Publié le 8 Mar 2018 - 19:46
TREIZE JOURS APRÈS LE DRAME QUI A FAIT 6 MORTS

Mboro, l’onde de choc 

 

L’explosion d’une citerne de gasoil, dans la matinée du 23 février dernier, a provoqué sept victimes dont six morts et un blessé grave dans la commune de Mboro. Plus de deux semaines après ce douloureux incident, Mboro qui a fini d’enterrer ces morts reste toujours sous le choc. Retour sur les lieux de l’horreur.

 

En cette matinée du mercredi 7 mars, l’ambiance est loin d’être festive à la cité Mariama de Mboro. C’est le calme. Le quartier a enregistré, il y a plus de deux semaines, l’explosion d’une citerne vide de gasoil d’une capacité de 2 000 à 3 000 litres, alors que des menuisiers métalliques s’affairaient autour. Cet épisode ne saurait être oublié de sitôt par les ‘’Mborois’’. Selon des témoins, le propriétaire voulait mettre des antivols sous les couvercles de la citerne. Cette opération a fini par provoquer la mort de 6 personnes et occasionné un blessé grave. Celui-ci, dit-on, suit toujours des soins intensifs au centre hospitalier régional El Hadj Ahmadou Sakhir Ndiéguène de Thiès. Treize jours après ce cauchemar, la vie reprend son cours normal à la cité Mariama, plus précisément à Keur Magor.

Cependant, les populations sont encore sous le choc de cette terrible explosion qui a emporté la vie de six des leurs (tous de la localité, soit de la commune de Mboro ou de Darou Khoudoss). Le vendredi 23 février 2018 vers les coups de 10h 30 mn, Moustapha Sarr (apprenti soudeur), Mame Sémou Ndaw, Pape Babacar Diouck, Ibrahima Fall, Ndèye Mbaye et Bassine Thior ont perdu la vie dans cette explosion. Sorties de cet accident avec de ‘’graves brûlures’’, les victimes ont été transportées dans les différentes structures de santé de la région, avant de ‘’rendre l’âme un par un’’. Dans sa demeure où nous l’avons trouvé, Serigne Faye qui a perdu sa femme (Ndèye Mbaye) dans cet accident peine à trouver les mots pour décrire les derniers instants de son épouse sur terre. Il l’a assistée jusqu’à son dernier soupir.

‘’C’est le vendredi, le 23 février dans la matinée, que ce terrible accident s’est produit à la cité Mariama de Mboro. Peu avant ce drame, mon épouse qui vendait du poisson sur la chaussée, non loin du lieu de l’atelier de menuiserie métallique, est revenue à la maison pour prendre avec nous son petit-déjeuner. Et juste après, elle m’a dit qu’elle allait retourner finir son stock de poissons, avant de se lancer dans la préparation du repas du midi. Lorsqu’elle est sortie de la maison, Ndèye m’a laissé à l’intérieur, et quelques minutes après, j’ai entendu l’explosion de la citerne. Au début, je ne savais pas ce que c’était. Alors, je suis sorti de la maison en courant. Mais, je ne voyais rien du tout à cause de la fumée. J’entendais une voix féminine qui disait sans cesse : ‘’Aidez-les, sinon ils vont tous mourir’’, se remémore-t-il.

Serigne Faye continue à décrire la scène de l’horreur : ‘’A peine arrivé, j’ai constaté que la table de mon épouse était sur le flanc ; les poissons qu’elle vendait par terre. A cet instant, je me suis rendu compte que Ndèye Mbaye faisait partie des victimes. J’étais traumatisé. Malgré le choc dans lequel j’étais, j’ai dû surmonter ma peur. Avec l’aide d’une ambulance, les victimes ont été acheminées à l’hôpital Mame Abdou Aziz Sy Dabakh de Tivaouane. J’y suis resté avec elle jusqu’à ce qu’elle rende l’âme, le mardi 27 février. Elle a souffert avant de mourir. Quant à moi, j’ai vécu la pire tragédie de ma vie’’, révèle le sexagénaire, visiblement affecté par la mort de son épouse Ndèye Mbaye, avec qui, il a eu deux enfants.

‘’Je n’ai jamais vu une telle scène de toute ma vie’’

Ndèye Mbaye est partie. Son mari transit de douleur déclare qu’il lui sera difficile d’oublier celle qui prenait bien soin de lui. Serigne Faye s’en remet à Dieu et prie pour le repos éternel de l’âme de sa tendre épouse, âgée de 42 ans. ‘’C’est très douloureux de perdre la personne qu’on aime dans des circonstances pareilles. Que faire ? Il faut s’en remettre à Allah. J’avoue que je suis encore sous le choc. Car les images de cet accident si atroce défilent encore dans ma tête. J’ai comme l’impression que c’était hier. Avant de repartir auprès du Seigneur, ma femme m’a gentiment demandé de l’enterrer à Touba, si elle décédait. C’est ce que j’ai fait. Ndèye Mbaye repose désormais dans la ville sainte auprès de ses frères et sœurs mourides. C’est difficile, mais la vie est ainsi faite. Personne ne peut rien contre la volonté de Dieu’’, soutient-il.

Cependant, 13 jours après cet incident, une question taraude encore l’esprit de vieux Serigne Faye. A qui appartenait la citerne de gasoil qui était en soudure ? ‘’Je ne saurais le dire. Je ne connais même pas le propriétaire. Personne ne s’est présenté à moi pour me dire que la citerne lui appartenait. Mais tout ceci n’est pas important, même s’il le faisait, il ne pourrait pas me ramener ma femme’’, confie-t-il. Ce dernier remercie au passage les autorités municipales de Mboro et le sous-préfet de Méouane qui, selon lui, ont apporté aide et assistance aux victimes, lorsqu’elles étaient admises à l’hôpital.

‘’Le jeune homme décédé en premier crachait de la fumée’’

Dans la localité, la mort de ces six autres personnes a plongé les populations dans un chagrin total. ‘’J’habite juste à côté. Je descendais de l’école et à 100 ou 200 m de chez moi, j’ai entendu l’explosion. Avec mes camarades, nous avons couru pour prendre des nouvelles. Quand je suis arrivée sur les lieux de l’accident, j’ai vu des personnes allongées par terre. Elles étaient blessées. J’avais peur et j’ai commencé à pleurer. J’avais vraiment pitié des victimes. Je crois que ceux qui ont assisté à l’accident ressentaient la même chose. Je n’ai jamais vu une telle scène de toute ma vie’’, relate Aïssatou Ndiaye, élève en classe de Seconde dans une école privée de la commune de Mboro. Aussi prie-t-elle pour qu’un tel événement ne se reproduise pas dans leur cité et dans toute la commune de Mboro.

A la cité Mariama, tout comme à l’intérieur de la commune, cet incident continue d’alimenter les débats. Croisé à hauteur de la Brigade de gendarmerie de Mboro, ce chauffeur de ‘’taxi clando’’ qui fait la navette entre Mboro et Darou Khoudoss, a lui aussi assisté à l’explosion de la citerne de gasoil. Ahmet Sow dit ‘’Baye Fall’’ prie tout simplement le Bon Dieu pour qu’il ne revoie plus ‘’jamais une scène pareille’’. ‘’Je n’oublierai jamais ce que j’ai vu le vendredi 23 février 2018. C’était un moment triste. Les gens ont craqué, ce jour-là. Tout le monde avait peur. Ce n’était pas facile du tout pour les enfants et les adultes. Le jeune qui est décédé en premier crachait de la fumée. Que Dieu m’en préserve. Je ne veux plus revoir des images pareilles’’, lance-t-il, le visage très triste.

Le chauffeur invite d’emblée les uns et les autres à penser à leurs concitoyens en menant ce genre d’activités. Surtout, ajoute-t-il, dans un endroit aussi fréquenté que celui où a eu lieu l’accident. Pour sa part, Diouf (n’a pas décliné son prénom) y voit de la négligence de la part de l’État qui, selon lui, accepte de délivrer sans prendre des mesures nécessaires, des agréments à de ‘’soi-disant vendeurs de gasoil’’. Pour lui, ce sont ces derniers qui mettent la vie des populations en danger. ‘’Ce qui s’est passé à Mboro est une catastrophe. Il faut l’admettre. Des innocents ont péri dans cette explosion. Après le décès de ces six personnes, aucun ministre de la République n’est venu présenter ses condoléances aux familles des victimes. Et pourtant, nous les voyons se rendre chez leurs maires, lorsqu’ils sont endeuillés. Au moment où nous vivons ce calvaire, personne n’est venu à notre soutien. L’État, qui veille à la sécurité des personnes et des biens, doit venir présenter ses condoléances aux familles éplorées. C’est une obligation’’, s’indigne l’habitant de la cité Mariama.

Trouvé à Keur Magor, ce dernier pense qu’en le faisant, l’État ne va pas ramener les victimes. Par contre, il va ‘’effacer la tâche causée par sa négligence’’. ‘’Le vieux Serigne Faye a perdu sa femme, les autres, leurs frères et sœurs. Et c’est déjà trop tard. Il faut que l’État mette tous les citoyens sur le même pied. On doit le ressentir dans des moments pareils. Nous avons vécu ce calvaire sans être assistés’’, insiste M. Diouf, soutenant que l’État a une ‘’grande part de responsabilité’’ dans ce qui s’est passé à Mboro. Ce dernier préconise par ailleurs la formation de ceux qui s’activent dans le domaine de la vente de gasoil, pour éviter que de tels actes ne se reproduisent dans le futur.

‘’Nous voyons des vendeurs de gasoil un peu partout dans le département de Tivaouane. Et ils n’ont aucune qualification. Pourtant, c’est l’État qui leur octroie ces agréments. Il ne suffit pas tout simplement de savoir remplir une bouteille de gasoil pour dire que  tu es un vendeur de ce liquide inflammable. Une citerne de gasoil ne doit pas être mise à l’air libre. Voilà le premier danger que les vendeurs ne maîtrisent pas. Je crois que l’État est complice dans cette affaire qui a provoqué la mort des six personnes’’, accuse-t-il.

On se rappelle que l’année dernière, 6 élèves du département de Tivaouane avaient péri en mer, au cours d’une excursion. Et c’était à la plage de Mboro située à 25 km du chef-lieu de département. Ainsi, de Darou Khoudoss au marché de Mboro en passant par la cité Mariama, les populations qui sont encore meurtries répètent ce groupe de mots en chœur : ‘’plus jamais ça !’’

GAUSTIN DIATTA (THIÈS)

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