème, coordonnateur du collectif. La séance de prières est initiée par l’administrateur général du Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip). Doudou Ka  a plaidé pour que les autorités "considèrent les enfants des 14 victimes comme des pupilles de la nation, afin de mieux les prendre en charge’’.

 Toubacouta, le village du refus

 Situé dans l’arrondissement de Nyassia, dans le département de Ziguinchor, le village de Toubacouta, qui avait fini de renaître de ses cendres, après avoir été effacé de la carte nationale en 1992, se retrouve dans la tourmente. Là-bas a eu lieu, en mars 1991, la signature des premiers accords de cessez-le-feu entre l’Etat du Sénégal et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance. Considéré comme le village ‘’du refus’’, Toubacouta, qui a payé un lourd tribut à la crise en Casamance, avait pourtant fini de tourner une page sombre et douloureuse de son histoire et d’effacer les stigmates du conflit.  

Pour rappel, c’est un jour de 1984 que tout a basculé, dans ce patelin tranquille aux riches potentialités agricoles.

Emprise et influence

Des éléments  de l’armée envahissent ce village situé à 9 km au sud de Ziguinchor, sur l’axe qui mène vers la Guinée-Bissau. La vérité, selon nos sources, c’est que ce village, bastion du Pra/Sénégal puis d’And-Jef de Landing Savané, incarnait le ‘’refus’’ et ‘’l’opposition’’. Il polarisait plusieurs villages de la zone,  notamment ceux de Badème, de Bagame, de Boffa-Bayottes et  de Katouré. De même que les villages de Tranquille, de Bourofaye-Diola et de Bourofaye-Baïnouck. Son emprise et son influence faisaient de ce village un lieu stratégique, aussi bien pour l’armée et le Mfdc. D’où, d’ailleurs, en partie, la raison de son choix pour abriter la signature des premiers accords de cessez-le-feu de la crise en Casamance conduite par feu Sidy Badji, ex-Chef d’état-major de ‘’Atika’’, pour le compte du Mfdc et  des députés Laye Diop Diatta et Omar Lamine Badji, représentant l’Etat du Sénégal. Le 11 octobre 1992,  juste après ces accords, les populations sont contraintes d’abandonner leur village, car des rumeurs pressantes faisaient état d’attaque imminente de ‘’Atika’’, la branche armée du Mfdc.  

Il faut attendre 1998 pour voir Toubacouta enregistrer les premières tentatives  de retour au bercail. Un retour organisé par l’Union pour le développement économique et social de Toubacouta (Udest). Pour y parvenir, il a fallu la tenue de campagnes de sensibilisation en mettant l’accent sur le pardon et la réconciliation. D’abord à partir de Ziguinchor, ensuite à l’occasion du congrès organisé en Gambie, en 2000, suivi de deux autres à Ziguinchor en 2001 et en 2002.

Avant ces événements douloureux du 6 janvier dernier, Toubacouta était en train d’écrire une nouvelle page de son histoire. Le village avait fini de sortir de sa torpeur et  de reprendre son destin en main.

HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

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