Publié le 15 Sep 2015 - 18:38
TROIS QUESTIONS A BOUBACAR SEYE, PRESIDENT HORIZON SANS FRONTIERE

‘’L’Etat sénégalais a échoué dans le dossier migratoire’’

 

Un Sénégalais de 46 ans a été tué samedi dernier dans un restaurant en Italie, par un homme qui a prémédité son coup. Un meurtre qui vient s’ajouter à une longue liste, depuis le début de l’année. Cette situation exaspère au plus haut point le président d’Horizon Sans Frontière Boubacar Sèye, qui constate la faillite de l’Etat dans le dossier migratoire.

 

Un Sénégalais a encore été tué à l’étranger, quel commentaire cela vous inspire ?

La liste macabre des assassinats des Sénégalais de l’extérieur s’est encore allongée, ce samedi 12 septembre, avec un nouveau crime. Le Sénégalais Mor Sèye, âgé de 46 ans, a été froidement assassiné par un homme qui a préparé son acte. Ce drame nous rappelle le double assassinat de Mor Diop et Modou Samb à Florence, le 13 décembre 2011. Ce crime, que nous condamnons dans les termes les plus fermes, aurait pu s’éviter, si le Sénégal avait maintenu la pression auprès des autorités italiennes. Mais hélas ! Malgré les hommages, les condamnations, les appels au secours, il n’y a jamais eu une enquête sérieuse pour élucider les circonstances de ces drames.

La diplomatie sénégalaise, en charge du dossier, n’a jamais eu le courage de faire pression, encore moins d’envoyer une délégation d’enquêteurs, comme la France vient de le faire avec le crash de Sénégalair. Après Ismaïl Faye, Charles Ndour, Mor Sylla, Moustapha Kébé, Aminata Dia, j’en passe, il nous faudra encore combien de morts, pour que ce régime réagisse en fin de compte. Aujourd’hui, Horizon Sans Frontière regrette un Etat avec du sang de navet dans les veines pour défendre ses fils qui vivent le martyre, assassinés de façon récurrente, sous le silence assourdissant de l’Etat du Sénégal. Qui en fait aujourd’hui est un Etat spectateur. Il faut reconnaître que la diplomatie sénégalaise a échoué dans ce dossier migratoire. Ils n’ont pas pris en charge la migration dans toute sa diversité et sa complexité pour pouvoir s’adapter aux nouvelles donnes ; protéger ses fils qui sont de plus en plus demandeurs de solutions alternatives. Alors que l’Etat brille par son silence.

Y a-t-il une part de responsabilité de l’Etat dans ces crimes ?

Ce qui est fait est déjà fait. Mais, nous condamnons le fait qu’il n’y a jamais eu d’enquête. Vous voyez ce qui se passe avec la France, dans les autres pays. Les Etats doivent assumer leur mission régalienne en ce qui concerne la protection de leurs ressortissants. C’est le cas de la France, des Etats-Unis, de tous les pays, sauf le Sénégal. Il y a eu combien de crimes ? Nous avons le corps de Moustapha Kébé. Jusqu’à présent, on ne nous a pas montré de résultat d’autopsie. Un Sénégalais a été froidement assassiné dans un commissariat à Abidjan.

Il  y a eu l’incendie de Paris, etc. Donc, nous demandons qu’il y ait une enquête pour élucider les circonstances du drame. Il faut rappeler que nous migrants, nous sommes inquiets. Je reçois beaucoup de coups de fil. Les parents restés au pays sont inquiets et aujourd’hui, nous sommes tous dans cette psychose.  Et que fait l’Etat du Sénégal ? Il se contente de communiquer. On aurait pu envoyer une délégation d’enquête parlementaire. Nous avions dit à l’Assemblée Nationale : un pays comme le Sénégal, en situation de vulnérabilité chronique, devait avoir une commission d’enquête spécifique aux questions migratoires. Nous avions même dit, vu l’échec de la diplomatie étatique, qu’il faut une approche novatrice, avec l’élaboration d’une diplomatie non gouvernementale et pluri-acteurs. Jusque-là, il n’y a rien. Ils vont d’échec en échec.

Ils ne veulent associer personne dans ce débat, parce que tout simplement politique et nous ne sommes pas des politiques. Nous sommes équidistants de tout cela. Nous sommes des migrants conscients du fait que nous apportons de la valeur ajoutée. Nous sommes des victimes de beaucoup de choses. Nous avons voulu relancer ce débat par nous-mêmes et pour nous-mêmes. C’est la raison pour laquelle, Horizon Sans Frontière appelle à une mobilisation nationale pour régler ce problème une bonne fois. C’est devenu une demande sociale. Tout le Sénégal est endeuillé. Aujourd’hui, c’est Mor Sèye ; demain ça sera à qui le tour ? Le combat va continuer. On aurait pu nous assister, nous aider. Malheureusement, le sujet est tabou au Sénégal. Vous avez vu ce qui s’est passé au Gabon : des Sénégalais ont été expulsés. Nous avons eu à porter plainte. Il n’y a plus de rapatriement au Gabon. On m’a appelé pour demander ce que je veux. Je ne cherche absolument rien. Je veux que l’on respecte les Subsahariens, particulièrement les Sénégalais. Personnellement, je suis très déçu, nous ne savions pas que l’Afrique fonctionnait de cette manière.

En venant ici, nous n’avions pas pensé que nous allions rencontrer de telles difficultés. Nous avions pensé qu’on allait nous encourager dans ce que nous faisons. Aujourd’hui, c’est devenu une question d’ordre national. Les gens en ont marre, parce que nous avons en face de nous un gouvernement absent, spectateur, qui ne remplit pas sa mission régalienne par rapport à ses fils répartis à travers le monde et qui sont aujourd’hui les plus grands bailleurs de l’Etat, avec des transferts de fonds supérieurs à l’aide au développement estimé à 37 dollars par personne et par an.  Il y a des milliers de Sénégalais dans les prisons. Notre rêve, en venant au Sénégal, c’était de faire de ce pays un campus d’excellence, en matière d’immigration internationale. Il faudrait aujourd’hui un ministère chargé d’immigration internationale et de l’intégration, vu la transversalité du dossier migratoire. Hélas ! Avec ce régime, je suis désolé et je n’ai vraiment pas d’espoir.

Quelle solution préconisez-vous pour mettre fin à cette série de crimes ?

Il faudrait la mise en place d’une bonne politique migratoire. C’est quoi un Sénégalais de l’extérieur ? C’est le Sénégalais qui vit en Espagne, partout ailleurs. Ils ne prennent pas en charge toute la dimension, la complexité géopolitique, géostratégique qui pose des problématiques de sécurité, de paix, d’intégrité et de dignité humaine. Ici, le Sénégalais de l’extérieur est un grenier. On s’en sert. Après, on l’oublie. La diaspora, quinzième région : où en sommes-nous ? C’est juste des promesses. Nous exhortons les Sénégalais de l’extérieur à faire de ce concept une réalité pour prendre en charge nos préoccupations au sein de différentes instances. La lecture que nous devons faire, c’est de réveiller en eux une véritable prise de conscience, parce que la diaspora est orpheline et meurtrie.

Il faut un grand processus organisationnel pour prendre en charge nos propres préoccupations, car ce dossier est politisé. Il y a une grande instrumentalisation du dossier dans notre pays. Si ça continue, le problème ne sera pas résolu. L’immigration n’étant pas un fait politique, mais un fait social total. Raison pour laquelle nous n’accusons aucun régime. Comme il y a problème, il faudrait des réflexions stratégiques pour trouver des solutions, un débat inclusif et participatif. Le dossier est géré de façon clanique, clientéliste et partisane. Des gens qui sont là pour leur problème personnel. Je suis désolé, je ne peux pas croire que le président soit au courant de ce qui se passe. Non plus, je ne peux pas me permettre de dire qu’il n’est pas au courant. Personne ne réagit. 

AIDA DIENE

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