Publié le 8 Jan 2018 - 18:11
TREIZE PERSONNES TUEES A NIAGUIS

Le massacre après l’appel de la St. Sylvestre

 

Le conflit sénégalais en Casamance atteint un autre pic de violence. Treize personnes ont été massacrées dans la forêt de Bourofaye Baïnounck par une bande armée. Une tuerie aux mobiles très confus qui fait suite aux derniers gestes d’apaisement des autorités centrales.

 

Cette fois-ci, ils ne se sont pas limités à mutiler des innocents, chercheurs de bois ou cueilleurs de noix de cajou, d’une oreille comme la dernière de leur acte lâche qui se rapprochait plus d’un banditisme armé. ‘‘Ils’’ ont franchi la ligne rouge d’une manière barbare : 13 personnes assassinées de sang-froid, dans la forêt de Bourofaye Baïnounck (Boffa Bayotte), arrondissement de Niaguis, Ziguinchor, dont la manière laisse peu de doutes sur la barbarie des individus qui ont perpétré ce massacre. Les détails de cette tuerie, explicités par le gouvernement lui-même dans un communiqué, font froid au dos ‘‘(...) dix par balles, deux par armes blanches et un brûlé.

L'attaque a également eu pour conséquences sept blessés par balles, dont un grave’’. C’est d’ailleurs la grande interrogation à chaque fois que de pareils actes viennent secouer le ronronnement d’un dossier où ce n’est ni paix ni guerre. Qui sont-‘‘ils’’ ? que veulent-ils’’. Pour l’instant, aucune certitude à part la convocation du Conseil national de sécurité par le président Sall, le samedi au Palais, l’instruction ferme aux Forces de défense et de sécurité, ‘‘pour que force reste à la loi’’ et bien sûr que ‘‘les auteurs de cet acte criminel soient recherchés et traduits en justice’’.

Tout le monde semble être pris de court. Le porte-parole de la Dirpa, la cellule de communication de l’armée, le colonel Abdou Ndiaye, avance qu’il n’y a pas eu ‘‘de signes avant-coureurs’’. Ce massacre survient sept jours après que le président de la République, dans son allocution de fin d’année, a fait un clin d’œil pour la paix et au lendemain de la libération de deux combattants du Mfdc, libérés par l’armée à la suite d’une médiation de Sant’Egidio de Rome. Une intervention de l’Ong très mal vue par le président du parti social-fédéraliste  (Psf) Jean Marie François Biagui qui assimile l’intervention à un coup de com’. Surenchère ‘‘des forces sans ambitions’’ contre le processus de paix en Casamance, comme l’indique le communiqué du gouvernement ? ‘‘Le processus n’est pas menacé en tant que tel. Chaque fois que les gens font un pas, ceux que j’appelle ‘‘les fondés de pouvoir de la crise’’ n’ont pas intérêt à ce que ça n’avance pas plus. C’était suffisamment fort pour que tous ceux épris de justice aillent sauter sur cette occasion’’, commente Xavier Diatta auteur du livre ‘‘La crise casamançaise racontée à mes enfants’’ et membre des cadres casamancais.

Surplace du processus de paix

 En voulant tenter de sauver les avancées pacifiques, le(s) communiqué(s) du gouvernement évite(nt) obstinément, depuis quelque temps, de mentionner le Mouvement des forces démocratiques de Casamance, (Mfdc), le groupe indépendantiste qui maintient en vie ce conflit armé dans la partie sud du pays depuis bientôt 35 ans. Ce dernier, par le communiqué du Cercle des intellectuels et universitaires du Mfdc (CIU), explique que le surplace noté depuis quelques années n’est pas étrangère à cet état de fait, tout en se démarquant de cet acte. ‘‘Le responsable, c’est le statu quo entretenu à dessein en Casamance. Cette tragédie, au-delà de l’émotion légitime qu’elle suscite, se nourrit, entre autres, du statu quo sécuritaire et politique qui règne en Casamance, donnant une atmosphère de pourrissement de la situation’’, dénoncent les intellectuels du Mfdc.

Des groupes armés anonymes sont souvent désignés comme l’auteur de ces attaques intermittentes dont la perte de vigueur laissait transparaître une rébellion aux abois. Un faisceau d’éléments convergents ont pourtant joué en la faveur du Président Macky Sall pour le règlement définitif de ce conflit dont le plus important est sans doute la chute de l’ex-président gambien Yaya Jammeh. D’énormes efforts souterrains sont déployés pour mettre fin à ce conflit, mais la situation semble statique. En octobre dernier déjà, dans nos colonnes, le président du Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (Grpc), Robert Sagna,  malgré ses vœux optimistes, s’était montré d’une froide lucidité, après avoir été reçu au Palais par Macky Sall dans le cadre du règlement de ce conflit.

‘‘C’est une situation de ni paix ni guerre. L’absence de guerre a consolidé une certaine accalmie, depuis trois à quatre ans, qui nous réjouit tous. Mais la consolidation de cette situation ne veut pas dire que la guerre est terminée. Nous allons aller plus de l’avant dans ce processus pour amener les combattants du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc) à discuter avec le gouvernement sur des voies de sortie de crise pour une paix définitive’’, avait-il déclaré. Le Président Sall a hérité d’une situation carabinée où les efforts précédents de son successeur avaient buté sur la rencontre de négociations Foudiougne 2 qui n’a jamais eu lieu. ‘‘Il faudrait que tout le monde accepte de se mouvoir. Il y a certains leaders du Mfdc qui sont restés dans le contexte des années 1980-1990.

Ils ne se rendent pas compte que les choses ont changé. Les intellectuels et les autorités sont dans une phase plus contemporaine. Il faut que les premiers fassent un pas en avant et nous un pas vers le passé pour se rejoindre. Le gouvernement de Macky Sall a la chance d’avoir une nouvelle jeunesse qui n’a pas connu les affres du conflit, les vrais soubresauts des années 1980-90. Macky en a fait un leitmotiv, il est H24 sur le processus de paix. Maintenant, est-ce que les infos qu’on lui ramène sont les bonnes ou les mauvaises ?’’ s’interroge Xavier Diatta. 

L’éclatement du Mfdc entre front nord et sud n’est pas pour arranger les choses. Dans neuf jours, sera célébré le onzième anniversaire du décès du chef historique du Mouvement, Abbé Diamacoune Senghor. Depuis sa disparition, trois chefs de guerre, Salif Sadio, César Atoute Badiate et Ousmane Gnantang Diatta ont atomisé le Mouvement et se partagent le maquis. Si les forces irrédentistes sont affaiblies, leur multiplicité ne facilite pas la tâche au pouvoir central sénégalais dans sa recherche d’un acteur avec qui négocier. Robert Sagna ne s’y est pas trompé au sortir de son entrevue avec le chef de l’Etat en octobre dernier. ‘‘Le Président s’est félicité des résultats obtenus, mais il reste beaucoup à faire. On n’a encore rien négocié. Aujourd’hui, il y a une volonté claire des deux camps d’aller à la paix, aux négociations, mais elles ne sont pas encore engagées. Ce qu’on a observé de part et d’autre, c’est que les armes se sont tues volontairement’’, avait-il lancé.

Coupe de bois

Difficile de démêler l’écheveau entre le conflit armé et les problèmes satellites tout autour. Et si la coupe du bois était une bonne piste à explorer ? En tout cas, le site internet local du sud, journaldupays.com, sous la plume de Balanta Mané, aborde le problème sous cet angle et intitule son article ‘‘treize coupeurs de bois de tek tués dans une zone de guerre’’.

Le 4 décembre dernier, le même site, dans un article consacré à la coupe du bois de tek dans la commune de Nyassia, affirmait que quatre jeunes du comité inter-villageois de protection de la forêt ont été emprisonnés après avoir neutralisé un certain M. Diarra, coupeur de bois clandestin, qui serait en complicité avec de hautes autorités régionales. Et d’inclure dans l’article une mise en garde du Mfdc contre tout type de médiation dans la libération de ces jeunes. ‘‘Le Mfdc ne veut pas de l’implication des politiques et des ONG dans ce dossier. Ils étaient tous au courant de ce trafic de bois et jamais on ne les entendu élever la voix…on se demande même si leur silence n’est pas complice’’, lit-on dans le papier. En 1984 déjà, l’Association des jeunes d’Oussouye ‘‘Ufulal’’ s’était opposé à une autorisation préfectorale de coupe en procédant à un ramassage et un brûlis préventifs de bois, causant l’arrestation de plusieurs jeunes et leur transfèrement à Ziguinchor.

Devant les menaces d’expulsion des commerçants peuls et l’arrêt de travail généralisé, rapporte Jean Claude Marut dans son livre ‘‘Conflit de Casamance : ce que disent les armes’’, le préfet a dû se ranger. Une appropriation des ressources naturelles que l’exploitation récente du zircon exacerbe également. Pour le cadre casamançais, Xavier Diatta, la coupe du bois est une piste à ne pas ignorer. ‘‘Je ne dis pas que c’est lié, mais il y a des signaux comme ça. Mais je pense aux jeunes qu’on a emprisonnés pendant un mois. Le vrai problème qu’on doit se poser, c’est : qui a envoyé ces jeunes couper du bois ? Ce sont des lobbies tapis dans l’ombre pour faire du business sur le sang de ces jeunes ; je crois que ce sont ces gens qu’il faudrait traquer. Il faut traquer tous ces groupes qui tournent autour de l’argent, de l’économie et du conflit pour se remplir les poches’’, suggère-t-il.

En attendant, les familles des victimes de la barbarie meurtrière de samedi dernier demandent que les tueurs soient traqués,  arrêtés et traduits en justice. Un vaste programme dans un bourbier casamançais en subite ébullition !  

OUSMANE LAYE DIOP

 

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